Bokassa Ier : le drame d’un empereur déchu, fruit du colonialisme français
par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
samedi 14 décembre 2024
Jean-Bedel Bokassa, né le 22 février 1921 en République Centrafricaine, connue à l’époque sous le nom d'Oubangui-Chari, est une figure controversée de l'histoire africaine du XXe siècle. Son ascension au pouvoir, son règne en tant qu'empereur et son passé militaire prestigieux au service de la France sont des éléments qui ont façonné sa personnalité autoritaire et extravagante. Bokassa incarne à la fois l'ambition d'un homme et les complexités des relations post-coloniales entre la France et ses anciennes colonies.
Un soldat au service de la France
Avant de devenir l'un des dirigeants les plus redoutés d'Afrique, Bokassa a d'abord servi dans l'armée française, dès 1939. Engagé dans les Forces françaises libres, il prend part à des opérations majeures de la Seconde Guerre mondiale, du débarquement de Provence à la bataille du Rhin. Après-guerre, il poursuit sa carrière militaire en Indochine et en Algérie. Ses états de service exceptionnels lui valent de nombreuses distinctions, dont la Légion d'honneur et la croix de guerre. Il sert notamment sous les ordres du célèbre général Marcel Bigeard avant de terminer sa carrière comme capitaine.
Après avoir combattu pour la France pendant près de 20 ans, Jean-Bedel Bokassa retourne en Centrafrique, alors territoire sous mandat. Fort de son expérience militaire significative et de sa popularité grandissante, il devient un acteur clé de la scène politique centrafricaine. Au moment de l'indépendance, son aura de leader charismatique et son passé de combattant courageux et héroïque lui permettent de se positionner comme un homme providentiel, prêt à prendre les rênes du pays à tout moment.
L'ascension au pouvoir
Dans la nuit du 31 décembre 1965 au 1er janvier 1966, Jean-Bedel Bokassa, alors colonel et chef d'état-major de l'armée centrafricaine, met fin au pouvoir de son cousin, le président David Dacko, par un coup d'État militaire. S'appuyant sur l'armée qu'il contrôle fermement, il instaure un régime autoritaire marqué par la répression politique. Quelques années plus tard, il se proclame maréchal et président à vie, consolidant ainsi son emprise totale sur le pays. Sous son règne, la Centrafrique se transforme en un État policier où les libertés individuelles sont bafouées et où les opposants sont systématiquement emprisonnés ou éliminés.
La quête de reconnaissance internationale pousse Bokassa à adopter le titre d’empereur en 1976. Son couronnement, marqué par un faste inégalé, est une mise en scène soigneusement orchestrée pour asseoir sa légitimité et présenter une image de grandeur à l'étranger. En s'inspirant de l’empereur Napoléon Ier, dont il est un fervent admirateur, Bokassa cherche à se doter d'une aura mystique et à se placer au rang des grands souverains de l’histoire du monde.
Un sacre fastueux
Dans une mise en scène grandiose rappelant le sacre de Napoléon Ier à Notre-Dame de Paris, Jean-Bedel Bokassa, entouré de sa garde personnelle, se couronne empereur de Centrafrique le 4 décembre 1977, dans le nouveau stade de basket-ball de Bangui, la capilate centrafricaine. Entouré de sa famille, de diplomates et d'invités prestigieux, le nouveau souverain a prêté serment devant un imposant trône en forme d'aigle.
Puis, 101 coups de canon marquent cet événement solennel. Vêtu d'un manteau d'hermine et d'une couronne ornée de 6 000 pierres précieuses, il reçoit également un sceptre d'or massif. Son épouse Catherine, à l'instar de Joséphine, est couronnée à ses côtés. Le ministre français de la Coopération , Robert Galley, était là pour représenter le président Valéry Giscard d’Estaing.
Les festivités du couronnement de Bokassa Ier ont été marquées par un faste excessif et indécent. Pour financer cet événement somptueux, qui avait coûté la bagatelle de 150 millions de francs français (soit près d'un quart du budget annuel de la Centrafrique), le régime avait imposé une baisse de salaire de 50% à plus de 40 000 fonctionnaires.
Un bref règne controversé
Sous le règne de Bokassa Ier, la Centrafrique sombre dans une dictature brutale caractérisée par des violations massives des droits de l'homme, des détournements de fonds publics à grande échelle et une gestion calamiteuse de l'économie. Les événements de janvier et avril 1979, où une centaine d'écoliers et de lycéens ont été froidement assassinés, ont marqué un tournant et ont provoqué un tollé international. Même la France, qui avait soutenu Bokassa par le passé, s'est distanciée de ce régime de plus en plus isolé.
Cependant, le passé militaire de Bokassa, pur produit du colonialisme français, joue un rôle crucial dans sa capacité à maintenir son pouvoir. Il utilise l'armée pour réprimer les révoltes et les oppositions, s'appuyant sur des méthodes de terreur pour asseoir son autorité. Son expérience militaire lui permet également de naviguer dans les complexités des alliances internationales, bien qu'il finisse par se retrouver totalement isolé.
La chute de l’empereur et ses conséquences
Dans la nuit du 20 au 21 septembre 1979, alors que Bokassa est en visite officielle en Libye, les forces spéciales françaises donnent le coup d'envoi de l'opération Caban. Un commando infiltré s'empare de l'aéroport de Bangui, puis des renforts arrivent par avion. Après la prise de la capitale, David Dacko, ancien président, est rétabli dans ses fonctions. L'opération Barracuda, menée par des troupes régulières, prend ensuite le relais pour consolider la nouvelle autorité et assurer la sécurité du pays.
En 1979, le scandale des diamants, révélé par le Canard enchaîné, a sérieusement écorné l'image de Valéry Giscard d'Estaing et a pesé sur sa réélection. Exilé en France, l’ancien empereur centrafricain était l’informateur de l’hebdomadaire satirique car il ne pouvait toujours pas se résoudre à accepter la trahison de "son parent et ami", à l’origine de sa chute.
Malgré sa condamnation à mort par contumace, il a tenté de revenir en Centrafrique, persuadé d’être accueilli comme un héros par une foule en liesse. Il a finalement été arrêté et jugé. En 1987, il est reconnu coupable de plusieurs crimes, à l'exception du cannibalisme. Condamné à la peine de mort, sa peine est par la suite commuée en 20 ans de réclusion par le président André Kolingba. Libéré en 1993, l'ancien empereur, qui s’était autoproclamé Treizième Apôtre du Christ, s'éteint à Bangui trois ans plus tard. En 2010, 14 ans après sa mort, l'ex-président et empereur centrafricain a été "réhabilité dans tous ses droits" par le président François Bozizé.
Les timbres-poste qui illustrent cet article font partie de la collection personnelle de l'auteur.