Ces statues que l’on veut voir disparaître...
par Elliot
samedi 27 juin 2020
A propos de ces statues que d’aucuns veulent déboulonner et de ces noms de rue qui perpétuent le souvenir de personnages contestables qui seraient aujourd’hui traînés devant les tribunaux pour répondre de leurs actes, on doit reconnaître qu’ils portent témoignage de l’histoire de France. Il n’en est pas moins vrai que ce ne sont pas tous des gloires qu’il convient d’honorer et certains d’entre eux ont de terribles passifs laissés dans l’ombre parce que, à l’époque de leur consécration, le problème ne se posait pas de les montrer dans leur cruelle vérité.
Le talent n’excuse pas Voltaire d’avoir commis des textes violemment antisémites et antimusulmans comme il ne blanchit pas Céline d’avoir professé une haine virulente des Juifs : il convient de continuer à les lire pour leur style et même pour la philosophie humaine sinon humaniste qu’ils représentent mais aussi de se rappeler qui ils étaient.
Je ne vais pas contester le président Macron sur les positions où il a choisi de camper, elles ont le mérite de la cohérence avec les choix faits par le passé mais il n’aurait pas été sans intérêt qu’il se souvînt que, de tous temps et dans tous les pays, des rues ont été débaptisées et des statues ont été mises au rancart.
La France de Vichy a été un moment douloureux de l’histoire de France mais c’est une réalité qui a bénéficié d’un soutien certain pendant l’occupation même si il n’y avait plus guère de monde à la Libération pour s’en prévaloir. Pourtant où existe-t-il encore des rues à la gloire du maréchal Pétain ou des statues à l’effigie de ceux qui ont sombré dans la collaboration ?
De même dans mon pays, la Belgique, une personnalité très controversée comme le roi Léopold II s’est, par cupidité, par appât de gains faciles, rendu complice de véritables crimes contre l’humanité au Congo qui auraient fait, selon les sources, plusieurs millions de morts dans la population indigène réduite en esclavage (même si cela n’en portait pas le nom) pour contribuer à piller les richesses de leur pays au profit d’aventuriers qui ont donné naissance à l’aristocratie de l’argent qui existe et même dans une certaine mesure règne toujours en Belgique.
S’il est illusoire de vouloir débaptiser toutes les rues qui perpétuent le souvenir des lâches qui ont conforté l’ordre colonial en abusant de leur force militaire, peut-être serait-il à la fois légitime et opportun de mettre au musée les statues qui leur furent dédicacées à une époque où peu de monde savait ce qui se passait réellement dans ces contrées lointaines.
Serait-il inconvenant d’enseigner à la population scolaire autrement que de manière expurgée les méfaits dont leur pays s’est rendu coupable et de rappeler que tous ces aménagements, toutes ces améliorations apportées aux infrastructures dans les colonies, la création de dispensaires voire d’hôpitaux étaient d’abord conçus pour faciliter en premier lieu la vie des colons ? Je pense qu'au contraire cela grandirait ceux qui oseraient enfin abattre certaines idoles de leur piédestal.
Alors quand le président Macron affiche sa détermination de ne pas céder à la passion de la rue, outre qu’il oublie que la France a une grande expertise dans le déboulonnage des vestiges de son passé, il se met dans une position délicate vis-à-vis de l’histoire puisque chacun sait qu’il ne sera pas capable de tenir sa promesse et qu’il devra lâcher du lest pour apaiser les passions.
Je ne sais s’il existe quelque part en France une statue à la gloire du général Bugeaud qui, dans son entreprise de colonisation, a repris pour décimer les populations algériennes les recettes que la révolution de 1789 avait utilisées pour écraser les foyers de résistance catholiques et royalistes en Vendée, la répression féroce et la famine organisée qui ont occasionné en Vendée comme en Algérie des dizaines de milliers de morts inscrivant en lettres de sang ce qui fut longtemps considéré comme une épopée à la gloire de la France.
Mais si d’aventure il existe des statues ou des stèles de cet acabit, il ne serait pas illégitime de les enlever car elles consacrent un personnage sanguinaire qui fait aujourd’hui offense à une partie de la France et n'a rien d'un héros.
L’Allemagne est à cet égard exemplaire au contraire de l’Autriche d’ailleurs ; elle n’a pas nié son passé nazi mais elle l’a transformé en un repoussoir absolu, sans doute un peu contrainte par les puissances victorieuses mais aussi en tirant les leçons de la catastrophe absolue à laquelle l’avait conduite la démesure hitlérienne.
Si l’on se souvient du calvaire enduré par les populations juives poussées à l’extermination dans les conditions les plus abominables en enseignant comme de juste la Shoah dans les programmes d’histoire et en n’occultant pas les responsabilités de la France d’alors comme sut le faire le président Chirac, il conviendrait aussi de ne pas oublier les blessures laissées par le passé colonial et qui n’attendaient sans doute qu’un évènement comme le meurtre de Georges Floyd pour se réveiller et ramener sur le devant de la scène d’autres victimes, françaises celles-là, de certaines méthodes policières de maintien de l’ordre au profit de la consolidation d’un système qui paraît de plus en plus aberrant au vu de l’accélération de l’évolution du monde dont la Covid 19 n’est en fait qu’un épiphénomène appelé à se répéter sous d’autres formes.