Ces éditeurs qui pratiquent l’autodafé

par Léonel Houssam
vendredi 19 avril 2013

Je préviens gentiment les éditeurs qui me mettent sur une liste d'attente de six mois (comme pour dire à un chômeur, « si on ne vous rappelle pas sous trois semaines, c'est que vous ne faites pas l'affaire »), je les classerai moi-même comme persona non grata de ma liste des éventuels éditeurs de mes textes. Ce n'est pas de l'arrogance ni de la prétention, c'est l'égalité des relations que je prône. Je ne suis subordonné à personne, ni dans mon attitude, ni dans mon parcours. Il n'y a pas de concessions à faire. Je suis pour la réciprocité. Toute forme de condescendance ou de mise au rebut ou de tentative pour faire de moi un écrivain docile, c'est mort. Je sais que je perds du fric, du temps, des lecteurs et des contacts en disant ça, mais je m'en fous. J'écris, je suis lu, et ceux qui veulent faire du business avec mes mots le feront d'égal à égal avec moi dans la discussion.

Un titre provocateur, oui, mais pas tant que ça : 

J'ai de nombreux lecteurs en m'auto-publiant en ligne : des milliers (J’ai d’ailleurs mis tous mes écrits en ligne sous licence Creative Commons). Mais je n'entre pas un centime. Ce qui n'est pas grave mais qui pose le problème de mon temps disponible pour écrire, à terme. Il faut manger, donc écrire est annexe de l'emploi du temps de celui qui doit payer son logement et sa bouffe mais central pour l'être, l'âme qu'il est. Les éditeurs quand ils sont petits, n'ont pas les moyens de la promotion. Ils sont même une forme de ralentisseur pour l'écrivain. Les gros éditeurs, eux, ne pensent plus qu'à vendre, courant derrière les factures et les succès commerciaux. Et s'ils ne cherchent pas à vendre, ils font travailler des tas de fils de, de filles de, de potes de, sans jamais se soucier de l'intérêt de l'écrit. Ils jouent à la roulette et ne promeuvent que les écrivains - généralement - qui sont d'un milieu socio-économico-culturel similaire au leur. Les gens de classe populaire ou de classe moyenne inférieure, d'origine ban-lieusarde, provinciale, ouvrière, immigrée sont systématiquement des exceptions, des exotismes, des gens qui ne respectent pas suffisamment les codes pour gagner leur place dans le milieu consanguin de l'édition (parisienne surtout, à quelques exceptions près). Internet démonte ce système mais ne propose pas d'alternative économique aux auteurs déjà en galère. Les gens lisent volontiers gratuitement et préfèrent payer des abonnements ahurissants de téléphonie ou des vacances lamentables que de donner un kopeck à un écrivain indépendant.

Je prêche bien sûr pour ma paroisse et de celle de tous ceux qui mériteraient non pas de la considération ou de la commisération, mais de l’égalité de traitement. A ce jour, j’ai goûté à beaucoup de « systèmes » d’éditeurs. Aucun n’est vraiment convaincant mais ça, c’est normal et attendu. Le plus écœurant, ça n’est pas ça : c’est l’étalement des médiocrités du monde de l’édition qui, en façade, joue la carte de la défense de la littérature, et qui en réalité n’est constitué que de (show-)businessmen aux compétences, en matière littéraire, proches de zéro. Mais encore, admettons qu’ils n’aient pas un pet de valeurs, pas une once de respect pour la création littéraire, ça n’est rien, on en a vu d’autres. Mais ils sont aussi de mauvais hommes d’affaire, incapables d’innover, de percevoir les talents, de travailler sur des stratégies commerciales fiables. Ils font la guerre au numérique quand il faudrait le développer. Ils standardisent leurs publications quand il faudrait les diversifier. Ils fidélisent des personnes de plus en plus âgées en tournant le dos à de nouveaux lecteurs : bref, ils tirent tout ce qu’ils peuvent, ils raclent le maximum avant la fermeture définitive.
 
Ajoutons à cela leur cynisme, voire leur puanteur d’esprit lorsqu’ils posent leurs gros culs sur des promesses faites à des auteurs qui remplirent leurs caisses. J’ai en tête mon amie Franca Maï, qui a rejoint les étoiles en 2012 et qui a écrit avant de partir. Ces manuscrits sont d’une force immense, d’une puissance à la hauteur de ce qu’elle était. Et bien voilà, l’éditeur qui prenait sa part, lui a tourné le dos, l’a trahi, a vomi sur sa mémoire. Aucune chance que ces écrits posthumes d’une force rare soient un jour disponibles à la lecture (J’espère que ce billet d’humeur les fera réfléchir et revenir à leur devoir de dignité). Je pense à ses amis (dont je suis) et à sa famille. Je pense à elle qui écrivait au scalpel, qui dérangeait le bien-pensant de gauche, de droite, du milieu ou des falaises. Je pense aux hommes, à leurs grands discours, leurs faces de « gentil », leurs âmes de criminels possibles, de traîtres, de porcs (et encore cet animal vaut tellement mieux qu’eux), de capitalistes affamés, d’hommes et de femmes autant de lettres que de médiocrité… Voilà ma paroisse, celle que je défends, celle des scribouillards qui se donnent la peine, qu’on aime ou pas leurs écrits. Mais franchement, quand on voit les auteurs bankables chez Ruquier, à La Grande Librairie, au Grand Journal (etc.), on se dit que ce petit monde qui préfère baiser en famille dans un coffre-fort capitonné par l’avidité, le narcissisme et l’enflure, on ne souhaite qu’une seule chose : que le capitalisme ordurier qu’ils vénèrent les emporte tous…
 

Andy Vérol


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