Camus, l’écrivain qui aimait la mer...

par rosemar
mardi 15 août 2017

 Toute l'oeuvre de Camus se présente comme un hymne à la vie et à la nature : ses romans sont marqués par la passion du soleil et de la mer : en 1938, il célèbre, dans Noces, l'union de l'homme avec la nature... Dès ses premières oeuvres, l'évocation de la mer est très présente : dans un roman de jeunesse, intitulé La mort heureuse, Camus évoque le simple bonheur d'un bain de mer... dans un texte lyrique empreint de sensualité...
 
Le nageur est assailli par des sensations contraires qui l'émerveillent : à la chaleur du premier contact, s'oppose le "courant glacé" qui pénètre ses membres et cette sensation tactile reste agréable. La sensation visuelle est aussi mise en jeu, on voit "des gouttes d'argent en volées" soulevées par le nageur, on entend "un bruit d'eau clapotante, étrangement clair", sensation audititive que met en valeur le silence....
Sensations visuelle et tactile se confondent dans l'expression "la lune et la tiédeur", créant une fusion, une harmonie des éléments, la mer et le ciel semblent se rejoindre...
 
La mer est personnifiée : elle devient une entité pleine de vie : elle est même décrite comme une femme, une amante, elle est "chaude comme un corps", le nageur est attiré irrésistiblement par "le visage d'un monde inconnu", la mer devient aussi "le coeur d'eau et de sel d'une vie inexplorée".
 
L'évocation est, ainsi, particulièrement sensuelle : le nageur prend conscience, dans cette union avec la mer, de son propre corps, il atteint une plénitude de sensations : l'homme perçoit ses mouvements avec une acuité nouvelle, il est conscient de sa force, il éprouve une sorte d'exaltation à sentir la cadence régulière de ses mouvements, il ne peut résister à l'envie d'aller toujours plus vite, il va jusqu'au bout de ses forces, jusqu'à se sentir "merveilleusement las."
 
La joie, le bonheur naissent de la communion avec les éléments, ce bonheur, cette plénitude permettent d'oublier tout, les contingences du monde, le passé.


 
Ce bonheur devient même une sorte de mystique, une exaltation quasi-religieuse : des oxymores viennent, alors, souligner la force de cette exaltation, à la fois "lucide et passionnée", la sensation glaciale qu'éprouve le nageur s'opposant à la brûlure de la mer : on retrouve là les images traditionnelles associées à l'amour : feu et glace, plaisir et souffrance...
La plénitude de l'instant se traduit aussi par des images à valeur symbolique : celles du semeur, du laboureur qui récolte une moisson de bonheurs...
Cette plongée dans la mer devient régénératrice : c'est une véritable renaissance : le nageur aspire même à s'enfoncer dans la mer, à s'y perdre pour s'y retrouver : l'antithèse montre que cette communion de l'homme avec la nature lui permet de se libérer du poids de la vie, de ses soucis, de ses souvenirs, pour retrouver une authenticité.
 
L'homme puise, dans la nature, une nouvelle force, le rajeunissement de tout son être, un espoir qui le régénère...
 
Le nageur ressent aussi la tentation de l'inconnu, le besoin de plonger et de s'effacer dans un monde nouveau comme s'il souhaitait prolonger et éterniser un moment de bonheur. Cependant, cette tentation de s'abandonner à la mer est à peine esquissée et le bonheur, la joie du corps l'emportent sur tout le reste.
 
Ce texte plein de sensualité, de lyrisme nous fait songer à un poème : images, oxymores, rythmes binaires et ternaires confèrent à cet extrait une harmonie qui sert à traduire une plénitude des sens, un bonheur dans l'union avec la nature.
 
Le rire du nageur, à la fin du texte, associé aux dents qui claquent, montre aussi toute l'ambivalence de la vie humaine partagée entre rires et angoisses, entre tourments et bonheurs...
 
Camus est bien l'écrivain de la Méditerranée, l'écrivain de l'humanisme, de l'humanité : il évoque si bien, à la fois, la force et la fragilité de l'homme...
 
 
L'extrait de La mort heureuse :
"Il lui fallait maintenant s'enfoncer dans la mer chaude, se perdre pour se retrouver, nager dans la lune et la tiédeur pour que se taise ce qui en lui restait du passé et que naisse le chant profond de son bonheur. Il se dévêtit, descendit quelques rochers et entra dans la mer. Elle était chaude comme un corps, fuyait le long de son bras, et se collait à ses jambes d'une étreinte insaisissable et toujours présente. Lui, nageait régulièrement et sentait les muscles de son dos rythmer son mouvement. A chaque fois qu'il levait un bras, il lançait sur la mer immense des gouttes d'argent en volées, figurant, devant le ciel muet et vivant, les semailles splendides d'une moisson de bonheur. Puis le bras replongeait et, comme un soc vigoureux, labourait, fendant les eaux en deux pour y prendre un nouvel appui et une espérance plus jeune. Derrière lui, au battement de ses pieds, naissait un bouillonnement d'écume, en même temps qu'un bruit d'eau clapotante, étrangement clair dans la solitude et le silence de la nuit. A sentir sa cadence et sa vigueur, une exaltation le prenait, il avançait plus vite et bientôt il se trouva loin des côtes, seul au coeur de la nuit et du monde. Il songea soudain à la profondeur qui s'étendait sous ses pieds et arrêta son mouvement. Tout ce qu'il avait sous lui l'attirait comme le visage d'un monde inconnu, le prolongement de cette nuit qui le rendait à lui-même, le coeur d'eau et de sel d'une vie encore inexplorée. Une tentation lui vint qu'il repoussa aussitôt dans une grande joie du corps. Il nagea plus fort et plus avant. Merveilleusement las, il retourna vers la rive. A ce moment il entra soudain dans un courant glacé et fut obligé de s'arrêter, claquant des dents et les gestes désaccordés. Cette surprise de la mer le laissait émerveillé. Cette glace pénétrait ses membres et le brûlait comme l'amour d'un Dieu d'une exaltation lucide et passionnée qui le laissait sans force. Il revint plus péniblement et sur le rivage, face au ciel et à la mer, il s'habilla en claquant des dents et en riant de bonheur."

 

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