Burqâ Karl Lagerfeld se cache-t-il toujours derrière des lunettes noires ?

par Paul Villach
vendredi 31 décembre 2010

On s’insurge – et on a raison - contre la honte de la burqâ qu’une femme porte de gré ou de force pour refuser son visage à autrui soupçonné a priori de concupiscence et donc jugé indigne de le voir. Quelle relation établir avec qui se dissimule derrière une meurtrière pour ne laisser paraître dans sa fente que des yeux ? Se présenter à visage découvert est la première marque de respect due à son interlocuteur. Habitué dans notre civilisation à le faire depuis toujours, on pouvait l’avoir oublié puisque la question ne se posait pas. Le débat sur la loi interdisant le voile intégral l’a utilement rappelé en 2010.

Le refus de l’aumône d’un regard
 
Du coup, on peut s’interroger sur l’apparence extravagante d’une star de la mode à la mode qu’on ne peut soupçonner d’ignorer cette vérité première puisque le dévoilement des femmes selon les saisons est son métier. Il est un des chefs d’orchestre de la mode depuis des années. Dans quelles soirées mondaines ne court-il pas ? Un magazine qui les écume, peut-il ne pas avoir au moins une photo de Karl Lagerfeld où on le voit, entouré de ses mannequins aux anges, dresser droit le cou engoncé dans la prothèse d’un collet monté empesé de chemise blanche, sanglé d’un noeud papillon aux ailes noires déployées et, le visage hiératique invariablement masqué d’une paire de lunettes noires sous une crinière blanche, refuser à autrui l’aumône même d’un regard ?
 
De la part d’un expert de l’image qui façonne à sa guise celle des femmes et vient de réaliser le calendrier 2011 de la firme de pneumatiques Pirelli en dévêtant ses créatures comme le veut la tradition publicitaire automobile accro du leurre d’appel sexuel, on est surpris de cette mise en scène de lui-même si étudiée pour stimuler, il faut l’avouer, non le réflexe de voyeurisme qu’il sait si bien attiser par ses créatures féminines, mais un réflexe de répulsion envers sa personne.
 
Une gerbe d’ intericonicités répulsives
 
Ce visage qu’on devinerait élégant sans ce foutu bandeau de lunettes noires qui le défigure, suscite une gerbe d’ intericonicités, toutes plus répulsives les unes que les autres.
 
Ces lunettes de soleil qui embellissent tant les visages offerts à l’aveuglante lumière de l’été, sont portées par les femmes en diadème sur la chevelure pour ajouter à leur grâce dans l’ombre des intérieurs. Mais ce n’est pas l’usage qu’en fait M. Lagerfeld : de jour comme de nuit, qu’il soit en extérieur ou en intérieur, sous les spots ou dans la pénombre, le maître arbore sur ses photos le même masque mortuaire au regard aveugle chaussé de lunettes noires.
 
Foudroie-t-il son monde d’un regard qu’on ne saurait soutenir sans dommage ? Est-ce donc par pure bienveillance qu’il dresse cet écran noir ? A-t-il comme la Méduse le pouvoir de transformer en pierre celui qui ose le regarder dans les yeux ? Quel Persée percera son mystère ?
 
Les lunettes noires font partie de la panoplie des dictateurs. Et c’est justice : ils n’ont pas un regard pour les peuples qu’ils méprisent et écrasent sous leurs bottes. Des tyranneaux de tout poil les imitent. On a vu soi-même un directeur de ressources humaines, le DRH d’une grande entreprise, venir se plaindre du sort qu’on réservait à sa fille parce qu’elle fraudait et intimidait une camarade avec sa bande : il portait pendant l’entretien des lunettes noires à la Lagerfeld qu’il a soudain enlevées dans un ample mouvement circulaire du bras pour éructer : sa fille ne trichait pas ! C’était impossible, il lui donnait une bonne éducation ! La sienne, en tout cas, n’allait pas jusqu’à tomber ses lunettes par égard pour un professeur au cours d’un entretien ! Il faut sous la colère une perte de contrôle pour que pareil individu exhibe ses yeux fuyants.
 
Dans les films hollywoodiens, les « Men in black » à lunettes noires prolifèrent, policiers ou truands. Toute relation humaine pour eux n’est qu’intimidation : un visage sans regard est le premier coup de semonce.
 
Une infirmité à cacher ?
 
Mais quelle raison M. Karl Lagerfeld aurait-il de jouer à ces pantins répugnants, lui qui œuvre au service de la grâce féminine ? On en vient à soupçonner le pire, car, par une autre intericoncité, des lunettes noires sont le masque nécessaire à l’aveugle pour cacher son infirmité. Mais Karl Lagerfeld n’est pas aveugle ou alors comment ses créations célèbreraient-elles la beauté féminine ? Cache-t-il, en revanche, un strabisme comme celui de Jean-Paul Sartre dont l’intelligence aux yeux de ses interlocuteurs corrigeait la disgrâce. Le discours de Karl Lagerfeld serait-il moins séduisant ? Souffrirait-il plutôt d'une intolérance oculaire à la lumière ? Pour qui par métier ne peut vivre sans elle et la recherche même éclatante, c’est un évident handicap. L’aurait-il retourné habilement en un signe de distinction publicitaire ?
 
Qu’on n’attende pas de lui le moindre éclaircissement ! « Pour moi, aurait-il répondu, les lunettes noires sont comme des ombres à paupière portables. À travers les verres teintés, le monde est plus beau et tout le monde rajeunit instantanément de 10 ans. Voilà pourquoi je porte toujours des lunettes noires.  » On est bien avancé ! Le mystère reste entier.
 
Heureusement, la star ne fait toujours pas d’émules, bien qu’on soit allée la chercher il y a deux ans et demi pour une publicité de la prévention routière où, de nuit, pris comme un lapin dans les phares d’une voiture, elle apparaît stupidement en lunettes noires (1) ! Dieu merci, celles-ci n’ont toujours pas proliféré comme les casquettes à visière sur la nuque. Mais comment expliquer que l’on doive à autrui le respect de lui parler à visage découvert quand une star comme Karl Lagerfeld s’autorise le port continu d’une sorte de loup plaqué sur les yeux même quand ce n’est pas Carnaval ? Paul Villach 
 
(1) Paul Villach, « Karl Lagerfeld en naufragé de la route... et de la Sécurité routière  », AgoraVox, 23 juin 2008

Lire l'article complet, et les commentaires