Charia vs laïcité, dites-vous ?

par GHEDIA Aziz
mardi 22 novembre 2011

Après la mort de Kadhafi et donc la libération des libyens de 42 ans de despotisme et de « tyrannie », le CNT, par la bouche de son président Mustapha Abdeljalil, s’est empressé d’annoncer que « En tant que pays islamique nous avons adopté la charia comme loi essentielle et toute loi qui violerait la charia est légalement nulle et non avenue ». Cette annonce a provoqué l’effet d’une douche froide au sein des milieux politiques en Europe et aux États-Unis. Mais, les premiers à avoir réagi à cette déclaration ce sont évidemment les français dont l’engagement sur le terrain, en Libye, a été décisif. Le « tout ça pour ça » revenait dans toutes les discussions, aussi bien dans les bistrots des petits villages de la France profonde que dans les salons huppés de la région parisienne.

En fait, cela est une supposition de ma part.

Tout ça parce que le mot « charia » fait peur et provoque des craintes, parfois non justifiées, en Occident. Il est mal compris et donc mal interprété. Pour l’Européen moyen, ce mot n’évoque rien de moins que la lapidation de la femme adultère, la polygamie, la soumission totale de la femme à l’homme, l’amputation de la main au voleur, … etc. En somme tout ce qui constitue l’horreur absolue. En un mot, cela évoque tout ce qui est antinomique avec la notion des droits de l’homme telle que stipulée par la charte de 1948 des Nations Unies. En fait, la conception que se fait l’homme occidental de la charia est complètement erronée. Et ceci est sciemment entretenu par les politiques pour une raison bien précise : l’islamophobie.

L’application de la loi islamique n’a pas que des côtés négatifs. Dans le monde de la finance et de l’économie, par exemple, l’on commence à se rendre compte que celle-ci pourrait résoudre pas mal de problèmes notamment par des prêts bancaires à taux bonifiés ou même sans intérêts, l’intérêt étant illicite en Islam. Cette idée commence à faire son chemin même en France d’ailleurs.

La charia n’est pas la loi du Talion : œil pour œil et dent pour dent. Des pays musulmans comme l’Arabie saoudite, par exemple, s’en inspirent depuis longtemps sans que l’Europe ou les Etats-Unis ne s’en offusquent outre mesure. Alors, la question que l’on pourrait se poser est celle-là : pour quoi ce qui est toléré par l’Occident chez les uns ne le serait-il pas chez les autres ? Ou alors l’Occident estime-t-il que le fait d’être intervenu militairement en Libye lui donnerait automatiquement un droit de regard sur le projet de société envisagé par les Libyens libérés ? En tous les cas c’est ce que laissent entendre les mises en gardes de l’Europe, et ce, dès l’annonce de cette nouvelle. Cela n’augure rien de bon pour le peuple libyen. L’on peut même dire, sans risque d’être contredit, qu’il est le dindon de la farce. Il s’est libéré d’une dictature, certes. Mais, on lui fait comprendre qu’il ne peut pas prendre son destin en main. Qu’il doit se soumettre encore qui plus est à ses libérateurs occidentaux.

En homme politique avisé, seul Alain Juppé, le ministre français des affaires étrangères, a tenu un discours raisonnable. Ecoutons-le : « c'est au peuple libyen qu'il appartient de choisir son destin dans des élections libres". Et plus loin encore, il ajoute ceci : « qu'il y a place tout autour de la Méditerranée pour un islam qui soit conciliable avec nos valeurs démocratiques".
"C'est à cela que doit contribuer le dialogue interculturel et interreligieux que nous devons développer avec l'islam plutôt que de nous barricader dans nos certitudes occidentales ».

 Le mot « charia » fait peur en Occident de la même façon que le mot « laïcité » prononcé dans le monde arabo musulman. Tout cela parce qu’il n’y a pas « de dialogue interculturel et interreligieux » entre les deux rives de la méditerranée. Parfois il est donc préférable de ne pas appeler un chat un chat et de savoir user, de façon subtile, d’autres synonymes pour désigner un même dogme. La pilule, même si elle est amère, est ainsi facilement acceptée et avalée. Il n’y a pas si longtemps, j’en ai fait l’expérience. Au cours de mes discussions avec des amis, j’avais beau essayer de leur expliquer la position de notre nouveau parti politique vis-à-vis de la religion, je ne rencontrais que méfiance et incompréhensions de leur part. Tout cela parce que le mot « laïcité » revenait souvent dans ma bouche. Là où, personnellement, j’entendais « séparation du politique du religieux », tolérance, liberté de conscience, éloignement de l’école de toute idéologie partisane, eux voyaient ni plus ni moins que de l’athéisme dans mes propos. 

Mais, entre nous, j’ai hâte de lire ce que pense de tout cela le philosophe de la guerre, j’ai nommé BHL. Ensemble, faisons une petite halte sur son bloc-notes. Nous ne pouvons pas être déçus. Pour lui, « Charia, d’abord, n’est pas un gros mot ». C’est rassurant tout de même ! Je m’attendais à pire que ça. Je m’attendais à ce qu’il verse son fiel sur la religion de plus d’un milliard de personnes. Mais rien de tout cela. Depuis la fin de la guerre en Libye, BHL semble avoir retrouvé ses esprits. Il s’est assagi ! Il semble avoir troqué son treillis de guérilleros pour un Kamis de Philosophe moderne. 

Dans son article « La France ne peut cautionner ‘ l’Islamisme modéré’ du printemps arabe  », Ivan Rioufol du figaro ne pense pas moins que « la charia est inconciliable avec une démocratie laïque ». Mais, pour atténuer un tant soit peu les craintes et les appréhensions des uns et des autres, en France plus particulièrement, disons qu’au Maghreb, l’application de la charia n’est pas pour demain. Et même si elle devait, un jour, être appliquée, elle ne le sera jamais dans son intégralité. Les Maghrébins sont, certes, musulmans mais pas des islamistes purs et durs. L’Islam pratiqué au Maghreb est un "Islam light" comme diraient certains. A quelques exceptions près, les Maghrébins sont musulmans beaucoup plus par tradition que par conviction. Leur islamité est héritée en quelque sorte de leurs parents ; mais elle est tout de même considérée plus qu’un patrimoine culturel. La majorité d’entre-nous prône un Islam dont la devise est « bâd El Icha afaâl ma tacha » autrement dit après la prière du soir tout est permis ! Bien sûr ceci n’est qu’une caricature. Car, dans les faits, un bon musulman doit avoir un comportement exemplaire en tout lieu et en tout temps.  

Liberté d’expression oblige, terminons par ce commentaire que je laissé à l’intention d’Ivan Rioufol :

« Un adage bien de chez vous dit "qui sème le vent récolte la tempête" ! Eh bien oui, l'Occident (et à sa tête l'OTAN) a voulu semer à coups de canon la démocratie dans le désert libyen, il doit s'attendre maintenant à récolter la "charia". Non. Plus sérieusement. Ce que disent les officiels libyens ne doit pas être pris au premier degré. Ce ne sont que des paroles en l'air TOUT juste bonnes pour la consommation interne. La démocratie finira par triompher partout où les peuples se sont révoltés contre l'ordre établi. Ce n'est qu'une question de temps. Qui aurait parié un seul euro sur la chute de Ben Ali, de Moubarak et de Kadhafi il y'a moins d'une année ? Et pourtant ces tyrans ont fini soit par plier bagages et dégager soit par rendre l'arme à gauche ».


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