Cannabis : en finir avec la politique prohibitionniste ?

par gem
vendredi 24 novembre 2006

C’était un petit carton jaune, orné d’une jolie graine germée parfaitement caractéristique, entre la publicité du marabout et celles des grands commerces du coin... une porte ouverte vers un monde qui m’était étranger.

La première chose qui m’a frappé, c’est le nom du magasin, un nom directement inspiré du cannabis (inutile de lui faire de la publicité, imaginez juste un nom du genre « LSD » en grosses lettres vertes sur fond jaune). La paire de petite feuilles dentelées sortant de la graine se voyait bien, juste à côté : pas besoin d’un doctorat en agronomie pour la reconnaître...

La boutique s’identifiait comme « growshop ». Au programme : tout ce qu’il fallait pour se faire une petite culture maison dans sa salle de bain, une cave, ou sur le balcon : matériel, engrais, lampes, pompes, balances... Tous les conseils d’une vraie équipe de « passionnés » pour assurer le service après-vente (parce qu’attention, c’est délicat quand même, hein). Pas d’autre mention explicite de la plante, mon petit doigt me dit que le gendarme ne serait pas d’accord et que la chaîne de magasins (car c’est tout un réseau !) ne souhaite pas prendre de risque inutile. Mais le même petit doigt me dit aussi qu’on saurait, là-bas, m’indiquer où me procurer les indispensable graines ou plants pour démarrer.

Bon, le petit carton a parlé, mais que dit Internet ? « Growshop » :

"Un growshop est un magasin qui vend des articles pour cultiver chez soi, à l’intérieur, dans un placard, une véranda ou pièce dédiée. De plus en plus de personnes cultivent leurs légumes, orchidées, plantes carnivores sous lampe artificielle. Le growshop est un terme qui désigne plus de 200 magasins en France, ces derniers vendent des engrais, des substrats et des lampes artificielles, bref tout pour recréer un climat artificiel pour les plantes. "
Ce dico a juste oublié au moins une plante, que je soupçonne plus fréquente que les carottes...

Internet et les sites des boutiques concernées nous en disent plus. J’ai ainsi appris que du matériel présenté comme un best-seller (50 000 unités vendues), n’occupant qu’un peu plus d’un m² au sol, se vendait pour deux cents euros ; et qu’il fallait y ajouter quelques centaines d’euros supplémentaires pour le faire fonctionner. Bigre, 50 000, rien que pour cette marque... Bon, c’était sans doute sur toute l’Europe et sur une bonne période de temps... Puisqu’on en est au chiffrage, une boutique comme ça a besoin de plusieurs dizaines de clients chaque année pour vivre, donc pour deux cents boutiques les clients se chiffrent en dizaines de milliers chaque année. Tous n’essayent pas de faire du cannabis, tous ne réussissent pas, tous ne continuent pas... mais je ne serais pas surpris qu’il existe des milliers de producteurs !

Avec ça, on récolte quelle quantité ? Je ne connais pas bien la plante, mais j’en connais d’autres : un horticulteur d’appartement peut certainement récolter quelques kilos de produit brut par m², largement de quoi approvisionner un utilisateur quotidien, et même plusieurs. L’ordre des pharmaciens (http://www.ordre.pharmacien.fr/upload/Syntheses/197.pdf) nous permet de chiffrer le gain de l’autoproduction à 25 à 80 euros par mois, soit quelques centaines d’euros sur l’année. Vu les efforts et l’investissement nécessaire, la production maison, c’est sans doute à peine rentable, mais ça permet d’éviter les soucis de l’achat (trouver le fournisseur, avoir une marchandise de qualité, à un prix assez stable...) et ceux de rencontrer la maréchaussée ; et puis ça donne la satisfaction de produire soi-même. Bien sûr , la production est illégale  ; en pratique, tant que ça ne vire pas à l’industrie à grande échelle et qu’on n’en fait pas commerce, on ne va pas attirer l’attention, et le risque de voir les flics débarquer semble faible. Et puis, ça n’est pas le problème du marchand de matériel pour produire ... des carottes ... si vous vous en servez pour une plante illégale, c’est de votre seule faute, pas de la sienne.

Internet permet également de se faire une idée de la répartition géographique des deux cents magasins. Il m’a semblé que l’Ouest de la France était sur-représenté : restes de la culture paysanne, méfiance à l’égard du commerce, difficulté à s’approvisionner, ou erreur d’optique de ma part ? Les paris sont ouverts.

Enfin, tous les différents sites Internet font grand usage d’une rhétorique « verte » : ce n’est pas parce qu’on fait dans la culture high tech, sans sol ni soleil, mais avec moult engrais, qu’on doit oublier de mentionner combien tout cela est « sain », « naturel » et « biologique ». Voilà qui est bien drôle...

Voilà pour les faits.

La première conclusion que j’en tire, c’est que vu la facilité qu’il y a à produire soi-même, il est assez vain de persister dans la politique prohibitionniste. Le virage récent vers une meilleure communication et des arguments plus convaincants me semble plus efficace. On peut espérer qu’on arrêtera bientôt de gaspiller l’argent public et le temps de la police en inutile répression, pour passer à une plus raisonnable politique de vente contrôlée et de taxation, comme on fait pour l’alcool et le tabac.

Je me souviens que par chez moi (et sans le moindre doute partout ailleurs), « dans le temps », on cultivait le pavot comme plante aromatique, qu’on en mettait les graines dans la pâtisserie. Je ne doute pas que les maraîchers bretons (et les autres, bien sûr) sauraient faire aussi bien que les Hollandais ou les Afghans, sans que la santé publique en souffre. Et puis, il va bien falloir trouver un produit de substitution pour les débits de tabac...


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