Ce que les sectes révèlent de Nicolas Sarkozy

par Guillaume David
lundi 30 avril 2007

Non, il ne s’agit pas d’un article anti-Sarko de plus. Il s’agit ici de défendre une cause, qui nous concerne tous, pas toujours directement, celle des 300 000 victimes des sectes en France dont près de 80 000 enfants. Le sort de ces malheureux ne semble émouvoir qu’un petit groupe de parlementaires. Le Conseil d’Etat, de son côté, prône avec indifférence la liberté de culte et, de ce fait, protège les sectes depuis une dizaine d’année. Mêmes positions au ministère de l’Intérieur depuis 2002, qui va même plus loin, en envisageant de reconnaitre les Témoins de Jéhovah comme étant la cinquième religion d’Etat, tandis qu’il néglige ses responsabilités de coordinateur d’une action publique sur le danger des sectes et leur reconnaissance par l’Etat. La politique en place oublie totalement la victime manipulée, qui a définitivement perdu sa place dans la société, qui n’existe plus.

Les sectes en France : l’impossible cadre juridique

L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que "nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public institué par la loi." Le fait religieux relève de l’individu seul et non de l’Etat. Il n’existe par conséquent aucun critère juridique qui permette de différencier une Eglise d’une secte.

Par ailleurs, la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État prévoit que le culte soit organisé par le régime juridique des associations cultuelles. Ce régime garantit à ces dernières de bénéficier des mêmes avantages que les établissements publics du culte, à savoir l’exonération de la taxe foncière et d’un régime particulier au titre des dons et legs.

Les Témoins de Jéhovah, qui constituent près de 45% des adeptes des sectes reconnues en France (130 000 sur 300 000 adeptes et sympathisants en tout en 1995, cf. rapport de la commission d’enquête sur les sectes, 22 décembre 1995) ont bénéficié d’une jurisprudence en leur faveur, qui leur a permis de déclarer leurs associations locales en conformité avec la loi 1905, alors que le mouvement est clairement reconnu comme secte par la Miviludes et de nombreux rapports parlementaires. Le hiatus est dû aux imprécisions et incohérences de la notion de « trouble à l’ordre public » : si les groupes parlementaires et la Miviludes dénoncent très fermement les activités de prosélytisme et le refus de la transfusion sanguine, le Conseil d’Etat, lui, a toujours tranché en faveur des associations cultuelles et rappelle régulièrement leurs droits, en ne reconnaissant pas de troubles à l’ordre public, et en rejetant systématiquement les tentatives des gouvernements successifs, des parlementaires ou des préfectures de refuser le statut cultuel aux associations locales.

Cependant, contrairement aux associations locales, l’Association nationale "Les Témoins de Jéhovah" (ATJ) n’est pas reconnue comme étant une association cultuelle au sens de la loi du 9 décembre 1905, mais simplement une association à but non lucratif relevant de la loi du 1er juillet 1901.

Des sectes manipulatrices de conscience

Le rapport parlementaire sur l’impact des mouvements sectaires sur la santé physique et mentale des mineurs (Rapport parlementaire n° 3507 du 12 décembre 2006) estime entre 60 000 et 80 000 le nombre d’enfants engagés dans des sectes en France, dont 45 000 pour les seuls Témoins de Jéhovah. Ce rapport met en évidence que les enfants des sectes sont des victimes, d’abord de l’enfermement social qui leur est imposé, car ils sont coupés de la société, et une fois adultes, ils n’ont plus les moyens de pouvoir quitter librement la secte. Ils sont aussi privés de soins, préventifs et thérapeutiques. Le rapport décrit aussi les manipulations psychologiques et mentales dont fait l’objet l’enfant, afin qu’il soit convaincu de la doctrine de la secte, mais aussi à des fins de démarchage pour des causes apparemment humanitaires.

Certains mouvements sont aussi créanciers de l’Etat. En particulier les Témoins de Jéhovah, qui doivent près de 50 millions d’euros à l’Etat (TJ-Encyclopédie, « Taxation des dons manuels »), qui correspond à la taxe de 60% sur les dons versés par les fidèles entre 1993 et 1996, dont a bénéficié l’association nationale, non reconnue comme association cultuelle.

Les manœuvres du ministère de l’Intérieur en faveur des « mouvements spirituels » depuis 2002

Depuis 2002, de nombreuses décisions issues du ministère de l’Intérieur renforcent les positions du Conseil d’Etat, ce qui inquiète considérablement les défenseurs des victimes des sectes.

1) Les Témoins de Jéhovah sur le point d’être reconnus comme la 5e religion de France

Lors de son audition à la commission d’enquête parlementaire sur les sectes et les mineurs du 17 octobre 2006, Didier Leschi, chef du Bureau central des cultes au ministère de l’Intérieur du temps de Nicolas Sarkozy, admet qu’il accorde systématiquement ce statut cultuel aux associations de Témoins de Jéhovah, car "en l’état actuel de la jurisprudence, ils ont le droit de bénéficier du statut d’association cultuelle " (cf. Le Monde du 19 octobre 2006, « Querelles autour du statut des Témoins de Jéhovah  »)

De plus, il affirme "qu’il n’y a aucune preuve du danger encouru par les enfants chez les témoins de Jéhovah, et que le conseil d’Etat a déjà tranché cette question (...), qu’il ne voit aucun dossier de trouble à l’ordre public." Didier Leschi se retranche donc derrière la jurisprudence du Conseil d’Etat et derrière le fait qu’il n’existe pas de dossier assez précis à son sens démontrant les dangers et les troubles à l’ordre public de la doctrine des Témoins de Jéhovah. Une contrevérité inquiétante qui a soulevé l’indignation de l’ensemble des parlementaires, dont le président de la commission, Georges Fenech (UMP Rhône) : « Aujourd’hui Monsieur Leschi, 17 octobre 2006, je crois que c’est la première fois, en ce qui me concerne, que j’entends un discours public, qui plus est - qui a le mérite effectivement de la clarté, qui demande une labellisation - une reconnaissance officielle de la religion des Témoins de Jéhovah.  »

Le ministère de l’Intérieur, par l’intermédiaire de son responsable des cultes, ignore la convention internationale des droits de l’enfant (New York, 26 janvier 1990), qui exige qu’ « un enfant doit être éduqué pour atteindre un esprit critique pour en faire un citoyen libre dans la vie ». De plus, le Bureau des cultes est sur le point d’offrir par la même occasion le statut de religion aux Témoins de Jéhovah de France. Rappelons que la France a signé cette convention, mais le Conseil d’Etat n’en a curieusement jamais tenu compte dans ses décisions.

2) Le rapport Machelon : remise en cause de la loi 1905...

La commission Machelon, chargée d’aménager la loi de 1905 régissant les relations entre l’Etat et les cultes, a publié son rapport en octobre 2006, qui remet en cause la séparation de l’Eglise et de l’Etat (loi 1905). La commission préconise que « les maires soient incités à prévoir des espaces réservés aux lieux de culte dans leurs documents d’urbanisme. » Le rapport propose « d’attirer l’attention des préfets (...) sur les difficultés rencontrées par certains cultes pour s’implanter sur le territoire de certaines communes, afin de les inviter, en cas d’échec de la concertation, à saisir le juge administratif de manière systématique dans le cadre du déféré préfectoral. » En d’autre termes, le rapport propose que les communes puissent financer la construction de lieux de culte sur leur sol, et surtout puissent être poursuivies en cas de refus. A noter l’impartialité de la commission : elle est composée uniquement de membres soit religieux soit engagés dans une Eglise.

3) ... pas encore adoptée, mais déjà expérimentée entre autres dans les Hauts-de-Seine

Nicolas Sarkozy n’a pas attendu que le rapport soit publié pour expérimenter ses idées au sein du département qu’il préside, les Hauts-de-Seine. Le député-maire UMP de la commune d’Asnières-sur-Seine, Manuel Aeschlimann, conseiller de Nicolas Sarkozy pour l’opinion publique, a accordé un permis de construire à une association locale de témoins de Jéhovah, pour la construction d’une salle du royaume de 1 000 m², qui a été inaugurée en avril 2007. Cette décision est d’autant plus surprenante que de nombreux maires ont dû batailler pendant de longues années contre les Témoins de Jehovah, forts de leur puissance financière et de leurs soutiens juridiques, pour empêcher la construction d’une salle du royaume sur le territoire de leur commune. On pourra citer à titre d’exemple la commune de Deyvillers dans les Vosges, dont le maire, René Crozat, et ses habitants qui, par une décision qui a été précédée par un débat ouvert entre citoyens et certaines personnalités politiques et intellectuelles, sont parvenus à empêcher la construction du temple. (TJ-Encyclopédie, « Affaire Deyvillers contre les témoins de Jéhovah »)

4) Un spécialiste de l’Eglise de scientologie écarté des RG

En 2002, Arnaud Palisson, spécialiste des sectes aux RG, publie sa thèse d’Etat à la Sorbonne et obtient la plus haute mention et les félicitations du jury malgré la saisine du tribunal administratif par l’Eglise de scientologie. Cette thèse est disponible en ligne sur Internet (Thèse de droit pénal portant sur la scientologie, France, 2002). A partir de ce moment (Nicolas Sarkozy est ministre de l’Intérieur), les pressions hiérarchiques sur le fonctionnaire commencent, et ce dernier est finalement « déchargé » du dossier des sectes, et remplacé par un inspecteur ne connaissant rien à la scientologie. Motif officiel de sa mise à l’écart ? Préserver le fonctionnaire des menaces répétées faites par l’Eglise de scientologie...

Les positions de Nicolas Sarkozy sur les sectes

Quelles sont les relations qu’entretient Nicolas Sarkozy avec l’Eglise de scientologie ? Le 30 août 2004, Nicolas Sarkozy a reçu en grandes pompes, au sein même du ministère de l’Economie et des Finances, l’acteur Tom Cruise, grand prosélyte de l’Eglise de scientologie. La presse française, et de nombreuses associations de lutte contre les sectes, s’en étaient émues. Pourquoi une telle rencontre a-t-elle eu lieu ? Et à l’initiative de qui ? Si l’acteur et le ministre restent évasifs (extrait de « 90 minutes », diffusé le 31 mai 2005 sur Canal+), l’Elysée confirme qu’elle aurait été contactée par l’acteur en vue de rencontrer Jacques Chirac, qui a refusé (cf. Libération, 2 septembre 2004 par Antoine Guiral, « Tom Cruise voulait aussi convertir Chirac  »). Nicolas Sarkozy aurait-il cédé aux pressions de l’Eglise de scientologie dont une des cibles est de prendre le contrôle ou obtenir l’allégeance des personnalités politiques clés ? Ou serait-il tombé sous le charme de la puissance - notamment financière - du mouvement ?

Un début de piste : dans son ouvrage « La République, les religions, l’espérance » (Editions du Cerf, 2004), Nicolas Sarkozy affiche une réelle complaisance envers les mouvements sectaires, invitant même à la reconnaissance des « nouveaux mouvements spirituels ». On peut imaginer la réaction des spécialistes de la scientologie en reconnaissant cette expression, fer de lance du lobbying scientologue dans les pays anglo-saxons... Il prône - on l’aura compris - la liberté de conscience : « Je crois à la liberté individuelle : si les gens ont envie d’être témoins de Jéhovah, c’est tout à fait leur droit. Tant que leurs activités ne sont pas contraires à l’ordre public, je ne vois pas au nom de quoi on le leur interdirait ». Mais il ne dit rien au sujet des victimes, pas un mot sur les enfants endoctrinés, manipulés...

Il ne semble pas avoir pris conscience des incohérences du cadre juridique. Interrogé sur le rassemblement des Témoins de Jéhovah au stade de Lens en juillet 2006, il affirme que "les Témoins de Jéhovah sont une association cultuelle, reconnue expressément par le conseil d’Etat et qui bénéficie, à ce titre, de la liberté de réunion" (Europe 1, interview par Jean Pierre Elkabach le 18 juillet 2006), alors qu’en réalité, seules les associations locales bénéficient de cette reconnaissance... Cette affirmation est évidemment fausse et révèle le mépris de Nicolas Sarkozy pour les lois et les conventions. Ce qui l’intéresse avant tout, ce n’est pas de faire évoluer le cadre juridique en vue d’améliorer la société afin de la rendre plus juste, mais de mettre en place un système en conformité avec ses propres intérêts.

Au mépris des lois s’ajoute celui des victimes. Pourquoi Nicolas Sarkozy semble-t-il faire la sourde oreille et refuse-t-il de reconnaitre le danger de ces « nouveaux mouvements spirituels » ? La protection des victimes, en particulier des enfants, n’est-elle pas primordiale ? S’il prône la liberté de conscience, il se doit de protéger les plus faibles en contrepartie. Or il ne le fait pas. On pourrait alors supposer qu’il aurait un intérêt à favoriser le développement des mouvements sectaires les plus puissants en France. Mais qu’aurait-il à y gagner ? On en vient à se demander si Nicolas Sarkozy ne serait pas soutenu par un courant franc-maçon (dont la liberté de conscience est une valeur clé), favorable à un rapprochement avec de puissantes organisations pseudo-spirituelles (dont les Témoins de Jéhovah qui bénéficient déjà d’un appui très ferme du Conseil d’Etat), qui chercheraient à noyauter et mieux contrôler les instances de l’Etat.

En admettant cette hypothèse, ce libéralisme des consciences cacherait une faille profonde dans la personnalité du candidat UMP. Quelle que soit sa motivation, le sort des plus faibles et des plus fragiles n’est pas pris en compte. Le mépris du faible et du fragile n’est pas compatible avec une société juste qui se respecte, au contraire, cela conduit à l’indifférence et à la division. Voilà une réforme que le candidat de la rupture aurait pu faire durant les quatre années passées à la tête du ministère de l’Intérieur. Mais derrière la valeur du respect de la liberté de conscience, qui n’a aucun sens si elle n’est pas régulée, il a choisi de satisfaire l’UOIF et remettre en cause la loi 1905. On imagine la suite... s’il est élu.

Liste des références

- rapport de la commission d’enquête sur les sectes, 22 décembre 1995

- Rapport parlementaire n° 3507, Assemblée nationale 12/12/06. "Au nom de la commission d’enquête, relative à l’influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs"

- TJ-Encyclopédie, « Taxation des dons manuels »

- audition à la commission d’enquête parlementaire sur les sectes et les mineurs de Didier Leschi (partie 1), chef du Bureau central des cultes au ministère de l’Intérieur, le 17 octobre 2006

- audition à la commission d’enquête parlementaire sur les sectes et les mineurs de Didier Leschi (partie 2)

- Le Monde du 19 octobre 2006, « Querelles autour du statut des Témoins de Jéhovah  », Xavier Ternisien

- convention internationale des droits de l’enfant, New York, 26 janvier 1990

- Rapport Machelon sur l’aménagement de la loi de 1905 régissant les relations entre l’Etat et les cultes, octobre 2006

- TJ-Encyclopédie, « Affaire Deyvillers contre les témoins de Jéhovah »

- Thèse de droit pénal portant sur la scientologie, France, 2002

- extrait de « 90 minutes », diffusé le 31 mai 2005 sur Canal+

- « La République, les religions, l’espérance », Nicolas Sarkozy, Editions du Cerf, 2004

- Libération, 2 septembre 2004, « Tom Cruise voulait aussi convertir Chirac  », Antoine Guiral

- Europe 1, interview par Jean Pierre Elkabach le 18 juillet 2006

- Agoravox, 20 avril 2007, « Nicolas Sarkozy, les sectes et la religion, une affaire à suivre  »

- Sarkozynews.canalblog.com, Dossier Sarkozy et les sectes

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