Ce dimanche, je n’étais ni Charlie, ni juif, ni musulman. Je ne suis qu’un, soyons tout

par Karol
mercredi 14 janvier 2015

Ce 11 janvier, par un doux soleil d'hiver, au milieu de la foule je n'étais pas Charlie. Je me méfie de cette unanimité tout d'un coup décrétée sous le poids de l'émotion d'une terrible tragédie. Charlie Hebdo, il y a bien longtemps que je l'avais perdu de vue, même si de temps à autre je tendais l'oreille à une polémique soulevée par une de ses caricatures. Alors pourquoi mentir, je n'étais plus Charlie depuis longtemps. Enfin je suis bien incapable d'être à la hauteur de tous ces talents assassinés et, ce dimanche de janvier, je n'arrivais pas non plus à être facétieux.

Place de la Nation, ce dimanche 11 janvier 2015

huffingtonpost : Photo de la place de la Nation à Paris : qui est à l'origine de l'image symbole du rassemblement du 11 janvier ?

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De la République à Nation je n'étais ni juif ni musulman,ni catho ni adventiste du 7° jour, il y a eu déjà trop de guerres, trop de morts au nom de Dieu, quel que soit son nom, quelle que soit la latitude. Pour finir je n'étais pas non plus un de ces personnages politiques qui ont bien failli m'empêché de rejoindre le parcours de cette insurrection des consciences face aux ténèbres de l'obscurantisme. Dans cette immense foule j'étais serein. Au-delà de l'émotion et de la compassion pour toutes les victimes de ces criminels, tous ensemble, sans l'exprimer, nous semblions partager pour une fois les mêmes convictions. Pour une fois ce qui nous unissait était plus fort que nos différences. Pour une fois ces mots si galvaudés : liberté, égalité, fraternité, faisaient tout d'un coup sens dans nos têtes. Pour un temps, trop court peut-être, nous prenions conscience de notre force et nous nous congratulions et nous nous applaudissions. Force faite de l'attachement, certes comme des naufragés après la tempête, à ces quelques principes qui fondent encore notre histoire commune comme peut l'être celui de la laïcité, joyaux si peu partagé de par le monde. Pour une fois aussi c'était cette marée humaine qui donnait une belle leçon politique à cette brochette de "représentants" politiques, pour certains hier encore incendiaires ou ennemis de la liberté, et dimanche venus afficher leur compassion en s'agglutinant devant l'objectif des télévisions.

Mais il était à craindre que cette formidable démonstration de force, affirmée le temps d'une après-midi, ne soit à nouveau usurpée par les beaux parleurs et ceux qui ce sont depuis longtemps approprié le débat politique.

Dès lundi matin le réveil fut rude. A droite, on parlait déjà d'ériger des barrières pour empêcher les assassins, censés venir de l'étranger, de commettre leur forfait sur notre sol, alors que ces monstres sont nos propres enfants que nous ne cessons de ne pas vouloir reconnaître. A gauche pour rassurer une communauté effrayée par les assassinats antisémites de vendredi dernier on nommait un préfet pour coordonner la sécurité des sites de la communauté juive et on positionnait 4700 gendarmes et policiers devant les écoles et les synagogues. Pourquoi, dans le même ordre d'idée, ne pas nommer un autre préfet pour protéger la communauté musulmane qui a subi plus d'une cinquantaine d'agressions depuis mercredi dernier, et, pour faire bonne mesure, un troisième pour la protection des journalistes ? En affichant la sécurité renforcée d'une communauté, ne l'expose-t-on pas à de nouveaux drames ? « On a le sentiment de ne pas pouvoir être des citoyens comme les autres. Paradoxalement, plus on renforce la sécurité, plus on renforce la singularité de notre destin de juifs de France... », se désole Yonathan Arfi dans un article du Figaro de ce jour.

Comme toujours cette surenchère sécuritaire accompagnée de la tentation du repli protecteur sur soi sera vaine si on ne s'attaque pas aux racines du mal. Le déploiement de nouvelles mesures “antiterroristes”, comme le préconise d’ores et déjà notre premier flic de France, Manuel Valls s'avèrera aussi inutile que tous les plans Vigipirate déployés depuis des décennies devant la folie d'un désespéré qui, surgit de nulle part, Kalashnikov à la main, sèmera la mort et la désespérance.

Par cette agitation sécuritaire, animée par l'émotion et la peur, et qui finit par être liberticide, on ne veut pas voir que ce sont nos propres faiblesses, la violence intrinsèque de notre société et le taux de plus en plus élevé des inégalités dans notre pays qui fabriquent ces monstres que d'autres manipulent. Si ces enfants perdus et désemparés de la République se jettent dans les bras de ces prédicateurs fondamentalistes c'est peut-être aussi que nous n'avons plus rien à leur transmettre, ni valeur, ni espoir et que nous ne sommes plus capables de les faire rêver.

Au lieu de continuer à nous inventer des ennemis et d'alimenter la machine à exclure et à reclure, il est temps de recenser les valeurs, les principes et les droits universels que, de la Courneuve à Neuilly, quelles que soient nos convictions religieuses, notre couleur de peau ou notre place dans la société, nous sommes prêts à partager pour refonder notre démocratie et ressouder notre communauté politique.

Nous sommes à la croisée des chemins. Dans nos sociétés émiettées, écartelées par la défense d'intérêts catégoriels, faute d'envisager un avenir commun, chacun se recroqueville sur ses propres racines, telle une plante desséchée. Nos actes sont guidés trop souvent par la frustration, la peur, la rancoeur, la haine de l'autre et la violence. Au niveau social, la société est de plus en plus divisée en deux mondes qui se font face. Le premier toujours plus avide toujours plus minoritaire, reclus dans des zones sécurisées, de moins en moins concernés par la chose publique, interdit, par sa voracité, au second, majoritaire, de vivre dans la quiétude et la dignité.

Pour sortir de ces mondes manichéens, ne nous laissons pas guider par la peur en construisant de nouveaux murs. Ce dont nous avons besoin c'est à nouveau de faire société, de décider démocratiquement ce que nous sommes prêts à partager et quels sont les droits universels que nous sommes décidés à exercer ensemble pour assurer à chacun la liberté de penser, de croire et de créer avec un minimum de bonheur dans le respect des convictions de l'autre.

Avant que le chaos ne l'emporte dans cette "guerre de tous contre tous", reconstruire ce qui nous unis, ce commun accessible à tous, est une impérieuse nécessité. 

Au lieu de ségréguer, sélectionner, classer les individus en catégories, en ayant-droits, en exemptés, de les condamner à s'exprimer qu'à travers leurs particularismes, que fait-on pour intégrer, accompagner et éviter la stigmatisation, la précarité et l'exclusion ? Que fait-on pour que chacun partage la même citoyenneté ? Au lieu de faire de l'école, une énorme machine à trier et à sélectionner les meilleurs, interrogeons-nous sur ce que nous avons à transmettre à nos enfants pour construire une école de la vie jusqu'à 16 ans, qui permettrait à chacun de partager les mêmes connaissances, une culture commune, les mêmes valeurs ( lien ) " une école préparatoire (élémentaire-moyenne) qui conduise le jeune homme jusqu’au seuil du choix professionnel, et le forme entre temps comme personne capable de penser, d’étudier, de diriger, ou de contrôler ceux qui dirigent ». [Gramsci dans le texte, tome II, p 148].

N'attendons plus que nos élites politiques fassent notre travail. C'est à chacun d'entre nous de contribuer à construire cette "maison commune ". Les idées ne manquent pas, il faut en débattre, les valider et les transformer en nouveaux droits universels.

Ainsi pour que chacun puisse exercer ses talents, choisir son avenir professionnel et trouver sa place dans la société, qu'attend-on pour donner à tous le même "coup de pouce", quelles que soient ses origines sociales et culturelles, en allouant par exemple à tous les enfants et les jeunes adultes de manière inconditionnelle une allocation universelle, véritable " avance sur recette" pour tous ces futurs créateurs, financée par la contribution de tous et en particulier de ceux à qui la réussite à sourit et qui ont pu accumuler au fil du temps un patrimoine.

Enfin la démocratie ne doit pas être le privilège d'une seule partie de la population. Elle doit aussi pouvoir être exercée par tous les résidents de notre communauté politique tant au niveau du quartier par la création de conseil de quartier que par l'extension du droit de vote à tous les niveaux, local et national, à tous ceux, quel que soit leur statut, qui par leur activité et leur revenus contribuent à la création de la richesse du pays.

Le fanatisme totalitaire comme les régimes sécuritaires sont autant l'un que l'autre les ennemis jurés de la démocratie et de la liberté. Ils s'alimentent de nos faiblesses. Aussi nos sociétés ne doivent fournir aucun prétexte à ces fous de dieu pour accomplir leur funeste mission en transformant certains de nos enfants abandonnés en monstres. Il faut se convaincre que seule une société démocratique fondée sur des principes et des droits universels, refusant toute discrimination de quelque ordre qu'elle soit, est la seule garante de notre sécurité individuelle.

Pour que cette journée du 11 janvier 2015, ne soit pas qu'un beau souvenir dans nos livres d'histoire, pour que chacun de nous puissent être un et tout à la fois, essayons de contribuer de notre place et à notre niveau à construire un monde où tous sans exception jouissions réellement des mêmes droits en gardant toujours comme unique boussole le premier article de la constitution de 1793 : "Le but de la société est le bonheur commun.". 

Sinon on s'épuisera vite à ne partager que des malheurs....

LA SCIENCE DU PARTAGE


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