Cet art officiel qui se pisse dessus, quel aveu !

par Paul Villach
vendredi 29 avril 2011

L’affaire du crucifix sulpicien dans la pisse, vandalisé à la Collection Lambert d’Avignon, dimanche 17 avril 2011, a fait pousser des cris d’orfraie aux fidèles de l’art contemporain officiel. Le délit  attribué à des intégristes catholiques ne signe-t-il pas un climat d’intolérance qui menace la liberté de création artistique ? C’est ainsi que, comme les trains, des intégristes peuvent en cacher bien d’autres.

La stimulation d’un réflexe de répulsion pour capter l’attention
 
Qu’on ne se méprenne pas, on condamne ce délit sans réserve comme toute violence contre les biens et les personnes. Celle-ci ne résout rien. On ne doit pas exprimer l’aversion que l’on ressent, comme l’ont fait les auteurs insensés de cet acte de vandalisme.
 
Mais le propriétaire du bien détruit et son exposant ne peuvent pour autant s’exonérer de leurs responsabilités : leur était-il si difficile d’anticiper les réflexes de répulsion, de condamnation voire de révolte que ne manquerait pas de provoquer chez des chrétiens ce traitement insolite, aussi gratuit que méprisant, réservé à l’image symbolique du fondateur de leur religion et du supplice tragique auquel il est identifié, un crucifix baignant dans l’urine ? Et pourquoi pas en planter un, tant qu’on y est, dans un étron ? Quel musée ne serait pas preneur ?
 
Toutes les arguties incontinentes dont l’art contemporain officiel cherche à masquer le plus souvent le vide de ses représentations indigentes, ne peuvent faire admettre ce montage que l’on juge détestable, même si on ne partage pas la foi chrétienne. On a ainsi entendu dire que l’urine et le sang avaient par temps d’épidémie de SIDA une signification particulière. À en en croire ses thuriféraires, ce crucifix dans le pipi serait un témoignage d’empathie envers les malades. Comment tomber dans le piège de ce leurre d’appel humanitaire pour justifier l’injustifiable ? On ne sache pas que ce genre de pitreries fasse des miracles, même si le thème de l’exposition d’Avignon était « Je crois aux miracles  ». 
 
De l’urinoir à la pisse dans un musée
 
Car avant de scandaliser des croyants chrétiens, ce crucifix dans le pipi porte atteinte à la noble idée que l’on se fait de l’art. La photo de l’immersion d’un crucifix sulpicien dans la pisse suffit-elle à faire une œuvre d’art ? Tout juste est-on en présence d’un mauvais gag de carabins éméchés pour faire scandale et parler de soi.
 
Il s’inscrit dans la tradition désastreuse d’un 20ème siècle qui s’est ingénié à exhiber la « misère de l’art » dans tous ses états (1) : il s’agissait d’inventer n’importe quoi pour se présenter comme une avant-garde. Mais la logique de cette course sans fin est que l’avant-garde d’un jour se fait toujours dépasser par celle du lendemain et devient bientôt une arrière-garde qui ne mérite même pas qu’on s’en souvienne. Que peut bien signifier d'ailleurs dans l’aventure artistique ce lexique militaire sinon la mise au pas de l'art par le marché ?
 
C’est ainsi qu’un acte créateur avec tout le travail patient et difficile qu’il implique, n’a même plus été utile pour produire une œuvre. L’idée la plus saugrenue, aussi vite réalisée que conçue, suffisait à créer la surprise. Des musées ont accueilli sans honte des tableaux bleus, blancs, rouges ou noirs, accompagnés parfois d’ élucubrations sur l’épiphanie du « monochrome », comme « aboutissement d’un parcours ». Duchamp s’est permis, lui, d’exposer dans un musée un urinoir, baptisé « Fontaine ».
 
S’il a prétendu, cependant, faire œuvre pédagogique en montrant, avant Mac Luhan, que « le médium est le message » et que, jouissant d’une autorité usurpée, le musée qui l’abrite, fait - hélas ! - l’oeuvre d’art par simple argument d’autorité implicite, nombre de ses imitateurs paresseux, eux, s’en sont donné à cœur joie à sa suite pour se faire passer pour des artistes. Est-il si étonnant qu’après le contenant, un musée en vienne à exhiber le contenu, la photo d’un bac d’urine où trempe, pour choquer le chrétien, le symbole le plus sacré de sa religion ?
 
Il est en tout cas un sentiment qui ne trompe pas. On est heureux quand on ressort du Louvre ou du Musée d’Orsay à Paris après s’être recueilli, par exemple, devant « Amour et Psyché  » de Canova, « Une Mère et sa fille  », un autoportrait de Mme Vigée-Le Brun, « le Tépidarium de Pompéi » de Chassériau ou encore « La Danse  » de Carpeaux. À la vue de ce crucifix sulpicien dans la pisse, exposé avec les honneurs dus à une œuvre d’art, on éprouve, en revanche, un sentiment de honte. L’intégrisme de l’art contemporain officiel est aussi répugnant que les intégrismes religieux. Le seul plaisir toutefois qu’on en retire, c’est de le voir parfois, comme ici, se faire pipi dessus : quel aveu ! Il ne peut mieux exhiber son indigence. Paul Villach 
 
(1) Jean-Philippe Domecq, « Misère de l’art  », Éditions Calmann-Lévy, 1999. 

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