Cesser le feu !

par Jean J. MOUROT
lundi 15 mai 2023

 

« L’ignorance des victimes est tragique.

On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels. »

Anatole France 1922

 

 Il n’est pas facile de raison garder lorsqu’il s’agit d’écrire sur la guerre d’Ukraine. Surtout sur ce site saturé d’inconditionnels de la Russie de Poutine. Il faut dire que la plupart des grands médias occidentaux sont unanimes derrière Zelensky, allant même jusqu’à le pousser à ne rien lâcher.

JPEG

 On ne peut s’empêcher de remarquer que le projet initial de Poutine de renverser Zelensky et de chasser les « nazis de Kiev » a échoué, avant même que le soutien « occidental »ait été effectif. L’agression militaire a même réussi ce que la politique intérieure avait manqué : unifier la plus grand partie de l’Ukraine autour de son président et vivifier un sentiment national dont on pouvait jusqu’alors douter.

 Mais, même si la Russie n’est plus la grande puissance que fut l’URSS, elle n’est pas pour autant un « tigre de papier »[1] et il est bien imprudent de tabler sur son écroulement face à l’Ukraine de Zelensky, même armée et aidée par les USA et l’Union européenne.

 Alors, que faire ? Continuer à regarder les belligérants se balancer des missiles et des obus plus ou moins à l’aveuglette ? À se désoler de les voir jouer Verdun 1916 ? Attendre que Poutine cède la place à un de ses clones ?

 Il est vrai que renoncer à chasser les troupes russes de l’Ukraine (dans ses frontières actuelles) ressemble un peu à la démission des Français et des Britanniques à Munich en 1938. Mais l’engagement actuel de l’ « Occident » contre la Russie est bien hypocrite : on envoie des armes et des munitions (au compte-gouttes) mais on ne se risque absolument pas à y envoyer des troupes[2]. Quant aux sanctions économiques, elles nuisent autant à l’ « Occident » qu’à la Russie et elles déstabilisent complètement le commerce mondial !

 Le manichéisme fonctionne à plein. Pour les Européiste et les Américains (du nord) Zelensky est le chevalier blanc et Poutine l’aigle noir. La réalité est moins tranchée et les pays émergents sont loin de suivre l’ « Occident »sur la question, comme l’ont révélés des votes à l’ONU. Même si Poutine est loin d’être un démocrate (euphémisme !), si en l’occurrence, c’est lui l’agresseur, Zelensky a quelques casseroles à ses basques et tous les Ukrainiens ne sont pas des anges[3]. Mais surtout, le jusqu’auboutisme irréaliste de son président risque de transformer l’Ukraine en un champ de ruines – ce qui est déjà le cas pour une grande partie du pays. Nous pouvons nous émouvoir du sort des Ukrainiens et les aider à survivre sans pour autant les inciter à se faire tuer jusqu’au dernier pour tenter de chasser les Russes de leur terre.

 Ne serait-il pas temps de tenir compte de l’histoire compliquée de cette nation et de se résigner à la négociation d’un compromis qui permette à chaque partie de ne pas perdre la face et surtout d’arrêter de se détruire mutuellement ?[4]

 L’Ukraine n’est pas la France et l’autonomisation de l’est de cet état n’a rien à voir avec la perte de l’Alsace et de la Moselle. Ce n’est pas d’aujourd’hui que le nord-ouest du pays lorgne vers l’Occident et que le sud-est se sent proche des Russes dont il parle majoritairement la langue.

 Si nous avons de la sympathie pour les Ukrainiens, ne les encourageons pas dans un jusqu’auboutisme qui ne fera l’affaire que des marchands de canons. Ce sont leurs hommes et non les nôtres qui en font les frais[5].

 

 

Jean Mourot

 

 

 PS/ Du temps de l’URSS, la France entretenait des relations culturelles normales avec la Russie. On pouvait même voir des films russes à la télévision. Depuis quelques décennies, on est passé à un véritable boycott de la culture russe… mais le gaz et le pétrole ont circulé sans problème ! Pourtant Tchekov, Dostoïevski, Gorki ou encore Tchaïkovski, Prokofiev, Chostakovitch ne sont pas coupables des crimes de Poutine !

 

 

 

[1] / Napoléon et Hitler auraient pu en témoigner, dont les victoires successives ont abouti à une défaite finale, l’immense Russie ayant les moyens de se refaire, à terme.

[2] / Nos moyens militaires ne nous permettent d’ailleurs pas de trop nous démunir pour le cas où nous devrions défendre notre propre sol !

[3] / Les pro-russes ne manquent pas d’évoquer la persistance en Ukraine d’un certain culte de Stepan Bandera et l’existence de « banderites » à l’idéologie ouvertement fasciste mais qui ont cessé depuis longtemps d’être une menace pour les Russes. Ils font cependant silence sur les crimes du stalinisme…

[4] / On l’a bien fait en Corée en 1953, après trois années d’une guerre meurtrière et coûteuse au cours de laquelle nous avions pourtant engagé un bataillon aux côtés des USA et de ses alliés sous la bannière de l’ONU.

[5] / Sans compter les civils victimes des frappes assassines.


Lire l'article complet, et les commentaires