Bertrand Cantat désire sortir du noir

par LM
mardi 29 mai 2007

Condamné à huit ans de prison pour la mort de Marie Trintignant, le chanteur de Noir Désir demandera à mi-peine sa libération, au mois d’août prochain. Une éventuelle sortie du tunnel pour un chanteur hors norme, sensible et rageur, qui avait su faire du rock une éventualité française.

Eté 2003. La France transpire, trop. Quinze mille personnes dites « âgées » passeront d’une statistique à l’autre en quelques jours cafouilleux du mois d’août. Les ministres réagiront trop tard, les morgues déborderont jusqu’à Rungis, le pays se demandera comment tout cela a bien pu arriver. Mais quelques semaines auparavant, au mois de juillet, le 23 plus précisément, ce n’est pas le soleil qui a rendez-vous avec les unes, mais Bertrand Cantat et Marie Trintignant. Cette dernière, en tournage sur un téléfilm public consacré à l’insignifiante auteur Colette, passe des bras de son compagnon de chanteur, Cantat, à l’hôpital, transportée dans un état grave, si ce n’est désespéré. Elle succombera à ses blessures le 1er août, tombée sous les coups du « colérique » Bertrand Cantat, chanteur majeur de Noir Désir, seul groupe indispensable de ce qu’on appelle encore le « rock français ».

Nous sommes en Lituanie, délocalisation des tournages oblige, et Cantat sera donc jugé et condamné sur place, au terme d’un procès houleux, tendu et poisseux. S’opposent deux camps très différents : d’un côté ce qu’on appellera le « clan Trintignant », soudé et puissant (c’est-à-dire riche et célèbre), de l’autre la famille et les amis de Cantat, Français ordinaires un peu dépassés par les évènements. Cantat est vite présenté comme un monstre, qui a depuis toujours l’habitude de frapper ses compagnes, ou ses femmes, qui boit beaucoup, se drogue un peu et se montre maladivement jaloux. Les ex de Marie Trintignant en rajoutent une couche, avec leurs larmes et leurs mines décomposées. Ce Cantat-là est la pire des saloperies, on ne peut guère penser autrement. Frapper une femme jusqu’à ce que mort s’en suive mérite peut-être tel acharnement. Sûrement même. Sauf qu’on ne sait pas vraiment ce qu’il s’est passé dans cette chambre de Vilnius, combien de coups portés, qui avait bu et la raison de la dispute. Sauf que la justice doit faire en sorte d’écarter les rancoeurs, les passions et les haines pour s’exercer dans la plus parfaite sérénité possible. Qu’on s’entende bien : huit ans pour meurtre, c’est pas grand-chose. Le problème est ailleurs.

Le problème est par exemple dans le comportement hystérique de certaines soi-disant grandes amies de Marie Trintignant, Lio en tête, qui se sont d’un coup métamorphosées en passionarias féministes style « chiennes de garde », mais chiennes avec la rage aux lèvres et beaucoup de mauvaise foi. Il fallait entendre, dans toutes les émissions de l’époque, l’inénarrable interprète de Banana Split dépeindre Cantat en monstre absolu, en pervers total, en impardonnable assassin qui ne devait pas sortir de son trou avant au moins une éternité. Il était soudain devenu, ce chanteur unique, le symbole, le représentant sans égal de tous les maris qui filent trop souvent des tannées à leur femme pour leur apprendre la vie, et qui les laissent, parfois, trop de fois, aussi mortes et froides que Marie Trintignant. Cantat était le visage, la figure, tous les visages, toutes les figures de ces indignes-là, de ces hommes brutaux, minables et lâches qui dominent par la terreur et avilissent par les coups. Cantat était devenu, cet été-là, loin des vieux, loin de la canicule, loin du polo déplacé du ministre de la Santé, l’homme à abattre, l’homme à vomir.

C’est cet acharnement, au contraire, qui filait la nausée. D’une part les « meilleures amies » de « Marie » se révélèrent parfois des « meilleures amies de la dernière heure », d’autre part on prêta à Cantat des comportements, des errements, qu’il n’a jamais eus. Certaines, donc, ajoutèrent de la vengeance aux larmes, en toute immoralité, en toute dégueulasserie.

Au milieu de cette foire aux atrocités-là, le groupe Noir Désir lui-même, ou ce qu’il en restait, Denis Barthe, Serge Teyssot-Gay et Frederic Vidalenc, affichèrent tout à l’opposé une unité exemplaire, sans faille, sans complaisance et sans empathie déplacée. Ils soutinrent leur ami, leur frère, leur chanteur, comme rarement on aura vu une équipe soutenir un des siens parti un peu en vrille. Jamais critiques, jamais bavards, jamais outranciers, juste à l’écoute, proches mais pas putains, fidèles mais pas aveugles. Eux savent sans doute ce qui s’est réellement passé, eux ont eu la version de Cantat, eux ont visité la part d’ombre. Ils n’en sont pas ressortis en tournant le dos, ni les talons, à leur frère d’armes. Ils l’ont épaulé, jusqu’au bout, et encore aujourd’hui, et demain. Ils ont (eux et d’autres bien sûr) maintenu l’édifice debout, malgré la tempête. Ils ont d’un coup d’un seul dépassé la mythologie show-biz, et son cortège de faux-semblants, d’arnaques et de boniments, pour apparaître soudain en vrai groupe, comme on n’en fait plus, un groupe d’individus à la vie à la mort, une force d’âme de la beauté du diable. Noir Désir, dans cette épreuve-là, a gagné en grâce ce qu’il avait perdu en force. Prisonniers d’un silence forcé, ces forcenés de l’amitié ont trouvé les moyens de transformer l’horrible en magnifique.

Aujourd’hui, à mi-peine (drôle d’expression, la peine ne cessant sans doute d’être entière), Bertrand Cantat demandera sa remise en liberté au mois d’août prochain, comme la loi le permet. Il ne serait pas choquant de voir cette demande aboutir. De savoir ce visage, cette figure, aux mots très justes, très forts, au timbre chaud et rugueux, de nouveau propriétaire de sa vie. Lui qui a fini de payer (cher) les dommages et intérêts, mais qui ne remboursera jamais, bien sûr, ce qu’il a pris. Un Bertrand Cantat un peu plus blessé, marqué, qui chantera peut-être à nouveau, ou pas. L’avenir, et ses désirs, lui appartiendront, hors noir.


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