ChatGPT, expertise, démocratie

par Paul ORIOL
lundi 13 mars 2023

ChatGPT peut faire beaucoup de choses mais ne fait que ce que contient son progrramme et sa mémoire. Ce n'est pas une intelligence humaine. C'est une inteligence humaine-dépendant avec d'énormes réserves de mémoire. Sans aucune imagination. Peut combiner les données de sa mémoire mais ne peut créer

ChatGPT, expertise, démocratie

L'iNFAUX, C'EST VRAI ?

Depuis quelques jours, tous les médias parlent de l’étonnante prouesse technique de l’Intelligence artificielle (IA) que constitue ChatGPT et de ses capacités à répondre de façon intelligente, logique, cohérente, humaine (presque), surhumaine en tout cas à de nombreuses et difficiles questions. En effet, ChatGPT peut disserter sur à peu près tout, grâce à une mémoire encyclopédique des faits mais aussi des articles qui ont traité de ces faits... Sa mémoire peut ainsi articuler les faits dans des réponses cohérentes. Et même adopter un style littéraire.

Du coup, les travailleurs intellectuels qui se souciaient, plus ou moins, des machines ou des robots mettant les ouvriers aux chômage, sont beaucoup plus inquiets car, aujourd’hui, ils se voient eux mêmes mis en question ! Si une machine peut rédiger un article sur n’importe quel sujet en utilisant tous les faits connus et même les articles antérieurs, que reste-t-il pour les journalistes et demain pour les professeurs, enseignants et correcteurs, artistes*, auteurs, compositeurs, peintres, avocats, juges… ?

 
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Il n’est pas sûr que les arguments utilisés par certains – destruction créatrice, plus de 90 % des métiers d’aujourd’hui existaient déjà, il y a 30 ou 50 ans - pour calmer les ouvriers inquiets face au chômage, soient satisfaisants concernant leur propre avenir. Pourtant, ils ont une formation qui devrait les aider pour se reconvertir, ce qui n’est pas le cas des ouvriers mis au chômage qui ont peu ou pas de formation, ni de base, ni en cours d’emploi, ni en vue de leur reconversion.

 

LES ROBOTS CONTRE L'EMPLOI ?

Nombre d’entre eux peuvent être remplacés… Le travail de l’avocat, de l’avocat général, du procureur comme celui du journaliste peut être accompli par une version de ChatGPT, programmée pour faire l’acte d’accusation et par une autre version la plaidoirie de la défense, tous deux à partir du même dossier d’instruction, avec une connaissance infaillible du droit, de la jurisprudence, des actes d’accusation ou de plaidoiries antérieurs. Évidemment, une troisième version pourra juger… Beaucoup de délits ou crimes se reproduisent à l’identique et les peines qui les sanctionnent sont prévues. Il peut être tentant de confier à une IA de soulager la justice de piles de dossiers qui l’encombrent… Ce serait une justice humaine (presque) mais il est laissé au juge (humain) une certaine liberté d’appréciation de la sanction qu’il pense devoir prononcer. ChatGPT ne sentira pas l’éventuelle émotion de la salle du tribunal qui aura disparu, ne sortira pas des clous, ne fera pas création de jurisprudence…
 

Pour toute décision des juges, des professeurs, des journalistes, la question de responsabilité se pose. Elle est celle des personnes qui organisent le processus de décision de ChatGPT.

 

Les questions, posées par un journaliste algérien, ont obtenu des réponses documentées, claires, intelligentes, diplomatiques qui ont été programmées pour ChatGPT. Avec les mêmes questions, les mêmes données, il aurait été possible de lui faire dire des choses très différentes avec un autre style, adapté : accusatoire, militant, de gauche, de droite, de démocratie illibérale… Il sera d’ailleurs intéressant de comparer les réponses quand ChatGPT aura quelques concurrents...

 

Au delà de cette question corporatiste, qui n’est pas négligeable, l’aspect démocratique est encore plus inquiétant. Car le danger de ChatGPT, comme celui de toutes les innovations techniques depuis l’invention de l’écriture, de l’imprimerie, de tous les moyens de communication, d’information est dans la concentration, la confiscation du pouvoir par quelques personnes, compétentes, qui en détiennent les clefs. De ChatGPT comme, auparavant, de tous les autres canaux. Et ce n’est pas un simple hasard si c’est une entreprise des Gafam qui s’est emparée de l’entreprise-mère de ChatGPT. Les autres, en Occident ou ailleurs, sont sur le pied de guerre pour faire encore mieux… pour les profits, pour le pouvoir…

Si ChatGPT est un outil surhumain par ses capacités, son « intelligence  » n’est pas humaine, elle est humaine-dépendante de la personne ou des personnes qui lui dicteront que faire pour satisfaire les désirs, réellement humains, des commanditaires : profits et pouvoir.

 

C’est, une fois de plus, la démocratie que ce progrès technique met en danger. Car la démocratie n’est qu’une utopie qui repose sur un postulat** : Tous les hommes naissent libres et égaux en droits (Article 1er de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen). Ces droits naturels ne sont qu’un postulat. Que beaucoup vénèrent. Que peu respectent. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme suivant l’article II de la même Déclaration mais ,généralement, les sociétés rendent certains, rapidement, plus libres, plus égaux que d’autres. Et les choses ne font que s’aggraver avec le redoutable développement scientifique et technique.

À l’apparition de chaque nouvelle technique, l’illusion d’une appropriation plus ou moins populaire a, rapidement, été déçue. Que ce soit pour l’imprimerie, pour l’image, pour internet, pour les réseaux sociaux dans tous leurs aspects. Rapidement les moyens de production et de diffusion ont été concentrés dans quelques mains. Y compris pour les fausses informations avec les structures étatiques ou privées***. ChatGPT prendra rapidement du service. En oubliant, en modifiant ou en créant des faits pour justifier telle ou telle décision comme hier, la CIA justifiant l’invasion de l’Irak... Couverte, au moins pendant quelque temps, de l’infaillibilité de cette IA.

CHAINES INFO MANIPULATEURS

Internet et les GAFAM comme la presse, l’édition, les radios libres… ont commencé petits quelquefois avec des idées généreuses. Devenus des monopoles. Que rejoint ChatGPT immédiatement utilisable, loin du mythe de jeunes informaticiens travaillant entre copains au fond d’un garage… On parle des excès des réseaux sociaux par tout un chacun mais plus dangereux sont les infox venant d’institutions étatiques ou privées, beaucoup plus difficiles à contrôler, présents en force sur ces réseaux : agences de tous les pays à l’époque de la post-vérité ou de la vérité alternative, Twitter aux mains d’Elon Musk… Sans oublier le traitement des données sensibles nationales par Microsoft, de droit étasunien et donc avec transmission aux États-Unis que l’Union européenne essaie de limiter...

La démocratie, le gouvernement du peuple par le peuple, pour le peuple, est une utopie ou plus exactement une illusion si ce n’est purement et simplement une duperie. Car l’avoir, le savoir et donc le pouvoir sont très concentrés dans quelques personnes, de classes sociales interfécondes de compétents. Qui peuvent percevoir l’utilité, la nécessité d’exécutants, lors de la prise de conscience d’une faiblesse grave. Conscience fugace. Rapidement, ils reprennent leur exploitation et leur mépris sans vergogne de la masse de la population. En cela, le compétent, le technocrate Emmanuel Macron est un expert. Il a l’immense mérite de la franchise : dans la distribution d’un pognon de dingue à ceux qui en ont déjà beaucoup et de paroles blessantes pour ceux qui ne sont rien !

Les Macron, ses collègues n’ont qu’un temps. Ils passent physiologiquement, socialement, le plus souvent lentement. Quelquefois, brutalement à l’occasion d’en tremblement social.

Mais comment faire pour démocratiser les institutions étatiques ou privées qui détiennent les pouvoirs ?

* Une version de La Jeune Fille à la perle, de Vermeer, réalisée à l’aide de l’intelligence artificielle, exposée au Rijksmuseum d’Amsterdam pour la grande rétrospective consacrée au peintre néerlandais. (Le Monde 12 mars 2023)

** postulat (latin postulatum, demande), « proposition que l'on demande d'admettre avant un raisonnement, que l'on ne peut démontrer et qui ne saurait être mise en doute » (Larousse).

*** Comme Pegasus, logiciel espion

 

 

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