Bill Gates finance des scientifiques favorables à la géo-ingénierie (Guardian, 2012)

par Emmanuel Glais
jeudi 30 avril 2020

D'autres particuliers fortunés ont également financé une série de rapports sur l'utilisation future des technologies pour "géo-ingénier" le climat.

Un petit groupe d'éminents scientifiques du climat, soutenus financièrement par des milliardaires, dont Bill Gates, font pression sur les gouvernements et les organismes internationaux pour soutenir les expériences de manipulation du climat à l'échelle mondiale afin d'éviter des changements climatiques catastrophiques.

Les scientifiques, qui préconisent des méthodes de géo-ingénierie telles que la pulvérisation de millions de tonnes de particules réfléchissantes de dioxyde de soufre à 30 miles au-dessus de la terre, soutiennent qu'un "plan B" pour le changement climatique sera nécessaire si l'ONU et les politiciens ne peuvent se mettre d’accord sur les réductions nécessaires d’émissions de gaz à effet de serre. Ils disent aussi que le gouvernement américain et d'autres devraient payer pour un grand programme de recherche internationale.

Les techniques de géo-ingénierie solaire sont très controversées : alors que certains climatologues pensent qu'ils peuvent s'avérer un moyen rapide et relativement bon marché de ralentir le réchauffement climatique, d'autres craignent que lorsqu'ils sont menés dans la haute atmosphère, ils puissent irrévocablement modifier les régimes de précipitations et interférer avec le climat de la Terre.

La géoingénierie est combattue par de nombreux écologistes, qui disent qu’elle pourrait saper les efforts de réduction des émissions, et par les pays en développement qui craignent qu'elle puisse être utilisée comme une arme, ou au bénéfice des pays riches. En 2010, la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique a déclaré un moratoire sur les expériences en mer et dans l'espace, à l'exception des études scientifiques à petite échelle.

On craint maintenant de plus en plus que le groupe restreint mais influent de scientifiques et leurs bailleurs de fonds aient un effet disproportionné sur les principales décisions concernant la recherche et les politiques en géo-ingénierie.


"Nous devrons nous protéger des intérêts acquis [et] être sûrs que les choix ne sont pas influencés par les parties qui pourraient gagner des sommes importantes en choisissant de modifier le climat, en particulier en utilisant la propriété intellectuelle exclusive", a déclaré Jane Long, directrice (« director at large ») pour le Lawrence Livermore National Laboratory aux États-Unis, dans un document présenté à une récente conférence de géo-ingénierie sur l'éthique.

"Les enjeux sont très importants et les scientifiques ne sont pas les meilleurs pour traiter les problèmes sociaux, éthiques ou politiques que soulève la géo-ingénierie", a déclaré Doug Parr, scientifique en chef à Greenpeace. "L'idée qu'un groupe auto-sélectionné devrait avoir autant d'influence est bizarre."

La pression pour trouver une solution technologique rapide au changement climatique s'intensifie alors que les politiciens ne parviennent pas à un accord pour réduire considérablement les émissions. En 2009-2010, le gouvernement américain a reçu des demandes de subventions de plus de 2 milliards de dollars (1,2 milliard de livres sterling) pour la recherche en géo-ingénierie, mais a dépensé environ 100 millions de dollars.

Outre Gates, d'autres personnalités fortunées, dont Sir Richard Branson, le magnat des sables bitumineux Murray Edwards et le cofondateur de Skype, Niklas Zennström, ont financé une série de rapports officiels sur l'utilisation future de la technologie. Branson, qui a fréquemment défendu la géo-ingénierie pour lutter contre le changement climatique, a contribué à financer l'enquête de la Royal Society sur la gestion du rayonnement solaire l'année dernière par le biais de son œuvre de bienfaisance (charity) Carbon War Room. On ne sait pas combien ni à quelle hauteur il a contribué.

Les professeurs David Keith, de l'Université Harvard, et Ken Caldeira de Stanford [voir note] sont les deux principaux défenseurs mondiaux de recherches majeures sur la géo-ingénierie de la haute atmosphère pour fournir à la terre un bouclier réfléchissant. Ils ont jusqu'à présent reçu plus de 4,6 millions de dollars de Gates pour gérer le Fonds pour la recherche innovante sur le climat et l'énergie (Ficer). Près de la moitié de l'argent de Ficer, qui provient directement des fonds personnels de Gates, a jusqu'à présent été utilisé pour leurs propres recherches. Le reste est déboursé par eux pour financer le travail d'autres partisans d'interventions à grande échelle.

Selon les déclarations d'intérêts financiers, Keith reçoit chaque année une somme non divulguée de Bill Gates et est le président et propriétaire majoritaire de la société de géo-ingénierie Carbon Engineering, dans laquelle Gates et Edwards ont des participations importantes - estimés ensemble à plus de 10 millions de dollars.

Une autre société d'Edwards, Canadian Natural Resources, prévoit de dépenser 25 milliards de dollars pour transformer les sables bitumineux du nord de l'Alberta en barils de pétrole brut. Caldeira dit qu'il reçoit 375 000 $ par an de Gates, détient un brevet de capture du carbone et travaille pour Intellectual Ventures, une société privée de recherche en géo-ingénierie détenue en partie par Gates et dirigée par Nathan Myhrvold, ancien chef de la technologie chez Microsoft.

Selon les derniers comptes Ficer, les deux scientifiques ont jusqu'à présent donné 300 000 dollars de l'argent de Gates pour financer en partie trois revues et évaluations importantes de la géo-ingénierie - le rapport de la UK Royal Society sur la gestion du rayonnement solaire, le US Taskforce on Geoengineering et un rapport de 2009 par Novin, un groupe de réflexion scientifique basé à Santa Barbara, en Californie. Keith et Caldeira ont siégé dans les panels d’experts qui ont produit les rapports ou ont fourni des preuves. Les trois rapports recommandaient fortement de poursuivre les recherches sur la gestion du rayonnement solaire.

Le fonds a également donné 600 000 $ à Phil Rasch, climatologue en chef pour le Pacifique Nord.

 

 

Cet article a été modifié le 13 février 2012. Le professeur Caldeira nous a demandé de préciser que le fait qu'il prône la recherche en géo-ingénierie ne signifie pas qu'il prône la géo-ingénierie.

John Vidal, 6 février 2012

Article original : https://www.theguardian.com/environment/2012/feb/06/bill-gates-climate-scientists-geoengineering


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