Betancourt otage des médiarcs ?

par Bernard Dugué
jeudi 3 juillet 2008

Ingrid est libre. L’attente fut longue, la mobilisation intense, sans signe de faiblesse, d’où ces instants de joie et, pour les intéressés, sans doute un moment comparable à ceux vécus par les Parisiens quand leur ville fut libérée par les alliés.

Rarement des événements se présentent de manière aussi consensuelle. Tout citoyen pourvu d’un minimum de quotient moral ne peut que se réjouir de cette libération et souhaiter que du bonheur à Ingrid et ses proches. Ce même citoyen doté d’un quotient intellectuel moyen ne pourra qu’apprécier la qualité de l’opération militaire réalisée par l’armée colombienne et féliciter le président Uribe, même si on connaît par ailleurs sa gestion politique. C’est du grand art et comme Uribe le dit lui-même, cette opération de libération superbement menée entrera dans l’épopée des faits d’armes universellement appréciés. Comme Napoléon à Valmy, mais restons quand même modeste. On est plus proche d’une opération Entebbe ou d’une action menée par le GIGN. Sauf que pour la réussir, connaissant la détermination des Farc et la complexité de la jungle, il a fallu des moyens technologiques et tactiques très adaptés. La maîtrise cognitive d’un terrain fait de plus en plus partie des ingrédients essentiels dans les opérations militaires. Qui, il y a un siècle, reposaient sur la puissance de frappe puis, pendant la drôle de guerre en 39, sur les mouvements de troupe.

Cette libération suscite l’admiration, la joie et pour nos responsables politiques, un consensus aussi solide que pour féliciter les Bleus en 1998. Les esprits facétieux verront dans cet événement une excellente nouvelle pour Sarkozy qui va quelques temps faire oublier ses couacs contre la Télévision publique et l’Armée de terre. Que se passe-t-il dans la tête du président ? Pense-t-il à la démonstration de Carcassonne en se disant qu’avec des amateurs de cette trempe une opération Ingrid eut été vouée à l’échec ? Allez, ne faisons pas du mauvais esprit et ne gâchons pas la fête. En tout cas, France Télévisions et France Inter ont servi une information très professionnelle. Les flashs spéciaux ont interrompu les programmes pour une longue série d’interventions. Des infos venant des sources officielles, des réactions de proches, quelques images d’Ingrid.

Phénomène surprenant, mais, à tout réfléchir, plutôt attendu, que cette série de réactions provenant des personnalités politiques qui comptent. Ségolène Royal, Alain Juppé, François Bayrou longuement invités à causer sur les ondes radiophoniques, François Hollande. Quel intérêt ? A quoi bon diffuser toutes ces phrases bien convenues et consensuelles ? Aussi évidentes qu’un commentaire d’entraîneur après un match gagné. Ça cache quoi cet empressement des ondes à livrer le micro à ces personnalités toutes aussi empressées, prêtes à réagir sur le tarmac de l’info. L’analyse s’interroge, levant les yeux au ciel. Eureka ! C’est une manifestation religieuse qui s’est produite. Une sorte de miracle suite à toute cette mobilisation des politiques qui, pendant des années, ont prié, non disons, ont crié pour en appeler à cette libération. Et même notre président de lancer un appel à l’humanité des Farc. Heureusement qu’Uribe n’en a pas tenu compte, décidant de régler cette affaire avec des méthodes militaires, à la réglo, comme de Gaulle, Uribe qui aurait sans doute pensé que Reyes, c’est comme Touvier, deux balles dans la tronche.

En fin de compte, la libération en direct d’Ingrid, cela relevait d’une messe médiatique et de l’événementiel. Dans un stade, les VIP sont placés aux meilleures loges et ont le droit de commenter le match, donner un avis sur les Bleus ou le XV de France. Les épouses des joueurs sont également filmées. Pour Ingrid, tout le monde voulait se lever et dire sa joie dans les micros et les ondes. Alors, place aux VIP, Ségolène, Alain, François et les autres. Commenter la libération d’Ingrid, c’est quelque part communier, mais dans la messe cathodique, il est interdit d’avaler le micro qu’il ne faut pas confondre avec l’hostie. Par contre, ne pas hésiter à s’enivrer de cet événement valant un vin de messe. Nous avons assisté à une démonstration ostentatoire de religiosité manifestée par les politiques. Le signe d’une authentique foi que les politiques doivent afficher pour montrer au peuple qu’ils croient en des valeurs, en sainte Ingrid de Colombie, plus blanche que la coke et tout aussi redoutable par ses effets euphorisants. C’était peut-être Ingrid, la blanche colombienne chantée par Carla. Bref, ce phénomène d’ostentation religieuse pratiquée par les gouvernants est pour ainsi dire un classique dans l’Histoire. Les Romains ont montré la voie et Constantin s’est même servi du christianisme pour exercer son pouvoir. On a appelé cela le césaropapisme. De nos jours, les citoyens s’en tapent de voir un politique à la messe. Et c’est d’ailleurs un sacrilège que d’entrer dans une Eglise pour prier. Ségolène Royal a attaqué le journal ayant publié la photo de notre sainte socialiste agenouillée devant l’autel ; honteuse comme si elle avait été filmée dans les toilettes sur la cuvette. Les temps ont changé. Les valeurs religieuses aussi. Il fallait et il faut croire en Ingrid. Voilà pourquoi nos célébrités politiques se sont empressées de commenter. Et comme l’aurait pensé l’historien Curtius, on reconnaît bien là l’héritage romain parfaitement incarné dans la vie politique française, mieux que dans toutes les autres nations.

Sans vouloir gâcher la fête et pour être complet, il n’y a pas que le sentiment religieux, mais aussi la gloire, le narcissisme et l’argent. On imagine bien les agents dans les rédactions sur les starting-blocks pour s’assurer l’exclu d’une visite d’Ingrid. Mais ne soyons pas naïf, l’exclu sera d’abord pour le président Sarkozy, chef des Armées, autoproclamé récemment chef des Programmes de télé. Son chargé de com, Kouchner, a été dépêché pour lui livrer la nouvelle star. Ensuite, les chaînes pourront avoir quelques moments de présence dans les studios. Pour le reste, on imagine l’affolement dans les maisons d’édition. Il y a un superbe contrat à signer. Pour publier les mémoires d’Ingrid en détention. Au bas mot, un potentiel de chiffre pesant dix fois un Johnny, sans compter les droits d’auteurs à l’étranger, car Ingrid Betancourt y est connue, alors que s’agissant de Johnny, seul un couple de vieux beaufs séjournant à Las Vegas seraient preneurs d’une bio d’Hallyday en anglais.


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