Benoît XVI, premier responsable de la violence religieuse (1)

par Pierre Régnier
mardi 28 septembre 2010

Dans le dialogue avec son père Jean-François Revel, le moine Matthieu Ricard écrit ceci : "Le Dalaï-lama ne cesse de souligner que toute religion pratiquée selon son esprit a pour objectif le bonheur des êtres et se doit d’être un facteur de paix. Le message de Jésus-Christ est un message d’amour et l’un des sens du mot "islam" est "paix". Les violences et les exactions commises au nom de la religion, et l’utilisation des religions pour accentuer les divisions entre les peuples ne peuvent donc être que des déviations" (Le moine et le philosophe, Nil éditions, Pocket 1999).                                                                            

Bien entendu, en disant cela le Dalaï-lama est parfaitement sincère, comme la plupart de ceux qui disent habituellement la même chose. Mais la "pratique selon son esprit" n’est qu’un vœux pieux et la conclusion qu’il en tire une contre-vérité. Tous les monothéismes continuent d’affirmer que Dieu a bien, en plus de ses appels à la paix, commandé des "exactions", des maltraitances, des violences, des guerres, des massacres de peuples entiers, ou de catégories entières de la population de la planète.


Le judaïsme, le christianisme et l’islam, dans toutes leurs composantes, l’affirment explicitement. Le quatrième monothéisme, le bahaïsme - ou, comme préfèrent le nommer ses adeptes, la "Foi bahaïe" - adhère à la même conception duale que ses prédécesseurs mais, en quelque sorte, "par défaut". Il ne rejette pas explicitement son volet criminogène, il se contente de ne pas l’enseigner comme une vérité définitivement acquise ayant, dans les faits, la valeur d’un vrai dogme.


Les autres religions du Livre le font et, donc, les "exactions", les violences et "les divisions entre les peuples" pratiquées au nom de la religion ne sont pas du tout des "déviations". Il faut dire ici bien fort que les croyants fanatiques passant à l’acte criminel effectif "ont bon dos", et que les institutions de leurs religions respectives devraient, dans une société où la Justice profane serait réellement indépendante et objective, assumer au moins partiellement la responsabilité de leur crime.


Car ce sont bien ces institutions qui ont indirectement préparé le criminel à son crime en lui enseignant la prétendue double et incohérente volonté du Dieu de la Bible et du Coran  : tu aimeras ton prochain comme toi-même et tu le haïras quand ce sera nécessaire ; tu ne tueras pas et tu tueras abondamment quand Je te demanderai de le faire "pour la bonne cause". Dans ce cas-là Je "frapperai d’anathème" l’individu, le groupe ou le peuple que tu pourras ou devras faire disparaître. Il sera mis ainsi hors du commun des mortels protégés par la règle d’amour et de respect mutuel, et la contradiction flagrante cessera d’en être une.


Il serait sans doute utile de s’interroger ici sur le rôle qu’a pu jouer cette notion biblique dans les grands crimes de l’humanité profane depuis 2000 ans. L’anathème n’était-il pas un acquis mental collectif lorsque des européens massacraient les indiens d’Amérique pour prendre leur terre ? Ou lorsque d’autres, un peu plus tard, réduisaient les africains à l’esclavage pour les besoins des nouveaux propriétaires ? Indiens et africains n’étant pas ressentis comme étant vraiment des hommes, on pouvait rester bon chrétien en les exterminant ou les asservissant. 


Même s’il me semble qu’il y a bien, ici encore, relation de cause à effet entre la conception violente de Dieu et la Shoah, je crois qu’elle est beaucoup moins directe et qu’il faudrait, pour l’aborder correctement, de nombreuses pages et des compétences que je n’ai pas. J’espère seulement trouver un jour une étude sérieuse de cet aspect particulier du problème sous la plume des chercheurs les plus honnêtes et les plus documentés en ce domaine.


Il faut au moins savoir gré à Benoît XVI d’avoir re-précisé et souligné, dans le nouveau catéchisme de l’église catholique, sa conception duale, violente, criminogène de Dieu. Lorsqu’il n’était encore que le cardinal Ratzinger la responsabilité du comité de rédaction lui fut confiée. Ce comité donna une fois de plus valeur de dogme à la croyance en une "bonne violence" de Dieu. Il confirma qu’il fallait continuer de l’enseigner et la transmettre aux générations futures.


Il le fit, certes, indirectement mais de manière parfaitement claire en réaffirmant que le Livre de Josué est aussi "saint" que tous les autres de l’Ancien Testament (passage 120 du Nouveau catéchisme), que tous ces livres "ont Dieu pour auteur", sont jugés par l’Eglise "sacrés et canoniques", "avec toutes leurs parties" (105), laquelle Eglise "n’accueille pas seulement une parole humaine, mais ce qu’elle est réellement : la Parole de Dieu" (104). Il le fit en réaffirmant que "Dieu est l’Auteur de l’Ecriture Sainte en inspirant ses auteurs humains" et qu’il "donne ainsi l’assurance que leurs écrits enseignent sans erreur la vérité salutaire" (136), "tout ce qui était conforme à son désir et cela seulement" (106), qu’ils enseignent "fermement, fidèlement et sans erreur la vérité que Dieu a voulu voir consignée pour notre salut (107)…


Mais, bien sûr, le Catéchisme contient aussi les tortueuses précisions sur la nécessité de faire les "bonnes interprétations" de toutes les horreurs "conformes au désir de Dieu" qu’on rencontrera dans "l’Ecriture". Il faut dire sans détours que, loin d’atténuer le caractère maléfique des affirmations précédentes, elles le renforcent impardonnablement. Elles sont tout simplement une monstrueuse tricherie supplémentaire.


Celle-ci est aussi vieille que la démarche religieuse elle-même. Parmi beaucoup d’autres l’évêque Augustin (pour le catholicisme), ou Maïmonide (pour le judaïsme) expliquaient déjà, aux Ve et XIIe siècles, que l’église et Dieu "persécutent par amour", contrairement aux impies qui persécutent par cruauté. La "vérité que Dieu a voulu voir consignée" c’est alors que, "pour notre salut" il faut massacrer beaucoup de monde sur la terre. Le Livre de Josué, plus que tout autre livre sacralisé résume parfaitement, dans l’Ancien Testament (AT), cette "vérité salutaire".


Avant d’examiner cet exemple tristement significatif de "bonne interprétation" de la prétendue volonté criminelle de Dieu, écartons tout de suite l’objection de certains croyants juifs : "le Livre de Josué n’est pas dans le Pentateuque (les cinq premiers livres de la Bible), qui est le seul Livre fondateur de notre religion". C’est dans le Livre de la Genèse que "Dieu" anéantit les cités de Sodome et Gomorrhe (Gen 19, 23) ; c’est dans L’Exode (12, 29) qu’il fait tuer tous les premiers-nés d’Egypte, et donne l’ordre à Moïse de massacrer son peuple qui a adoré le veau d’or (Ex 32, 21) ; c’est dans Les Nombres (31) qu’il ordonne l’extermination des Madianites ; c’est dans le Deutéronome (7-20) qu’il demande à son peuple de se préparer pour l’extermination des Cananéens…


La Bible annotée de Jérusalem, éditée en France en l’an 2000, juste après le Nouveau catéchisme (1998) nous donne la "bonne interprétation". En de nombreux endroits elle nous dit de multiples manières que "le glaive c’est la Parole de Dieu". Mais c’est sans doute en marge du Livre de Josué que les théologiens papistes donnent le plus écoeurant exemple de "bonne interprétation".


Les chapitres 3, 4, 7 et 8 décrivent avec de nombreux détails la conquête du nord et du sud de Canaan. Chaque fois que le "Dieu Sauveur" livre une cité à son peuple en lui assurant la victoire il insiste pour que tous les ennemis soient "passés au fil de l’épée" afin que ne reste absolument aucun survivant. La consigne est respectée, jour après jour, jusqu’à la fin du massacre. Une note en marge nous dit la leçon que nous devons en tirer : "La puissance de Josué réside dans son total abandon à la volonté de Dieu. Il fait comme Yahvé lui avait dit. Il préfigure ainsi le Christ Jésus dont la toute puissance sera l’obéissance jusqu’à la mort : "non comme je veux, mais comme tu veux".


Jésus donnera sa propre vie dans l’obéissance à "Dieu son Père", et il la donnera pour faire comprendre aux humains qu’ils "doivent s’aimer les uns les autres". Josué massacre tout un peuple pour occuper sa terre mais il faut comprendre, selon les théologiens "interprétant correctement" que, dans les deux cas, c’est le même enseignement qui est donné au lecteur ! C’est ce qu’annonce d’ailleurs explicitement l’introduction au Livre de Josué : "L’ensemble du livre est une figure de la vie et de l’œuvre qui seront celles de Jésus-Christ. Le Dieu Sauveur fait entrer son peuple, l’humanité, dans la Terre promise, figure du royaume à venir, le Royaume des Cieux".


Et les "bons interprètes" n’hésitent pas à créer, dans cette Bible de l’an 2000, un personnage unique à deux têtes, deux âmes, deux conceptions humaines complémentaires, pour eux très cohérent, qu’ils nomment "Josué-Jésus" !

On voit ici que la vérité de Benoît XVI n’est pas d’une nature très différente de celle des dirigeants d’Al Qaïda, entre autres musulmans terroristes contemporains de cette Bible. La différence est seulement dans l’opportunité de la mise en application du prétendu "désir criminel" de Dieu. Pour Oussama ben Laden ou Ayman al-Zawahiri, il est toujours nécessaire de massacrer beaucoup d’êtres humains pour le bien de l’humanité. On en trouvera de nombreuses confirmations dans le livre présenté par Gilles Kepel, "Al Qaïda dans le texte" (éd. PUF 2005). Pour le pape au contraire, c’est fini : depuis 2000 ans, il ne faut plus. Jésus a demandé qu’on n’applique plus que ses consignes pacifiques.


Si j’étais encore le catholique fervent que je fus dans mon enfance je dirais peut-être  : "Seigneur, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils écrivent !" mais je préfère ici gueuler très fort que ces théologiens fous, comme leur pape lui-même, trahissent manifestement le prophète juif Jésus dont ils se prétendent les héritiers spirituels.


Des analystes d’aujourd’hui réfutent pourtant cette idée d’une volonté, chez Jésus, radicalement différente de celle du Dieu de l’AT. (*) Pour moi cette différence ne fait aucun doute même si subsistent, effectivement, des ambiguïtés dans certains de ses prêches, des acceptations de fortes violences dans certaines de ses paraboles. Je crois que Jésus était réellement un modèle - humain, profondément humain - de pacifisme, d’amour et d’abnégation. Mais il est tout aussi stupide de chercher des "bonnes explications divinement inspirées" à ses faiblesses, bien réelles, que d’en chercher aux pires massacres "commandés par" le Dieu de l’AT. Il voulait une profonde réforme pacifiante de sa religion, dont il restait malgré tout fortement imprégné, marqué, "encombré". Il la voulut en donnant l’exemple d’un total don de soi, jusqu’à l’acceptation de sa propre mort dans le martyre. C’est admirable, et je crois qu’on ne se trompe pas quand on voit Jésus comme un des principaux précurseurs des Droits de la Personne Humaine.  

Parmi les ambiguïtés énoncées par Jésus on rapporte souvent celle-ci : "N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Car je vous le dis, en vérité : avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur le i, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé" (Mt 5 ; 17, 18). On en conclut que Jésus aurait approuvé, comme aujourd’hui Benoît XVI, la totalité des intentions et des actes du Dieu de l’AT, dont les plus épouvantables massacres. Sans trop entrer dans les détails il me semble intéressant de relever, dans une autre Bible, une traduction différente du même passage que celui qui est pris, ci-dessus, dans la Bible de Jérusalem de 2001. La Bible Osty rapporte (en 1973) que Jésus dit n’être pas "venu renverser mais compléter", ou n’est pas venu "abroger mais parfaire" et elle avertit dans une note qu’il vaut mieux éviter l’expression "abolir mais accomplir" parce que "ce dernier mot" est "amphibologique". Une autre note précise que Jésus "interprète, approfondit, amplifie, modifie et même contredit "ce qui a été dit aux anciens".


Cette ambiguïté, ce possible double sens et cette possible "contradiction", par Jésus, de l’enseignement "du Dieu de l’AT" devraient encourager les pacifistes catholiques à résister aux théologiens papistes, refuser d’entrer dans leur jeu, et dénoncer sans retenue leur énorme tricherie qu’ils qualifient de "bonne interprétation", cette tricherie que réanime Benoît XVI pour faire reculer sa religion et les religions en général vers les anciennes sources dogmatisées de leur violence. Alors qu’il est plus que jamais nécessaire de s’en débarrasser !

On peut faire ici un parallèle entre les deux attitudes, religieuse et profane, qui nous éloignent de l’accomplissement de cette nécessité : le pouvoir temporel catholique efface les avancées précédentes vers la théologie non-violente en même temps que le pouvoir politique détruit les acquis républicains qui protégeaient la société profane de la violence religieuse.


La trahison presque deux fois millénaire, par les chrétiens, du prophète juif dont ils se prétendent - et probablement se croient réellement - les disciples, me paraît facilement explicable. En se constituant, leur église décida que Jésus n’était pas seulement un religieux exemplaire, un modèle à suivre, un réformateur dont la réforme devait être poursuivie et perfectionnée. Elle décida qu’il était lui-même Dieu, une composante du Dieu trinitaire qu’elle inventait pour l’occasion.


Etant Dieu, Jésus était donc parfait. Il ne pouvait pas avoir eu des limites, s’être trompé, être resté ambigu, fut-ce sur des points secondaires parfaitement explicables dans le contexte. Il ne pouvait pas avoir accepté plus ou moins consciemment, confirmé et retransmis, certaines croyances délétères des prophètes antérieurs. Il ne pouvait pas avoir laissé son enseignement inachevé, sa réforme perfectible.


Et l’église, imprégnée de cette conception, se mit à refuser tout appel à la raison pour continuer son œuvre. Elle s’opposa délibérément à la libre philosophie en prétendant en avoir reçu une autre de Dieu, de beaucoup supérieure et - plus grave que tout - elle prétendit échapper à la responsabilité et à la justice humaines. Elle mit un frein brutal au "jésuïsme", elle lui tourna le dos en mettant en place - à sa place - le christianisme.

Et elle se mit à fabriquer des croyants schizophrènes, dont beaucoup se mirent à maltraiter, tuer, massacrer massivement au nom du Dieu d’amour.

(à suivre)

Pierre Régnier


(*) voir par exemple, sur Agoravox, cet article d’Olivier Bach : "Jésus est-il un modèle de paix et d’amour pour l’humanité ?"

http://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/jesus-est-il-un-modele-de-paix-et-81036

 



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