Bruxelles s’oppose à l’intention de Londres de renvoyer tous les migrants en UE

par Patrice Bravo
samedi 5 juin 2021

"Rétablir le contrôle des frontières après la sortie de l'UE", c'est ce qu'avait déclaré le premier ministre britannique Boris Johnson en prévision des législatives anticipées de 2019. 

Les différends avec Bruxelles concernant la politique migratoire sont devenus l'une des raisons expliquant le lancement de la procédure du Brexit. Maintenant que la sortie de l'UE est un fait accompli, le cabinet de Boris Johnson a l'intention de tenir sa promesse : en juin déjà, le parti conservateur soumettra au parlement un projet de loi appelé à changer foncièrement la législation migratoire. Certains de ses termes ont déjà suscité le mécontentement à Berlin et à Paris. 

"Le principe central à la base de notre projet est simple : la justice", stipule le préambule du document publié mi-avril. "L'accès à notre système d'asile doit être accordé aux personnes dans le besoin, et non à ceux qui sont capables de s'offrir les services des contrebandiers", constate le projet de loi. Ainsi, Londres a l'intention de tracer une ligne de démarcation nette : ceux qui arrivent par la Manche sur un bateau gonflable ou dans la remorque d'un camion perdent le droit de long séjour et ne peuvent compter que sur un asile temporaire. En outre, la réunification d'un migrant avec sa famille avec le déménagement de ses proches devient pratiquement impossible, selon ce document. 

Par ailleurs, les individus à la recherche d'un asile au Royaume-Uni n'attendront pas la décision d'attribution d'un statut approprié en Grande-Bretagne, mais sur les îles qui constituent un territoire d'outre-mer du pays : il est actuellement questions de l'île de l'Ascension dans le sud de l'Atlantique, qui se trouve à plus de 6.000 km de Londres. Dans la pratique le refus de laisser entrer des réfugiés sur son propre territoire correspond à "l'expérience de l'Australie", adoptée par Boris Johnson en décembre 2019 déjà. L'ancienne colonie britannique envoie les "réfugiés en bateau" sur les îles de Nauru et de Papouasie-Nouvelle Guinée, situées à des centaines de kilomètres du littoral, depuis les années 1980, en ignorant les accusations régulières de l'Onu d'enfreindre la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. 

Londres avance également une autre initiative majeure. Les personnes demandant un asile au Royaume-Uni qui y sont venues via d'autres pays, par exemple la France ou la Belgique, où elles auraient pu déposer une demande d'asile, ne peuvent pas être admises dans le système britannique d'accord d'un asile. Avec la sortie de l'UE le Royaume-Uni n'est plus concerné par le Règlement Dublin III qui permet de renvoyer les demandeurs d'asile dans le premier Etat membre de l'UE. L'accord de commerce et de coopération entre signé l'UE et le Royaume-Uni le 30 décembre 2020, à la veille de la décision fatidique, ne prévoit pas une coopération sur les migrants. C'est pourquoi la ministre britannique de l'Intérieur, Priti Patel (dont les parents ont fui l'Ouganda en Angleterre dans les années 1960), a l'intention de signer des accords bilatéraux avec les pays de l'UE séparément. 

Cependant, ces derniers refusent de parler à Londres. Paris a déclaré qu'il n'était pas du tout intéressé par un accord bilatéral. La logique des autorités françaises est claire : puisque la grande majorité de migrants passent par la Manche depuis la France, Paris serait forcé de les faire revenir. La réponse de Bruxelles aux désirs de Priti Parel est la même : "A l'heure actuelle, nous ne comptons pas mener des négociations sur des avenants à l'accord en vigueur." Le ministre allemand de l'Intérieur Horst Seehofer a déclaré que "le gouvernement fédéral prône la signature d'accords avec le Royaume-Uni au niveau européen", formulant ainsi un refus clair à Londres. 

Peu de temps avant le Brexit, l'Allemagne a pu voir d'elle-même la signification politique du thème migratoire pour Boris Johnson. Si en 2019 le Royaume-Uni a envoyé à Berlin 794 demandes de renvoi de demandeurs d'asile sur le territoire allemand dans le cadre du Règlement Dublin III, en 2020 ce nombre a augmenté jusqu'à 2.200. Ce chiffre qui a triplé ne signifie qu'une chose : les résultats de la gouvernance de Boris Johnson seront évalués en fonction de sa capacité à tenir ses promesses de "rétablir le contrôle des frontières du Royaume-Uni".

Alexandre Lemoine

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Source : http://www.observateurcontinental.fr/?module=articles&action=view&id=2784


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