Brider les moteurs peut-il aider à sauver des vies ?

par Roues Libres
jeudi 30 mars 2006

Connaissez-vous l’ APIVIR ? C’est l’Association pour l’ interdiction des véhicules inutilement rapides. Son président est le Pr. Got, dont les incontestables compétences en matière d’anatomopathologie et les éminentes contributions à la sécurité routière n’ont d’égale que son infatigable propension à occuper la scène médiatique. Après avoir milité, avec le succès que l’on sait, pour un contrôle tâtillon de l’enchevêtrement de nos limitations, le voici qui, au nom de la logique, revendique avec son association que les véhicules soient bridés à 200 km/h.


On ne peut pas en vouloir au professeur Got d’avoir l’air si triste. Comme il le dit lui-même, son bureau, placé à l’entrée de la morgue de Garches, lui a fait côtoyer, sa vie durant, des cadavres inutiles et des drames familiaux épouvantables. Ses recherches en matière d’accidentologie, qui furent nécessaires pour mesurer l’impact sur des cadavres de chocs violents, n’ont pas non plus contribué à faire de lui un gai luron. Et que dire de son autre spécialité, la toxicologie et les drogues... Pas étonnant donc qu’il ressemble à Greenspan.

Il aurait pourtant de quoi se réjouir, ce bon professeur (retraité), du succès indiscutable (mais à quel prix ?) des mesures prises pour réduire la vitesse sur nos routes. Encore insuffisant ; la solution ultime passe, selon lui, par le bridage des véhicules. C’est l’objectif que s’est fixé l’ APIVIR. Avec comme première étape, une limitation technique à 200 km/h, ce qui peut paraître en effet suffisant en France, compte tenu de la limite maximale à 130 km/h fixée sur nos autoroutes. Mais personne n’est dupe, l’objectif ultime à atteindre devant se rapprocher le plus possible de zéro, par étapes successives, afin que le dernier mort sur nos routes ne puisse que s’être suicidé de désespoir.


Et voici qu’entre en scène Monsieur Michel Parigot, membre du bureau de l’APIVIR. Qui est Michel Parigot ? C’est le président du Comité anti-amiante de Jussieu, professeur de mathématiques de profession. Il s’est rendu récemment célèbre avec l’affaire du Clémenceau. Et le voici qui, encouragé par sa victoire, réitère en introduisant un recours auprès du Conseil d’ Etat afin d’obliger l’Etat français à refuser l’homologation de véhicules capables de dépasser 200 km/h, soit environ la moitié des véhicules distribués en France. Il sait bien, cependant, que les homologations sont désormais effectuées au niveau européen, et que seule une réglementation européenne pourrait éventuellement imposer ce type de limitation. Mais en bon lobbyiste, son problème est avant tout d’occuper l’avant-scène médiatique. France Info n’a pas manqué de se joindre à son effort tout au long de la journée du 29 mars, en nous faisant haleter d’impatience dans l’attente de la décision du Conseil d’Etat. Mais au-delà de cet épisode, cette petite affaire a le mérite d’attirer notre attention sur les comportements des professionnels de l’agitation.


Car que vient faire Monsieur Parigot dans cette association, sinon de la faire bénéficier de son expérience en matière d’agitprop  ? Quelle est la représentativité réelle de ces groupes de pression qui prennent par médias interposés la démocratie en otage, pour satisfaire leur goût de l’oppression sécuritaire ? Qu’un chauffard se signale à l’attention des médias et hop, les micros se tendent vers le professeur Got et MMe Jurgensen. Qui bien entendu en profitent pour généraliser, et réclamer pour le plus grand nombre des mesures régressives. Il faudra désormais compter aussi sur Monsieur Parigot. Automobilistes, courbons l’échine...

Sur le fond, qu’en est-il vraiment ? L’ évolution technologique a considérablement développé la puissance spécifique de nos véhicules, afin d’en améliorer l’efficacité, en termes de consommation et d’émissions. Plus de couple à bas régime, plus de reprises pour plus de sécurité active et de dynamisme. La vitesse maximale limitée de manière volontaire (sauf les très sportives) par les constructeurs à 250 km/h est une vitesse certes très élevée, mais qui ne pose pas de problème insurmontable à un conducteur expérimenté sur une autoroute déserte. C’est autorisé en Allemagne et interdit en France. Soit. Pour être un usager très régulier de nos autoroutes, je peux témoigner ne voir qu’extrêmement rarement des véhicules utilisés dans ces conditions -devenues par contre dangereuses chez nous, compte tenu des erreurs d’appréciation que l’écart de vitesse peut entraîner, notamment lors des manoeuvres de dépassement. Donc mis à part quelques gofast et autres douteux trafiquants qui, de toutes façons, pourraient en changeant une simple puce débrider facilement leur véhicule, une telle disposition ne saurait concerner un conducteur simplement normal. Par contre, comment s’étonner ensuite de la vogue des 4*4, qui répondent précisément, dans l’ esprit des consommateurs, à un besoin de conduite apaisée, où la vitesse ne serait effectivement plus un critère de différenciation, dans une société tournée vers les loisirs ? Je l’ai déjà écrit, la vogue des 4*4 est la conséquence de la convergence entre les limitations de vitesse et les 35 heures... Mais là aussi, les associations veillent : les 4*4 devraient aussi être interdits.


La cible est évidente, et c’est toujours la même. C’est l’automobile, telle qu’elle est vue par un certain nombre d’amateurs ou de vieux enfants, en diminution constante hélas chez nous, comme un objet de technologie ou de rêve. Celui qui figure tout en haut de la liste du père Noël ou du Loto, même et surtout s’il ne sert à rien. A quoi sert une Ferrari ? A rien, bien sûr, sinon à faire rêver, y compris et surtout ceux qui n’en auront jamais. Et parmi ces derniers, il y a ceux qui sont simplement contents de rêver, et les autres. Les frustrés, les aigris, les jaloux. Les rayeurs de portières et dégonfleurs de pneus, notre grande spécialité en France, où le respect du bien d’autrui n’est plus, de bien longue date, une simple vertu citoyenne. Mais une Porsche ou une Ferrari, ce sont aussi et surtout des emplois, de la recherche, le sens de la perfection au service d’une industrie de luxe, qui, comme d’ autres, fait partie des rares sujets sur lesquels l’économie européenne possède encore un avantage déterminant, et qu’elle puisse garder.


Faut-il donc détruire tout cela au nom d’une sorte de principe d’égalité qui voudrait nous ramener tous au niveau du plus petit de nos communs dénominateurs ? Les Baupin, les Parigot sont des tueurs de rêves. Les jardiniers de notre neurasthénie. Ces bobos parisiens, qui ne s’intéressent même pas à la marque de leur vélo, nous proposent une société de langueur morbide et d’ennui. Et une illusion de vie éternelle qui, après avoir éradiqué le dernier de nos risques vitaux, ne nous laisserait que dans l’attente d’une vieillesse sans souvenirs et d’une vie sans mémoire. Etonnons-nous ensuite que nos jeunes s’ennuient rien que d’y penser !


Je dédie ces lignes à Paul Dana, mort de sa passion le 26 mars à Homestead, lors de la première manche du Championnat IRL

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