Catalogne, et si… ?

par Philippe MEONI
mercredi 11 octobre 2017

Aux dernières nouvelles, après que Manolo Rajoy, Premier Ministre d'Espagne, ait demandé, ce matin, à Carles Puidgemont que ce dernier détermine exactement sa position face à sa déclaration d'indépendance dont il a immédiatement suspendu ses effets, le Gouvernement espagnol a démarré la procédure d'application de l'article 155 de la constitution, impliquant la mise sous tutelle de la Generalidad Catalana, supprimant temporairement son autonomie. Cette réaction était absolument inévitable du point de vue du droit et les séparatistes en étaient aussi totalement informés. Sachant cela, les séparatistes savaient également que la farce du referendum illégal et de la déclaration d'indépendance aboutirait à cette situation... Pourquoi dans ce cas s'être embarqué dans cette impasse ?

Il faut replonger dans l'histoire de l'Espagne pour comprendre l'antagonisme qui règne entre le pouvoir central et la Catalogne. L'Espagne est constituée, depuis sa constitution de 1978, de dix-sept provinces autonomes, chacune gérée par un gouvernement et un parlement local, sous couvert d'un gouvernement fédéral central à Madrid, un peu à l'image des États-Unis d'Amérique. Chaque région bénéficie d'une large liberté en terme d'organisation locale, culturelle, politique, économique et même linguistique, à l'instar de la Catalogne, justement, qui impose le Catalan comme seule langue officielle, même au sein des administrations de la région, et qui dispose même du privilège de différencier sa propre police, constituée dans un corps particulier, les "Mossos d'Esquadra" .

Le désir d'indépendance de la Catalogne remonte très loin dans l'histoire de la péninsule ibérique, au moins à l'époque de l'éclatement du royaume d'Aragon, durant la "reconquista", dont elle n'était qu'un simple compté, elle aurait à cette époque escompté devenir à son tour un royaume à part entière. Or, ce qui peu à peu est devenu le royaume d'Espagne, sans entrer dans les détails, n'a pas consenti cette indépendance régionale, compte tenu également des accord conclus avec la France à cette époque. Ce volet pseudo historique n'est qu'un petit survol pour expliquer que le "problème Catalan" n'est pas né d'hier et qu'il encombre depuis longue date tous les pouvoirs qui se sont succédés depuis.

Officiellement, pour compenser la "frustration" Catalane de cette "non indépendance", les gouvernements successifs ont su faire preuve d'une grande bienveillance, accordant à cette région beaucoup plus de privilèges que pour d'autres. Officieusement, il est également bon de souligner que, par jeux politiques, certains politiques ont aussi accordé des privilèges à un électorat Catalan très utile pour accéder au pouvoir… Mais là n'est pas le sujet. Bref, depuis des décades, la Catalogne est effectivement privilégiée et dispose de tous les moyens de pression pour obtenir quasiment tout droit et liberté désiré, alors, que demander de plus, sachant que, une Catalogne indépendante, surendettée et non reconnue par les autres nations n'a pas grand espoir de prospérer sereinement ?

Or, aujourd'hui, que peut-on constater ? Que sur un coup de bluff, perdu d'avance, le nouveau Président de la province de Catalogne, Carles Puidgemont, fait voler en éclat tous les acquis ancestraux de cette région, en a fait fuir les grands acteurs économiques locaux qui ont préféré délocaliser leurs activités dans les régions voisines, déclencher la seule réaction légale en pareil cas, à savoir l'article 155 de la constitution espagnole qui, de plein droit, autorise le gouvernement central de mettre la région belligérante sous tutelle intégrale et risquer lui même les affres de la justice pouvant aller jusqu'à une incarcération de très longue durée pour rébellion. Ce "suicide" politique ne paraît-il pas surprenant ?

Avant d'aller plus loin, il est bon de rappeler le contexte de l'Espagne contemporaine et surtout, depuis les dix dernières années. Exemplaire durant des décennies, aux yeux de l'Union Européenne, pour son miracle économique et son taux de croissance extraordinaire, l'Espagne s'est brutalement réveillée en 2007 quand la bulle immobilière frelatée, interconnectée étroitement avec l'économie étasunienne, a fini par crever, laissant un pays face à une dette monstre et une déflation titanesque, générant de vrais bouleversements sociétaux avec un taux de chômage avoisinant les vingt pour cent. Les diverses enquêtes qui s'en suivirent pour trouver et punir les responsables de cette situation ont de fait révélé la trame d'une corruption généralisée sur tout le pays, et la justice a entrepris une véritable opération "mains-propres" qui a immédiatement touché des acteurs et partis politiques plus renommés les uns que les autres.

Pour ceux qui auraient un peu suivi les actualités espagnoles, les cas "Gürtel", "Bigote", "Rumasa", "Barcenas", "Pujol", "Urdangarin", "Caixa Catalunya", "Tarjetas Black" et une soixantaine d'autres cas de corruption en cours d'instruction devant les instances judiciaires du pays (http://www.eldiario.es/politica/corrupcion-Irene-Montero-afeado-PP_0_654084870.html) leur seront très familiers. Ce qu'il faut aussi observer, c'est que ces cas ont tous des points communs, l'un par le fait que les mis-en-causes soient majoritairement des affiliés du PP (Partido Popular) dont l'actuel Premier Ministre Manolo Rajoy est issu, l'autre, chacun de ces cas de corruption a une connexion, au moins, avec la Catalogne. De là à dire que cette région est un véritable nid de corrompus, non, mais la coïncidence est toutefois étonnante. Bref, de l'opinion publique espagnole qui l'exprime elle-même dans nombreuses manifestations régulière, l'Espagne est un pays corrompu.

Après cet aparté, revenons donc au "suicide politique" de Puidgemont et voyons ensemble quelles en auraient pu être les raisons. La première théorie, c'est simplement l'acte d'un indépendantiste forcené, immature, irresponsable, entraîné presque malgré lui dans un mouvement de type "baroud d'honneur" qui pourrait faire de lui, dans certains milieux militants radicaux, le héros qui osa braver le pouvoir envers et contre tous. Certes, ça peut coller quand on survole la biographie du personnage (http://www.francetvinfo.fr/monde/espagne/referendum-en-catalogne/coupe-de-beatle-fausse-carte-d-identite-et-game-of-thrones-qui-est-carles-puigdemont-l-independantiste-catalan-jusqu-au-boutiste_2405949.html). Ceci dit, il n'est toutefois pas allé au bout de ce qui aurait pu être ce type de délire "superhéroïque" en ayant très vite fait marche arrière après avoir déclaré l'indépendance de la Catalogne "du bout des lèvres".

Pour creuser un peu plus donc, osons la question de savoir à qui profiterait alors cette sécession improbable. De tous ces corrompus que j'évoque plus haut, Pujol, premier président de la Catalogne entre 1980 et 2003, et sa famille, règnent en maîtres sur la Catalogne depuis l'après-guerre civile espagnole. En gros, c'est l'éminence grise de tous les politiques qui se sont succédés à la présidence de la région et s'est outrageusement enrichi sur le dos du denier public en ayant su rester impuni. (https://www.courrierinternational.com/une/2014/12/17/affaire-pujol-cinq-membres-de-la-famille-mis-en-examen) Mais, s'il avait réussi à soudoyer les acteurs judiciaires Catalans jusqu'à présent, Il n'en va pas de même avec l'appareil judiciaire central qui s'occupe actuellement de son cas. Or, Pujol et associés ont tous les moyens, par le chantage et par les finances d'avoir pu fomenter cet espèce de coup d'état, sachant qu'une fois la Catalogne indépendante, la justice de Madrid ne pourrait plus rien contre eux.

La troisième théorie est que, finalement, les frasques de Puidgemont bénéficient directement le gouvernement espagnol, Manolo Rajoy et le PP. En effet, on pourrait aisément imaginer que le fardeau Catalan pesant depuis trop longtemps sur le pouvoir et toutes les manigances politiques du pays, certains aient pu envoyer Puidgememont tel un cheval de Troyes, (contre rémunération et/ou avantages en nature) chargé de provoquer les conditions pour la mise en œuvre de l'article 155 qui débarrasse définitivement l'Espagne de la menace indépendantiste par la mise sous tutelle de toute la région et le retour de la stabilité, faisant de Rajoy, pour le coup, le véritable héro lui assurant sa prochaine réélection à la Présidence du gouvernement.

Bon, cette approche vaut ce qu'elle vaut au plan théorique, j'en conviens... Cependant, ce qu'il faut retenir de cette aventure, c'est que le Ché était bien unique et personne ne pourra le remplacer, même pas Puidgemont, que ceux qui ont voulu voir la Catalogne tel un exemple de libération du peuple se sont foutu le doigt dans l’œil, d'autant que se libérer de l'Espagne pour rester sous le joug de l'UE, je ne vois pas trop l'intérêt et que, pour finir, les problèmes de mes voisins ne me regardent pas et que j'aurais dû balayer devant ma parte avant d'avoir prétendu une pseudo analyse géopolitique, domaine dans lequel je ne suis titulaire d'aucun diplôme… Sur ce, Viva España !


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