Ces députés et ces ministres qui travaillent 18 heures par jour

par Fergus
mercredi 22 janvier 2020

De véritables forçats, les députés estampillés La République en Marche : si l’on en croit Florent Bachelier, élu d’Ille-et-Vilaine, ils « assurent plus de 18 heures d’activité parlementaire par jour depuis 2,5 ans au service exclusif de l’intérêt général ». Chapeau bas pour cet admirable dévouement au bien de la Nation et à l’intérêt des Citoyens ! À noter que ces élus ne sont pas les seuls à sacrifier ainsi leur vie de famille et leurs loisirs : nombre de chefs d’entreprise, de commerçants et d’artisans affirment eux aussi faire des doubles journées…

En 2009, nous apprenait un numéro du Canard enchaîné, c’est Jean-Louis Borloo qui affirmait travailler « 18 heures par jour ». Quelques années plus tôt, c’était l’éphémère ministre de l’Économie et des Finances Hervé Gaymard qui se prévalait sans rire d’une telle charge de travail ! Or, voilà que Florent Bachelier, élu LREM et Premier questeur de l’Assemblée Nationale, nous a informé – dans une interview parue sur le site Ouest-France le 4 janvier 2020 – que les députés du parti macroniste sont eux aussi des stakhanovistes du travail parlementaire. Avec ce dernier témoignage, la chose semble désormais établie : bosser 18 heures par jour est une spécialité des caciques de la droite. Eh oui, ces gens-là consacrent les trois-quarts de leur temps de vie quotidien à faire avancer la France dans le concert des nations et à concocter pour leurs compatriotes des lois aux petits oignons pour leur mitonner une vie douillette.

Encore qu’il y ait dans les déclarations de ces héros de la res publica quelque chose qui me chiffonne. Les journées ne comptant, sauf erreur de ma part, que 24 heures, voilà des hommes qui, durant les 6 heures qu’ils ne passent pas à trimer durement pour sortir la Nation de son ornière économique et pour nous apporter, à vous et moi, plus de bien-être socioéconomique – un credo de la droite néolibérale –, ont le temps de se livrer à de multiples autres occupations. Notamment de petit-déjeuner, de déjeuner, de dîner, de se doucher, de se peigner, de se raser, de se laver les dents au moins deux fois par jour, de s’habiller, de consacrer un moment à l’éducation de leurs enfants, d’effectuer les déplacements qu’impose leurs fonctions, et – cerise sur le gâteau – de besogner leur épouse (ou leur maîtresse).

Un constat duquel on peut logiquement déduire : d’une part, qu’ils n’ont jamais de loisirs, si ce n’est quelques rares moments volés le week-end aux missions que leur impose leur sacerdoce républicain ; d’autre part, qu’ils dorment au grand maximum 3 heures par nuit.

Impressionnant, n’est-ce pas ? À moins que ces travailleurs acharnés ne fassent qu’une station très brève dans la salle de bains, ce qui pourrait être le cas de Jean-Louis Borloo, vu l’état habituel de sa coiffure et la puanteur de ses pieds révélée en mars 2008 par Rachida Dati sous une forme imagée : « J’ai eu le gerbillon ». À moins, autre hypothèse, qu’ils n’éprouvent pas un grand intérêt pour la copulation et se dispensent de cette corvée. Difficile à croire de la part d‘hommes de pouvoir dont on sait qu’ils sont en général très largement adeptes du coït frénétique comme de nombreuses affaires l’ont naguère démontré. Plus difficile encore à croire dans le cas de Gaymard dont la ribambelle de neuf rejetons élaborés sous la couette avec son épouse, la très catholique Clara, a souvent nécessité de remettre l’ouvrage sur le métier ou, pour faire dans la métaphore manuelle, le… tenon dans la mortaise ! Encore qu’il faille relativiser le temps du déduit : entre les performances de l’ex-star du X Rocco Siffredi et celles du lapin Panpan, il y a sans doute moyen de dégager un temps précieux. Marathonien du radada ou sprinter de la galipette, qui sait à quelle catégorie appartient Gaymard ?

Bref, on ne croit pas un instant à ces rodomontades visant à nous persuader que ces messieurs les ministres et députés n’hésitent pas à sacrifier leur sommeil, leurs loisirs et leur vie de famille au bien-être de nos compatriotes. Ou alors il faut admettre que les fornications de Dominique Strauss-Kahn avec une collaboratrice hongroise du FMI relevaient de réunions de travail. Et que la turlute (rien à voir avec la manière de chanter québécoise) pratiquée par Monica Lewinsky sur l’hypertrophie pénienne de Bill Clinton avait été rendue nécessaire pour soulager le Président des États-Unis d’une douloureuse crise de priapisme survenue dans l’exercice de ses fonctions ; une sorte d’accident du travail en quelque sorte. Ou bien encore que si Donald Trump est tenté d’« attraper par la chatte » certaines de ses collaboratrices, c’est pour préparer un sommet avec son « ami » Kim Jong-un.

Notez bien qu’il n’y a pas que les politiques pour nous interpréter ce genre d’aria soutenu par les pipeaux. En 2015, Marc Lelandais, ex-pédégé de Vivarte et liquidateur de milliers d’emplois des enseignes André et La Halle, affirmait lui aussi sur l’antenne d’ Europe 1 « travailler 18 heures par jour  ». Et une part importante des commerçants est exactement sur la même ligne. Sans mettre en avant leurs « 18 heures de boulot quotidien » à l’image de ce restaurateur rennais qui s’en désolait dans les médias il y a quelques années, nombre d’entre eux n’hésitent pas à afficher 14, voire 16 heures de travail par jour : « Je fais des doubles journées, moi, monsieur ! ». Y compris parmi celles ou ceux, pourtant très nombreux, qui habitent au-dessus de leur boutique et qui, dans l’attente du client, lisent un bouquin de Frédéric Mitterrand pour se documenter sur la plastique des boxeurs thaïlandais de 40 ans, regardent en streaming les pitreries de Franck Dubosc, ou testent le vibro-masseur livré la veille par Amazon dans un paquet discret.

Des redoutables, ceux-là, qui n’hésitent pas à entrer dans le lard de « ces fainéants de bureaucrates qui se la coulent douce » alors qu’eux-mêmes sont contraints de « bosser comme des damnés », et tout ça pour « se faire plumer par le fisc ». « Ah, ils ne connaissent pas leur bonheur, ceux qui bénéficient des 35 heures ! » ajoutent-ils d’un air pincé. C’est sûr que la vie est tellement plus douce pour le chaudronnier-fraiseur P3 affecté en équipe de nuit dans une unité de production à 50 kilomètres de son domicile. Ou pour l’opératrice téléphonique qui, stressée par les cadences imposées et la crainte des appels mystères, doit se payer de surcroît deux ou trois heures de transport en commun par jour entre son centre d’appel et son HLM de banlieue. Sans compter les égoutiers qui, c’est bien connu, ont choisi ce métier pour bénéficier d’une espérance de vie amputée de 17 ans. Le pied !

On touche d’ailleurs là une règle d’or : le petit patron, le commerçant et le travailleur libéral, lorsqu’ils ne résident pas sur leur lieu d’activité, incluent toujours leur temps de transport dans le temps de travail qu’ils brandissent comme une preuve de leur sacrifice aux yeux d’une société ingrate. Un temps de transport qu’ils refusent pourtant de prendre en compte pour ces privilégiés de salariés, toujours prompts à revendiquer et, c’est bien connu, « partisans du moindre effort ». Les différences entre les uns et les autres s’en trouvent de facto artificiellement gonflées.

Tout cela pour dire – en restant dans le domaine du plein-temps – qu’il existe d’énormes disparités dans tous les secteurs d’emploi, qu’ils soient publics ou privés, libéraux ou salariés, qu’ils concernent les employés ou les cadres, les salariés protégés par des conventions ou ceux qui sont soumis à l’arbitraire des petits patrons. Tout cela pour souligner également que, du côté des commerçants ou des travailleurs indépendants, on constate de très grandes inégalités entre ceux, nombreux, qui mouillent leur chemise sans compter leurs heures, et ceux, tout aussi nombreux, qui se la jouent galériens en surfant sur le web dans l’arrière-boutique.

On peut d’ailleurs étendre le constat de cette disparité au monde agricole, marqué lui aussi par d’énormes différences entre les secteurs de production. Rien de commun entre un céréalier, un maraîcher, un producteur d’agrumes, un vigneron, un éleveur traditionnel, un éleveur hors sol ou un aviculteur industriel. Chacun a ses contraintes professionnelles, ses moments de forte charge et ses périodes de relative liberté. Impossible d’évaluer pour eux un horaire quotidien moyen de travail tant cela serait dépourvu de sens entre les journées harassantes et sans fin au moment des moissons ou des vendanges – pour ne citer que ces exemples – et les longues périodes hivernales de quasi inactivité en raison du repos de la terre ou de l’enneigement des cultures.

En définitive, ce sont les mères célibataires qui effectuent les journées les plus éprouvantes en cumulant emploi, transports, courses, cuisine, éducation des enfants et travaux ménagers. Des « mères courage » qui, malgré la fatigue accumulée, ne se couchent pratiquement jamais sans s’être assurées préalablement de la qualité du sommeil de leurs enfants. Elles ne font peut-être pas 18 heures de travail par jour, mais ce sont elles qui s’en approchent le plus. Et c’est avant tout à ces femmes-là qu’il convient de rendre hommage !

Note : Florent Bachelier s'étant exprimé de manière ambiguë, on peut penser qu'il n'a pas voulu dire que chaque député LREM consacre plus de 18 heures par jour aux travaux parlementaires, mais que le collectif des députés du parti majoritaire assure une telle présence à l'Assemblée Nationale.

Photo : Thomas Lo Presti


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