La scène se déroule sur le plateau du Grand Journal
de Canal+, l’émission de Michel Denisot avec Ariane Massenet et
Jean-Michel Aphatie. Les invités sont le couple de journalistes de
l’émission 7 à 8 de TF1, Anne-Sophie Lapix et Harry Roselmack.
L’interview démarre fort, avec une question sur le soupçon de
sarkozisme planant forcément sur un membre de la rédaction de TF1.
Méfiance qu’Anne-Sophie Lapix reconnaît volontiers, précisant qu’elle
est si consciente d’être suspecte de soutien au président qu’elle a
tendance au contraire à traiter en priorité les sujets où le silence
pourrait passer pour de la complaisance. Elle donne l’exemple du refus
que l’impératrice Cécilia ne comparaisse devant la Commission d’enquête parlementaire, à propos de la libération des infirmières bulgares, que la journaliste a insisté pour couvrir.
Soulignons qu’en effet, la Lapix nous a récemment époustouflé
d’indépendance en interrogeant le Premier Ministre de façon on ne peut
plus incisive. "N’est-ce pas dangereux de réagir à chaud ?",
a-t-elle en effet posé comme première question, à propos de l’affaire
du pédophile récidiviste, enchaînant après la réponse de Fillon par : "Bravo pour la réactivité, mais une politique se définit-elle en fonction de faits divers ?", ce qui est une sacrément opportune interrogation, avant de poursuivre son festival par une troisième question tout autant embarrassante pour le chef du gouvernement : "Les reconduites à la frontières (Nda : de sans-papiers) ne sont pas bien perçues par les Français, n’est-ce-pas ?" Et la voilà qui parle du "moral des Français" qui n’est plus "au beau fixe", de "la rentrée qui semble un peu ternie", de la croissance qui a "nettement ralenti", osant suggérer qu’il faudrait peut-être "réviser les prévisions, être un peu moins optimiste". Pire, elle assène cette incroyable question, à propos du crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunts immobiliers : "Est-ce qu’il y a encore d’autres promesses comme ça, de Nicolas Sarkozy, susceptibles d’être invalidées par le Conseil constitutionnel, et donc qui ne tiennent pas la route ?" Fillon a tenté de protester : "Eh non, attendez, c’est pas parce qu’une promesse est invalidée par le Conseil constitutionnel qu’elle ne tient pas la route !" Mais il n’aura pas le dernier mot : "En attendant, elle ne peut pas être appliquée"(*),
rétorque la blonde journaliste, lui clouant le bec. Grand moment. On se
pinçait de regarder TF1 ! Anne-Sophie Lapix, comme par exemple Audrey
Pulvar - on cite des noms tant le cas est exceptionnel à la télévision -, ne pratique donc certes pas le journalisme carpette. Mais elle ne
fait quand même pas ce qu’elle veut, n’exagérons pas, elle travaille
bel et bien sur TF1, la chaîne de Martin Bouygues, grand ami de
qui-vous-savez, parrain de son fils et témoin de son mariage... C’est
ainsi que Le Canard enchaîné de la semaine dernière a révélé qu’elle souhaitait passer dans 7 à 8, avec son camarade Roselmack, une interview exclusive du frère de Rachida Dati, trafiquant de drogue récidiviste condamné récemment à un an de prison.
Pas question ! Nonce Paolini, le nouveau directeur général de la chaîne, a sans doute estimé que ce n’était pas bon pour l’image de la mère fouettarde ministre de la Justice, puisqu’il a décroché son téléphone, exigé et immédiatement obtenu le retrait du sujet. Et voilà qu’Ariane Massenet interroge justement Lapix et
Roselmack sur leurs choix de sujets pour 7 à 8, passant en revue
plusieurs thèmes de reportages possibles pour l’émission et leur demandant
s’ils choisiraient de les traiter : le mariage de Jean-Pierre Pernaut, la
rentrée de Patrick Le Lay au Figaro Magazine... Allez, elle va le dire
: "le frère de Rachida Dati", c’est pas possible autrement !
Eh bien non. [Mise à jour de 15 h : A côté de Massenet, Jean-Michel Aphatie y aurait fait une allusion rapide qui nous
aurait échappé (pendant un aboiement du chien du voisin ?), d’après l’un
des commentateurs de ce blog. Impossible de vérifier, l’émission n’étant pas en
ligne. Mais en aucun cas n’a été évoqué un diktat de la hiérarchie.] Une seule
explication possible : Lapix et Roselmack, si ce n’est quelqu’un de plus haut
placé à TF1 (Paolini lui-même ? Laurent Solly, ancien
directeur de cabinet de Sarkozy ?), ont exigé comme condition à la participation
du tandem maison que l’on n’aborde pas ce sujet. Ce ne serait pas la première
fois que la chaîne cryptée censurerait un thème gênant pour sa consoeur TF1
(nous faisons ici allusion à un reportage sur le Turkmenistan, Le Pays où Bouygues est roi).Toujours est-il que le téléspectateur du Grand Journal n’aura pas appris hier soir que Lapix et Roselmack, justement
invités pour parler de leur émission 7 à 8, viennent de s’y voir
censurer un sujet. Et il ne saura pas non plus par ricochet que TF1 sélectionne
les informations délivrées en fonction des intérêt de Rachida Dati.
PS : Celui de La Matinale,
à l’instant et toujours sur Canal+, a pu par contre se régaler de
l’interview sans concession de Bernard Accoyer, président UMP de
l’Assemblée nationale, qui tentait de justifier la non-audition de
Cécilia devant la Commission parlementaire. La journaliste Caroline Roux, qui s’était loupée sur Cambadélis, s’est cette fois mise en vedette. Accoyer parle d’ "envoyée personnelle du président" ? "Ca n’existe pas, dans la constitution, envoyé spécial du président", tranche la jeune femme. Il invoque "la séparation des pouvoirs" ? "Qui ne concerne pas l’épouse du président", complète-t-elle, impitoyable. Accoyer est sonné. Coup de grâce : "Ce
que je ne comprends pas quand même, excusez-moi, c’est qu’en tant que
président de l’Assemblée nationale, ça ne vous dérange pas que Cécilia
Sarkozy parle à L’Est républicain (journal dans lequel elle raconte sa négociation libyenne de 50-heures-sans-interprète, Nda) mais refuse de le faire devant les députés !"
N’y aurait-il à la télévision que les femmes journalistes pour oser les
vraies questions ? Précision : non, on ne parlera pas ici de Claire
Chazal, dite le blond ectoplasme sarkoziste.
* Verbatim dans Le Canard enchaîné de la semaine dernière.