Ça déménage au Louvre

par Manuel Atreide
vendredi 19 janvier 2007

Le monde de la culture est sur les dents ces temps-ci. Avec les projets de création de musées « Louvre » à Abou-Dhabi, « Centre Pompidou » à Shanghaï, c’est toute la conception actuelle des musées qu’on pense voir - à tort ou à raison - remise en cause.

Depuis la publication dans les colonnes "tribune" du journal Le Monde, le 13 décembre dernier, d’un papier signé notamment par Françoise Cachin, directrice honoraire des musées de France, ancienne directrice du Musée d’Orsay, le tout-Paris impliqué dans la culture et l’art bruisse de rumeurs, débats passionnés, pétitions. Les articles se multiplient dans la presse nationale généraliste et nous voyons poindre le début d’un nouveau "vrai scandale" dans le monde de l’art.

Petit rappel des faits

Le ministère de la Culture et le Musée du Louvre, établissement public, sont actuellement en phase ultime de négociations pour la création d’un musée à Abou Dhabi. Ce musée ne serait pas une extension du Musée du Louvre. Pour autant, il pourrait en porter le nom pendant vingt ans. Dans le cadre de cette création, le musée français apporterait ses compétences en matière scientifique, muséographique, de gestion, de conservation des oeuvres, etc. Le musée serait aussi mis à contribution, ainsi que d’autres musées de France, pour organiser l’exposition d’oeuvres dans ces nouveaux locaux, tandis qu’y seraient constituées des collections propres.

Le projet fait bondir ce que le milieu français compte de conservateurs -retraités ou en fonctions -, étudiants, directeurs d’établissements. Comment, on oserait brader la culture française, le patrimoine national ? On louerait - ou pire, vendrait - à l’encan ce que nos aïeux ont mis tant de temps à acquérir ? Non, décidément, non, on ne vendra pas La Joconde...

A contrario, vous avez des aficionados qui crient au génie, professent que la propriété des oeuvres va au genre humain et non à une nation, qu’une oeuvre ne vit que si elle bouge. Que, si ce n’est pas le Louvre qui s’implante dans cette future enclave dédiée au tourisme de luxe, d’autres musées se feront un plaisir de ramasser les morceaux que les Français, ces grands imbéciles arrogants, auront dédaignés.

Après ce bref - trop bref - résumé de la situation, j’aimerais siffler un temps mort. Allez, s’il vous plaît. Calmez-vous un instant. Laissez-moi vous rappeler une chose. Pour le moment, tout ce dont je viens de vous parler est au... conditionnel.

A l’heure actuelle, rien ou presque n’a filtré de la rue de Valois, siège du ministère de la Culture. Le contrat n’est pas finalisé, il est encore l’objet de discussions entre les autorités de l’Emirat et la France. A vrai dire, beaucoup de personnes parlent actuellement de quelque chose qu’elles ne connaissent même pas.

Pour être franc, je ne sais pas trop que penser du fond du sujet. Difficile de me prononcer, alors même que je ne sais pas ce que le contrat imposera, ou pas. En revanche, je suis inquiet sur plusieurs points.

1/ Les négociations en cours, quelle que soit leur confidentialité, doivent commencer à laisser filtrer un certain nombre de points acquis. Le sujet ne peut pas rester hors du domaine public, tant le sujet est d’importance. Les réactions épidermiques, l’attachement des Français au patrimoine, l’importance de ce dernier dans la première place de la France comme destination touristique vont interdire rapidement la discrétion sur les discussions en cours.

2/ Le ministère de la Culture se doit de replacer tout ceci dans le cadre plus vaste de la place de la culture, des arts et des grands musées. Nous sommes les propriétaires de ce patrimoine fabuleux. La moindre des choses est de nous tenir au courant de ce qui se prépare et de nous consulter sur les évolutions possibles. Un vrai travail de pédagogie politique est indispensable.

3/ L’importance même des évolutions qui sous-tendent ce contrat me fait m’interroger sur l’opportunité de la période de négociations. Nous sommes en campagne présidentielle. Dans trois mois se déroulera le premier tour de l’élection. Avant l’été, nous aurons changé aussi le parlement. Nouveau mandat présidentiel, nouvelle assemblée, nouveau gouvernement. Est-ce à un ministre sur le départ de mener à bien une telle négociation ? Est-ce à un gouvernement déjà dans les cartons de prendre de telles décisions ?

J’aimerais que nous cessions - pour un temps - de nous chamailler sur ce que nous pensons qu’il va arriver au Louvre, pour réclamer tous ensemble dans la cour du Palais Royal que Renaud Donnedieu de Vabre, ministre de la Culture, fasse son travail et vienne rendre compte au peuple de l’avancement de ses projets. Il sera toujours temps, après, de nous déchirer sur des bases solides, et non sur des fantasmes, fussent-ils si médiatiquement chics.


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