Bertrand Cantat, retour au désir
par LM
jeudi 7 octobre 2010
Coups mortels, prison, libération anticipée, suicide : on aurait pu croire Bertrand Cantat définitivement perdu pour le désir. Mais l’homme a du coffre et, fort de ses amis, a su faire face, rester debout et depuis peu, reprendre voix. En attendant les mots.


On l’a échappé belle. Depuis Vilnius, le rock français, cette vieille bourgeoise, nous avait peu à peu habitué, de revival en retours ratés, d’Indochine en Zazie, de Rafael en Pagny, de Johnny en Delajoux, à ne plus frôler du tout l’érection, donc le désir, à ne plus se situer qu’entre le bénitier et les grenouilles, loin du sombre, loin de la légende, loin des malheurs qui ont fait son histoire. Ce « dark stuff » dont Nick Kent parle si bien. On ronronnait, dans une France emmerdante, ennuyeuse et à droite du Pape. On finissait même par prédire une reformation de Téléphone, avec le vieux Jean Louis, le vieux Louis, le vieux Richard, la vieille Corinne. Mais ce que tous attendaient, espéraient, guettaient, c’était évidemment le retour de Noir Désir, belle ombre au tableau, rare fulgurance d’un genre si peu gaulois. Noir Désir, dernier album en date sorti un certain 11 septembre, « Des visages des figures » titre prémonitoire pour un destin qui allait basculer sur un visage défiguré par le leader, le chanteur, l’ange noir Bertrand Cantat. Noir Désir, trajectoire souple, mais fulgurante, idole de toute une jeunesse, porte drapeau, porte étendard, souvent revendicatif mais toujours exigeant musicalement, toujours en recherche de mieux, une sorte de Bashung à plusieurs, la politique en plus, l’idéologie en sus. Noir Désir au sommet en 2001, en enfer quelques temps plus tard. La faute à un téléfilm sur Colette que personne ne retiendra, au final. La faute à ces quelques minutes d’égarement qui transforment une vie en destin, un destin en tragédie. Marie Trintignant poussée vers la mort, Cantat derrière les barreaux, symbole encore, mais cette fois ci du pire, du crime, de la violence faite aux femmes, le tout dans une époque de vierges effarouchées qui ne tolère rien (l’époque, pas les vierges), ni les photos de Larry Clark aujourd’hui, ni les écarts de langage de Dieudonné avant-hier, ni le Fouquet’s de Sarkozy ni l’immaturité des footballeurs. Cantat derrière les barreaux donc, et puis Cantat en conditionnel, libération anticipée, contrôle judiciaire, vie chez son ex femme qui l’a toujours soutenue, jusqu’au bout du bout. Celle-ci se pend, finalement, achevant, pense-t-on alors, le chanteur tout juste sur le chemin du retour. On est loin, soudain, du chant, on est dans le vent, dans ce qu’il emporte. On est dans un noir d’où semble définitivement absent, éloigné, tout désir. Une ex petite amie assassinée, une ex femme suicidée, les mots manquent, brutalement. Et pourtant. Le rock, certes, a les enceintes pleines de ces destins là, cabossés, tordus, déraisonnables. Mais quand même. Rester debout, parfois, relève de l’exploit. Et pourtant.
Pourtant depuis ce week-end, on a retrouvé Bertrand Cantat, tel qu’on se souvenait : debout, derrière un micro, agité, en transe, transpirant, chantant, hurlant, vibrant, avec, face à lui, une foule debout, elle aussi, en transe, elle aussi, transpirante elle aussi, aimante, elle à nouveau. Adorante. D’une adoration à faire hurler (on les entend déjà) les chiennes de garde qui n’ont jamais rien compris au rock, ça va de soi, pas plus qu’à l’art. Cantat back in town, in black, à peu près comme avant. Et le récit dans le dernier numéro des Inrocks de cette nuit là, signé Marc Besse, vaut le détour. Ca sent la sueur et les larmes. Ca sent l’amour. Ce truc mal fichu qui déplace des montagnes, rend sanguinairement violent et excessivement bête, dans tous les sens du terme. Ce truc qui appelle les mots qu’on cherche tous, ce truc qui pardonne beaucoup aussi. Qui pardonne peut-être tout. Les raisons du cœur, bien sûr, tout ce machin. Ce qui fait que ce type là, au risque d’en agacer beaucoup, va sans doute écrire à nouveau, bientôt, retrouver ses mots après sa voix, et redonner vie à son groupe, cet arbre qui l’a maintenu sur terre, tout ce temps là. Tout ce mauvais temps là. Cantat, revenu de toutes ses tempêtes, du moins l’espère-t-on pour lui, peut repartir à la charge, crânement. Si les paroles lui reviennent, rien n’est exclu, pas même quelques grands moments, pas même quelque immense album. Si les paroles lui reviennent, que dira l’homme ? On tremble presque à cette idée là, lui-même peut-être aussi. Ses textes jadis claquaient déjà, jamais anodins, jamais bateaux, mais ses textes, bientôt, de quoi seront-ils le nom ? Là est le nouveau mystère Cantat. Là est sa nouvelle quête. Autre chose quand même que de savoir si Delajoux a oublié un bistouri dans la hanche de Johnny. Il en va chez Cantat d’une histoire humaine, tellement humaine, à la Johnny Cash, plutôt qu’autre chose. Le sombre et son contraste. La mort en face de deux des femmes les plus importantes de sa vie, ça vous pose un homme. Ca vous le ride, ça vous le burine, aussi sûrement qu’un Cap Horn par temps de misère. Ca vous l’inspire, peut-être, qui sait. Bertrand Cantat est cet homme là, qu’on ne connaît plus mais qu’on a jamais quitté, qu’on espérait plus mais qu’on attendait toujours. Qui ne sera jamais le français préféré des français. Qu’on applaudit aujourd’hui à tout rompre, sans retenue. Comme si rien ne s’était passé ? Non, comme si, après tout ce qui s’est passé, un après plus jamais comme avant, quelque chose avait survécu là où de l’extérieur on ne devinait que cadavres et rancoeurs. Et c’est ainsi que Cantat est grand.