Blanc de Sylvain Tesson

par Armelle Barguillet Hauteloire
lundi 27 février 2023

 

En compagnie de Sylvain Tesson, le voyage est toujours une aventure intérieure d'une incroyable densité. On se perd dans un ailleurs qui est, en quelque sorte, comme une reconquête de soi-même, car sous la blancheur, celle de la neige évoquée ici, "le monde se retire". Cet écrivain a quelque chose du magicien, magicien des mots certes, mais bien davantage, magicien d'un univers qui est semblable au vent, à l'effort, à la flamme, à la neige, à la blancheur. Oublions le quotidien, suivons-le, car Tessson est un enchanteur plein d'amour pour l'éphémère, invoquant des paysages qui sont l'âme du monde. Il s'y prépare en permanence. Ce vagabond de l'esprit a en horreur les vies obèses chargées de "trop de tout". Lui aime à s'évader, s'ébrouer dans les paysages solitaires, les chemins vagues, les altitudes splendides, les sommets de cristal avec ce souhait figé au coeur de ne "jamais redescendre dans les galeries de la termitière." 

 

Pour parvenir à cela, il faut accepter ce qui est, pour la plupart d'entre nous, inacceptable : le froid, la solitude, le danger, la fatigue, la peur : "C'était le miracle de chaque aube, la bénédiction de chaque départ." Et où va-t-il ce vagabond qui sait si bien fixer ses rêves, mettre à mal ses inquiétudes, en danger sa vie ? Partout où l'aventure sera une conquête sur le quotidien, des signes dans l'unité du blanc, celle de la neige des hautes altitudes. La blancheur est un univers à lui seul qui fait, en quelque sorte, de votre voyage une prière, une quête d'absolu. Se rendre ailleurs, voilà la formule qui rassemble les mots, qui font des lignes que vous tracez un ailleurs permanent, tant elles ne cessent de se prolonger, de vous rendre poète, magicien, pourvoyeur de rêves : " L'homme serait inspiré de faire comme l'aiguille : retenir les rayons de la vie. Jamais les ombres." 

 

Des brassées de visions, Sylvain Tesson en a eu chaque jour au cours de ce long périple réalisé en plusieurs fois dans les Alpes de la Savoie, du Valais, du Tessin, du Tyrol, des Alpes juliennes "dont l'absence de singularité garantissait l'éclat". Ce que ses compagnons et lui ont cherché, chacun à leur manière, est de voir le monde et la nature non comme un paysage mais une substance, une substance universelle "dont la traversée s'appelle ... le rêve." Courses folles, dangers permanents, "dans les vallons blancs et les versants de brouillards", ils ont promené à force d'efforts quotidiens leur quête d'un ailleurs intime où la blancheur investit l'esprit dans une méditation scandée par le mouvement. 

 

On referme ce livre comme on le ferait d'un émouvant message de vie. La patience ne triomphera-t-elle pas de l'immensité davantage que de la force, la solitude des neiges ne l'emportera-t-elle pas sur l'obstination, tant il est vrai qu'au pied d'une montagne "on a intérêt à tronçonner ses ambitions", mais point à renoncer à ses rêves. Un livre magique dans nos vies effarées de stimuli où le délestage devient mission impérieuse. Oui, "la blancheur pardonne à l'inutile" - en le masquant, et au terme d'une journée de liberté dans la montagne où l'auteur nous invite à le suivre, nous saisissons "l'oscillation entre l'effort de la brute et la communion de l'ange".

 

Armelle Barguillet Hauteloire

 


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