Ce sont les erreurs d’interprétation des archéologues qui sèment le doute sur le site d’Alésia
par Emile Mourey
lundi 24 novembre 2014
Ce mardi 25 novembre, sur France 2, dans son émission "Secrets d'histoire", Stéphane Bern évoquera-t-il, une fois de plus, la querelle de la localisation d'Alésia ? C'est probable. Madame Porte sèmera-t-elle le doute, une fois encore, en mettant en exergue les contradictions qui existent entre les interprétations des archéologues et ce qu'a écrit César ? Il faut s'y attendre. Doute pour Alésia, certitude pour un mont Beuvray qui sera bien évidemment présenté comme étant l'antique capitale de la Gaule, la célèbre Bibracte (1).
Bibracte, Alésia, les deux sites sont intimement liés par une histoire commune. Le premier est celui où Vercingétorix appela tous les peuples de la Gaule à s'unir dans un seul conseil (2) pour s'opposer aux ambitions de César, le second est celui où il fut vaincu. On s'accorde pour dire que Bibracte est au mont Beuvray. On se désaccorde sur Alésia. Or, véritable sac de noeuds, Alésia est bien à Alise-Sainte-Reine mais Bibracte n'est pas au mont Beuvray.
Titulaire de la chaire des Antiquités Nationales aujourd'hui supprimée, président du conseil scientifique du Centre archéologique européen du mont Beuvray à la grande époque où François Mitterrand appelait à l'union (3) sur le socle commun des origines celtiques retrouvées, c'est le professeur Christian Goudineau qui fut chargé de faire renaître une archéologie française qui s'essouflait, ce qu'il fit en privilégiant des interprétations dites plus scientifiques mais sans qu'on sorte définitivement du flou
C'est ainsi que certains continuent à attribuer aux Romains le creusement du fossé que Stoffel a mis au jour au pied du mont Auxois. Erreur funeste qui est à l'origine de tout le bafouillage qui a suivi et dont on n'est pas encore complètement sorti.
C'est ainsi qu'au siècle dernier encore, en identifiant ce fossé au large fossé que César dit avoir construit, toutes les fouilles ont été faites trop en avant, ce qui a semé une grande confusion dans les interprétations, confusion dont il semble qu'on en soit pas encore sorti. En outre, en se fiant aux anciennes traductions peu soucieuses de précision, en pensant que l'oppidum désigne tout le plateau, les historiens ont placé les troupes gauloises, à leur arrivée, plus à l'est, à l'extérieur du mont, ce qui a amené certains à imaginer un murus gallicus tout autour du plateau. De là les accusations d'imprécision qu'on porte sur les Commentaires alors que tout s'explique si l'on acceptait de voir dans la citadelle de Garenne le véritable oppidum d'Alésia, une fortification en pierres maçonnées de chaux, refuge fortifié d'étendue modeste à l'échelle de l'effectif de la population mandubienne qui vivait là, dans le village également de pierres qui se trouvait un peu plus loin.
Car, dans cette affaire que César a relatée d'une façon très précise mais qu'on se plaît à embrouiller, tout se résume finalement à une question de traduction, de bonne traduction. Quand César dit que l'oppidum se dressait à la pointe du versant qui ressort tout à fait, n'importe qui peut comprendre qu'il s'agit du bec/éperon du mont et de l'oppidum de Garenne (DBG VII,). Quand il dit que Vercingétorix voit ceux de l'extérieur faire mouvement, depuis la citadelle d'Alésia (arce, DBG 84, 1), n'importe qui devrait comprendre qu'il s'agit de la construction dont Garenne a relevé la trace à l'intérieur de l'oppidum ovale.
Mais tout cela, les archéologues ne veulent pas le voir, je précise, ne peuvent pas le voir, car ils ont l'esprit conditionné par les thèses développées sur le site du mont Beuvray, site secondaire de Gorgobina que l'on prétend être Bibracte : les Gaulois n'auraient construit qu'en bois ! Passez votre chemin, touristes étrangers, il n'y a rien à voir ici que des trous de pieux gaulois et quelques ruines attribuées aux Romains !!!
L'aveuglement est tel que même lorsqu'une équipe de fouilles allemande leur met sous les yeux son remarquable travail de relevé, on pense que c'est un exemple parmi la diversité des autres. On ne comprend pas qu'il correspond très exactement à ce que relate César... à condition de bien l'interpréter.
Alors que le muséoparc n'était encore qu'en projet, j'ai pris soin d'alerter le maximum de notables, notamment les responsables locaux, y compris le journal "Le Bien public" qui m'a consacré quelques articles, y compris le président du conseil général qui pilotait l'affaire... sans succès.
Incapable qu'on est de se représenter en taille réelle ce qu'est une armée en campagne, même à cette époque, on hisse les chariots sur les hauteurs ; on installe César à demeure dans son poste d'observation de la montagne de Flavigny ; on affirme que les camps de la plaine n'étaient que ceux des premières nuits et qu'ils ont été rapidement abandonnés alors qu'ils sont des pièces essentielles du dispositif. Comme je l'ai indiqué dans mon précédent croquis, le camp K était le camp logistique de César, un véritable village de tentes, particulièment bien implanté sur le début de la pente ; le camp H ou I était probablement celui de la cavalerie germaine. Par la pensée, je refais le parcours que faisait chaque jour César de son PC logistique à son PC tactique, très émouvant !
Mais le plus important concerne la manoeuvre et la déroulement des combats avec toutes ses péripéties que César prend soin d'évoquer en faisant preuve d'une clarté pédagogique exemplaire http://www.agoravox.fr/tribune-libr.... Que cela soit au muséoparc ou dans les ouvrages professorals, bien que cela soit le sujet principal, rien ! même pas un simple croquis ! et encore, quand il existe quelques tentatives d'interprétation particulièrement laborieuses, on n'y comprend rien. Pourtant point fort du terrain, on n'inclut pas le mont Rhéa dans le dispositif romain, puis on s'étonne de ne pas retrouver les distances qu'indique César. On éloigne Labiénus dans un camp fixe alors que l'usage est que le second soit auprès du chef, prêt à le remplacer ou à intervenir à la tête des réserves. On brode sur sa balle de fronde qui va pourtant dans ce sens. On ne voit pas que le terrain légèrement en pente et en position défavorable est celui de Bussy où pourtant on a retrouvé la trace des camps des deux légats. Bref, on ne veut pas se rendre compte de l'extraordinaire guerre de mouvement qui s'est déroulée dans cet espace restreint où s'est affrontée l'intelligence tactique des deux adversaires et où l'art d'utiliser les réserves a été le facteur de la décision.
Enfin pour terminer en feu d'artifices, je ne peux conclure qu'en évoquant cette tragique erreur de traduction qui a fait dire à l'ensemble des historiens que l'armée gauloise de secours s'était enfuie sans combattre. Je cite mon "Histoire de Bibracte, le bouclier éduen" publié en 1992 : Les fantassins restant de l'armée de secours se déployèrent devant les camps (romains) de la plaine des Laumes (pro castris) et non devant les camps gaulois de la montagne de Mussy. Au signal de la retraite, ils abandonnèrent les camps (romains) et non les camps gaulois... "Fit ex castris Gallorum fuga" doit se traduire par : "elle se fit hors des camps (sous-entendu romains), la fuite des Gaulois, et non pas : elle se fit hors des camps des Gaulois", leur fuite. Et cela signifie que les Gaulois de l'armée de secours n'ont pas fui sans combattre mais qu'ils avaient bel et bien investi les camps romains de la plaine et que par conséquent, ils avaient dû y causer de multiples dégâts avant de se retirer. Peut-être avaient-ils même "tout rasé". Dans cette fin de bataille, César n'insiste pas. La perte de son train des équipages, en totalité ou en partie, n'a jamais été un titre de gloire pour un général de Rome.
E. Mourey, château de Taisey le 22/11/2013, www.bibracte.com
Renvois
1. Le mont Beuvray est le site secondaire de Gorgobina qu'évoque César. Il y a installé une tribu boïenne. http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/mont-beuvray-gorgobina-site-159475
2. "Je ferai de toute la Gaule un seul conseil dont personne au monde ne pourra contester les décisions dès lors qu’elles auront été prises dans une volonté commune". (Vercingétorix, DBG VII, 29). Ce qui ne correspond pas du tout à l'inscription napoléonienne de la statue : « La Gaule unie, formant une seule nation, animée d'un même esprit, peut défier l'univers »
3. Discours de François Mitterrand au mont Beuvray. http://discours-publics.vie-publique.fr. et http://www.leshistoriensdegarde.fr/...
4. Au siège de Bourges, les assiégés gaulois avaient réussi à mettre le feu au terrassement (la rampe d'accès).