Bill Gates philanthrope ? Oui, mais pas trop

par Patrick FERNER
mercredi 21 février 2007

Bill Gates est revenu dans l’actualité sur deux points : Microsoft, entreprise dont il reste le président, vient de lancer Windows Vista et sa fondation la Bill & Melinda Gates Foundation a fait tout récemment l’objet d’une enquête par le Los Angeles Times conduite par Charles Piller, membre du comité de rédaction de son journal. Comme on le verra plus loin, il existe un lien étroit entre l’entreprise et la fondation.

Au préalable, il n’est pas inutile de rappeler qu’une fondation aux Etats-Unis a le droit de posséder un portefeuille de valeurs mobilières pour financer ses bonnes œuvres, chose impensable chez nous. Dans ce pays, cela n’a rien de choquant car on considère que la gestion d’un portefeuille et la philanthropie peuvent aller de pair, même si les Américains eux-mêmes sont conscients de l’ambiguïté de cette situation. Aussi n’est-ce pas sur ces deux points que porte l’enquête du LA Times, mais sur l’adéquation entre les nobles buts de la Gates Foundation et ceux des entreprises dans lesquelles elle possède des participations. En matière de bienfaisance, l’éthique commande pour une fondation de ne pas cautionner par ses investissements toute entreprise qui ne respecte pas l’environnement, les règles sanitaires, les droits de ses employés, qui pratique la discrimination à l’embauche, qui emploie des enfants, et d’une façon générale se livre à des pratiques immorales voire malhonnêtes. On comprendra mieux la curiosité des journalistes californiens en situant les enjeux financiers : fin 2005, la dotation totale de la Gates Foundation se montait à 35 milliards de dollars, constituée pour l’essentiel par des placements dans le monde entier. Puis, en juin 2006, Warren E. Buffett, l’homme le plus riche du monde après Bill Gates, s’engagea à apporter en plusieurs versements 31 milliards de dollars pris sur sa fortune personnelle. Si on ne compte pas les dizaines de milliards de dollars supplémentaires que Gates a lui-même promis, le total dépasse le PIB de 70 % des nations du monde. Quand la Gates Foundation, aura ainsi atteint plus de 60 milliards de dollars, elle représentera à elle seule 10 % du capital de toutes les autres fondations des Etats-Unis. Comme la plupart des organisations philanthropiques, la Gates Foundation donne chaque année au moins 5% de son capital pour payer un minimum d’impôts. En 2005, elle a octroyé près de 1,4 milliard de dollars. Si elle apporte un soutien à des initiatives globales en faveur de la santé, elle récompense aussi tous les efforts qui visent à améliorer l’enseignement public aux Etats-Unis et tous les programmes d’action sociale au Nord-Ouest du Pacifique. Les 95% restants sont investis. En ce qui concerne le portefeuille, Bill et Melinda Gates exigent de leurs managers de veiller à sa très grande diversité sans pour autant donner de directives précises. Et là, on en arrive au point soulevé par les journalistes du LA Times qui se sont aperçus que les entreprises dans lesquelles la fondation possédait des parts et dont les objectifs allaient à l’encontre de ses buts caritatifs représentaient 41 % de ses actifs, soit 8,7 milliards de dollars. Chose encore plus troublante, Bill et Melinda Gates ont érigé une cloison étanche entre les gestionnaires des actifs et ceux chargés de dispenser les dons destinés aux bonnes œuvres de la fondation : en clair, la main droite ignore ce que fait la main gauche.

Un exemple de cette contradiction entre la pratique des affaires et la philanthropie est donné à propos du Nigéria dans la ville d’Ebocha, dans le delta du Niger, là où se concentrent les installations pétrolières dont les activités créent une grave pollution dans cette région avec des centaines de torchères qui brûlent jour et nuit. Ces torchères forment un nuage toxique provoquant une épidémie de bronchite chez les adultes, de l’asthme et des troubles de la vue chez les enfants. La fondation a dépensé dans le monde y compris le delta du Niger 218 millions de dollars pour les vaccins contre la poliomyélite, la rougeole, et dans la recherche alors qu’elle a investi 423 millions de dollars dans les sociétés Eni, Shell, Exxon, Chevron, et Total, ces compagnies pétrolières étant pour la plupart à l’origine de ces torchères qui polluent le delta du Niger au-delà des limites admises aux Etats-Unis et en Europe. Autre exemple : La Gates Foundation subventionne des programmes d’aide au logement dans le cadre de ses actions sociales. L’ennui, c’est qu’elle possède des parts dans une société de prêt hypothécaire, Ameriquest Mortgage qui accorde des prêts pour tous les gens qui ne satisfont pas aux critères minimaux des institutions financières pour en bénéficier. En contrepartie de ce prêt, c’est la mise en hypothèque de l’habitation. Or cette société, par ses méthodes, arrive à faire perdre leur maison à ses clients en pratiquant des taux usuraires, en élaborant des contrats de douze pages rédigés en petits caractères pour en décourager la lecture et en exigeant des remboursements immédiats dont les mensualités excèdent les revenus des victimes. Ameriquest Mortgage a été accusé par les autorités ou lors de procès d’avoir poussé des centaines de gens à vendre leur maison. Enfin pour compléter le tableau, la Gates Foundation a des parts chez des chocolatiers dont les plantations de cacao en Afrique de l’Ouest font travailler des enfants dans des conditions proches de l’esclavage, si l’on en croit le gouvernement américain lui-même.

Suite à ces révélations, le LA Times envoya à plusieurs reprises des questions écrites à la fondation pour lui demander si elle envisageait de changer sa politique d’investissement, questions auxquelles elle n’a jamais répondu : ses représentants se sont contentés de déclarations d’intention publiés sur son site Internet et dans le Seattle Times. A ce jour, la politique d’investissement de la Gates Foundation n’a pas bougé d’un iota.

Mais ce n’est pas tout car derrière le Bill Gates philanthrope, il y a toujours le VRP de Microsoft : à l’occasion d’une tournée en Afrique effectuée avec son épouse pour le compte de sa fondation, il a organisé une réunion les 22 et 23 septembre 2006 en Afrique du Sud à Johannesburg sur le thème de "L’édification de la société de l’information en Afrique" et rassemblant tout un aréopage de représentants de gouvernements africains, de ministres des technologies de l’information ou de l’éducation. A cette occasion il a qualifié Microsoft de "meilleure entreprise du monde" pour proposer des logiciels gratuits, des formations, le tout subventionné par la Gates Foundation dont les sommes énormes pour l’Afrique ont déjà séduit des pays comme l’Ouganda, l’Angola et la Namibie, les dissuadant d’utiliser les logiciels libres qui décidément énervent Gates dont la rapacité ne semble point connaître de bornes puisqu’il cherche à s’immiscer dans le projet OLPC (One Laptop per Child : un ordinateur portable par enfant) ; ce projet vise à terme à équiper les enfants scolarisés des pays émergents d’ordinateurs à prix réduit, soit 100 dollars. Le maître d’œuvre en est le département Media Labs du M.I.T. (Massachusetts Institute of Technology) sous la direction de Nicholas Negroponte. Conformément à cette démarche, ces machines sont pourvues de logiciels libres dont Linux (Red Hat) ; voyant cela, le PDG de Microsoft, qui avait dénigré ce projet dans un premier temps, a fait ajouter une carte externe à ces ordinateurs pour pouvoir les faire fonctionner sous Windows.

Lorsqu’en juin 2006, Bill Gates annonça de façon très médiatique qu’il se donnait deux ans pour se consacrer entièrement à sa fondation, il a pu donner l’image d’un homme qui, fortune faite, se retire progressivement des affaires tout en gardant un œil de plus en plus distancié sur son entreprise ; en réalité ces deux ans correspondent au temps nécessaire pour vendre Windows Vista qui a fait l’objet de lourds investissements et à une intensification de son action de VRP pour lutter contre le développement du logiciel libre qui gagne de plus en plus du terrain dans le monde (entre autres, Chine, Japon, Corée du Sud).

Quand la philanthropie devient le cheval de Troie du business...

P.F.

Liens :

Enquête du Los Angeles Times :

http://www.latimes.com/news/nationworld/nation/la-na-gatesx7jan07-sg,0,261331.storygallery

Microsoft à la conquête de l’Afrique :

http://www.zdnet.fr/actualites/informatique/0,39040745,39126752,00.htm


Lire l'article complet, et les commentaires