Billet de retour du pays natal, à la frontière du périurbain

par Karol
jeudi 7 novembre 2013

L'automne est la plus belle des saisons pour partager la beauté de ces paysages vallonnés du plateau ardéchois. Le jaune et l'orange se mêlent au vert sous la tendre lumière d'un soleil voilé par des cirrus qui s'étirent paresseusement. Au fond, la ville, pourvoyeuse d'emplois, pour tous ces "périurbains" motorisés qui habitent ces maisons individuelles qui ne cessent de pousser dans le plus grand des désordres, sur des terres qui autrefois nous nourrissaient.

"Ils quittent un à un le pays
Pour s'en aller gagner leur vie
Loin de la terre où ils sont nés
Depuis longtemps ils en rêvaient
De la ville et de ses secrets
Du formica et du ciné..."

"Pourtant que la montagne est belle
Comment peut-on s'imaginer
En voyant un vol d'hirondelles


Que l'automne vient d'arriver ? " Jean Ferrat

Ardoix-cartesfrance.fr

 Au cœur du village avec son clocher et ses maisons en pierre, un seul commerce est encore ouvert, pas une âme dans les rues aux trottoirs trop étroits. Les paysans se font rares, les ronces occupent les vieux chemins, les châtaigneraies et les terres difficilement exploitables avec des engins mécaniques sont à l'abandon. Seuls les sangliers se complaisent dans cette situation.

A la périphérie de tout, des nouveaux habitants gonflent les statistiques de la démographie de ces villages proches des centres urbains et des zones industrielles et commerciales, ils sont ouvriers ou employés, endettés sur vingt ans pour une maison individuelle qui n'en finit pas d'être achevée. Avec "la crise "que l'on nous impose, ils sont souvent les premiers à subir les conséquences des restructurations en tout genre et des licenciements qui s'en suivent. Déclassés, dispersés et isolés, condamnés à la débrouille individuelle, clients anonymes des hypermarchés et autres grands groupes de distribution, ils sont les grands oubliés des médias et des élites nationales. Désabusés, pour rappeler leur existence et leur condition, ils sont prêts à donner leur voix aux élections à de dangereux démagogues qui agitent la peur d'un étranger qui hanterait les campagnes pour y voler leur écran plat où les derniers emplois.

D'UNE CAMPAGNE ACTIVE A DES TERRITOIRES EN DÉSHÉRENCE

En plus d'un demi siècle d'économie libérale et d'agriculture intensive on est passé de villages animés, avec de nombreux commerces, cafés et ateliers , fréquentés par une population paysanne et ouvrière, ou les deux à la fois, à des zones à l'habitat dispersé, dont l'économie est aujourd'hui totalement dépendante de l'activité de la ville proche. Peu à peu, au fil des générations et des successions, les familles paysannes autochtones ont abandonné la ferme et l'exploitation agricole,devenue trop petite pour nourrir la famille sous les conditions imposées par le marché, livrant les parcelles les plus accessibles et viabilisables à la construction immobilière. Leurs enfants se sont répartis les terrains et ont "fait construire" ; ils sont bien souvent employés à la ville. Ils se méfient de leurs nouveaux voisins, ces " étrangers de la ville" à qui ils ont vendu un lot. Anciens citadins locataires d'une HLM, ils sont venus habiter une maison individuelle acquise au prix de sacrifices trop lourds à porter et de trajets incessants entre leur zone résidentielle et leurs lieux d'emploi et de consommation, distants d'une quinzaine de kilomètres. Chacun court dans sa solitude. Au village, il y a très peu d'activité, presque tous les commerces sont fermés, seules quelques personnes âgées vont et viennent . La Poste est encore ouverte quelques heures par jour. Plus de café, plus de temps pour une partie de cartes ou de boules dans ces" lieux intermédiaires" chers à Christopher Lasch, "ces lieux sans façon où l'on échange, où l'on s'informe et se rassure, ces lieux qui encouragent la conversation, essence de la vie civique. Lieux de rendez-vous à mi-chemin entre le lieu de travail et le cocon familial (1). De temps à autre, une initiative municipale ou une fête annuelle fait sortir de sa torpeur tout ce petit monde dispersé dans ces terres rendues infertiles.

Dans ces villages, plus de paysan, plus de commerçant ni d’artisan, même pas de messe le dimanche, bref plus d'activité. Ici, en fin de semaine, on dort, on bricole ou on tond sa pelouse et c'est presque tout. Pour tout le reste, en semaine, on prend sa voiture et on roule et comme on se fatigue et se ruine en carburant pour assurer l'essentiel, le superflu disparait et les liens se distendent, la télévision fait le reste.

Dans ce grand chambardement, le cœur de ces villes provinciales, petites capitales locales, s'est aussi arrêté de battre. Face à la concurrence démesurée des centres commerciaux installés à la périphérie, les commerces du centre-ville ferment les uns après les autres. Des rues entières se sclérosent et meurent. Anciennes cités industrielles livrées à la concurrence du grand marché international, elles sont aujourd'hui asphyxiées par la fermeture de la petite gare ferroviaire ou par le développement du TGV qui ne s'arrête plus. Elles sont aussi délaissées par les grands groupes industriels qui leur préfèrent des métropoles à envergure internationale ou la proximité d'une infrastructure aéroportuaire ou autoroutière. Les usines textiles, les tanneries et autres papeteries ont presque toutes cessé de fonctionner, seuls les bâtiments survivent, témoins de ces activités à jamais révolues.

Les zones industrielles et commerciales qui ceinturent la ville et l’asphyxient sont les seuls lieux où se concentre l'activité, où l'on travaille et où l'on consomme dans l'anonymat, dans des espaces standardisés faits de tôles, de plastique, d'enseignes lumineuses avec de vastes parkings, le tout totalement déshumanisé et dénué d'une quelconque beauté. La ville n'est plus ce " lieu d'échange et de rencontres, de mise en cause des certitudes, d’ouverture d’esprit, de brassages qui favorisent l’acceptation de la différence et la tolérance " (Jacques Lévy). La ville, comme le village ne sont plus ces espaces d'urbanité. Coincé des heures durant dans sa petite auto, entre le travail, les courses et la maison, l'individu périurbain, fatigué, s'affale ensuite dans son canapé et livre son cerveau aux écrans, oubliant ainsi la monotonie de son quotidien.

Pas de travail à la campagne, de moins en moins d'usines à la ville la plus proche, des emplois trop souvent précaires dans les zones périphériques, l'assignation à résidence pour vingt ans de crédit sur la maison individuelle, telles sont les plaies dans ces villages qui conduisent à la résignation, à la solitude et au repli sur soi, terreau fertile pour que cristallisent des convictions et des idées simplistes et dangereuses.

Réactiver ces territoires est aujourd'hui une impérieuse nécessité. Redonner la terre à ceux qui veulent la travailler, rouvrir des commerces et des ateliers ; recréer une économie de proximité est vital pour tous ces villages en état de mort cérébrale. Les ressources existent, ça et là des initiatives fleurissent (2), des fermes renaissent, mais ce mouvement est encore timide et fragile. Il manque une volonté politique pour faire de ces montagnes et vallées un endroit où il fait à nouveau bon vivre toute l'année dans une économie à réinventer. Mais pour cela, il faudra cesser de croire que le cours du progrès est déjà tracé.

REALLOUER LA TERRE A CEUX QUI LA TRAVAILLENT ET LA RESPECTENT

Les derniers évènements de Bretagne illustrent de manière spectaculaire l'impasse dans laquelle le modèle de l'agriculture industrielle,( quel oxymore !) imposé par la Communauté Européenne et mise en musique par la FNSEA a conduit l'ensemble du monde agricole. La transformation de la partie moins rentable de nos campagnes en dortoirs urbains ou, moins pire ?, en lieux à touristes à qui on va vendre en souvenir une confiture de marrons faite maison est aussi une des conséquences de cet "agrobusiness" qui, non content d'empoisonner et appauvrir les bonnes terres (3) et de nous intoxiquer dangereusement, invalide tout autre modèle économique fondé sur une agriculture paysanne familiale respectueuse de la terre et de l'environnement. Pour inverser ce cycle infernal qui ne fait que monétiser l'agriculture et la terre en détruisant les ressources, il faudra bien se mettre autour d'une table et prendre les mesures qui s'imposent pour que dans un premier temps cesse l'urbanisation des terres agricoles et l'inflation qui en découle sur le prix à l'hectare, empêchant, malgré les efforts d'associations comme terre de liens , à de jeunes agriculteurs d'avoir accès à leur outil de travail, la terre. Interdire toute viabilisation de terres agricoles en terrains constructibles et encourager la réhabilitation des maisons de village et la densification de l'habitat dans les hameaux et centres existants est une première piste. Revaloriser le travail paysan est un deuxième axe de réflexion. Aujourd'hui "sur 100 euros de dépenses alimentaires des ménages, seulement 7 euros reviennent à l'agriculteur. Sur 100 euros de dépenses totales des ménages, 15 euros sont consacrés à l'alimentation et 1 euro seulement revient au producteur !" ( l'Humanité 21/11/2012 ). Pour encourager une agriculture de qualité, il faut protéger les producteurs de la pression économique que leur imposent les centrales d'achats des groupes de distribution en leur garantissant un prix minimal et suffisant pour l'ensemble des produits agricoles.

Une troisième piste prometteuse et celle, maintes fois abordée dans des articles d'AgoraVox, de l'attribution d'une allocation universelle et inconditionnelle de solidarité ( 4 ) financée d'une part par une ré-allocation partielle des différents mécanismes actuels de redistribution, complexes, mités par mille et une exemptions, et d'autre part par une contribution sur les patrimoines nets. La baisse constante des revenus agricoles conduit à cette désertification des campagnes. Ce revenu complémentaire, attribué à tous, fruit de l'ensemble de la richesse créée, permettrait de viabiliser de nouvelles installations d' exploitations agricoles , de rouvrir des commerces et de mettre en œuvre de projets artisanaux et de services de proximité dans les villages ou au centre des villes. D'après l'INSEE, un foyer sur trois dans le monde agricole perçoit un revenu complémentaire d'activité salarié extérieur à la ferme supérieur à un demi-Smic net. Allouer un revenu complémentaire d'existence même modeste ( de l'ordre d'un demi-Smic par personne par exemple ) permettrait au foyer de se consacrer entièrement à l'activité principale à la ferme ou au village, et ainsi de la développer, pérennisant son existence. Par l'assurance de l'allocation à tous les membres de la famille de ce revenu de base, des investissements deviendraient possibles contribuant à la renaissance d'une économie locale, maîtrisée et respectueuse des contraintes environnementales locales. Par la confiance retrouvée, en reprenant en main leur destin et celui de leur communauté de proximité, les habitants des campagnes redonneraient aussi à la démocratie une vitalité nouvelle.

On a pas ici la prétention de refaire le monde, on ouvre quelques portes, on soumet quelques idées à la sagacité des lecteurs. Seule la prise en main de leur destin par tous ceux qui sont concernés permettra de faire bouger les lignes. Ne soyons pas naïfs, ceux qui ont pris l'habitude de transformer tous nos beaux paysages et nos terres en billets de banque, ne lâcheront pas l'affaire facilement. Mais succomber à la résignation nous conduira tous à notre perte et il est à craindre que les jours soient comptés.

" Quand le dernier arbre aura été abattu.....Alors on saura que l'argent ne se mange pas" Geronimo, né le 16 juin 1829 dans la tribu apache Bedonkohe près de la rivière Gila et mort le 17 février 1909 à Fort Sill

LA SCIENCE DU PARTAGE

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(1) Christopher Lasch - " La révolte des élites et la trahison de la démocratie" Editions Champs Essais- Page 127-128

(2) Voir le site Terre d'envies et la main paysanne qui regroupe des paysans pour la commercialisation par eux-mêmes de leurs produits

(3) Voir l'article "Comment détruisons-nous les sols agricoles" par cedricfrancoys

(4) Voir l' article 1000 euros pour tous utopie ou une nécessité de O. Cabanel , les articles d'E. Coux de JPM et le revenu d'existence une invention de l'économie libérale


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