Châtiments cruels : les Etats-Unis doivent-ils supprimer le VIIIe amendement ?

par Anthony Meilland
mardi 9 mai 2006

Zacarias Moussaoui vient d’être condamné à la réclusion à perpétuité sans possibilité de réduction de peine, ainsi qu’à un quasi-isolement pour l’intégralité de sa détention. Ce verdict, bien qu’en apparence clément, le procureur ayant requis la peine capitale, pose une question primordiale : est-il compatible avec la Constitution des Etats-Unis d’Amérique ?

« Les cautions et les amendes excessives, ainsi que les châtiments cruels ou exceptionnels, sont interdits »

VIIIe amendement, 15 décembre 1791, Bill of rights

Une des plus grandes difficultés de la Justice américaine, et en particulier de la Cour suprême des Etats-Unis, a toujours été l’interprétation de la Constitution, qui fait appel à des notions au demeurant un peu floues et abstraites comme celle de "cruauté" dans le VIIIe amendement. Il lui faut donc, par exemple, réactualiser sans cesse cette question centrale : qu’est-ce qu’un châtiment cruel ?

Commençons donc par évoquer le cas de la peine de mort, qui a grandement occupé les juges suprêmes depuis les années cinquante. A partir de 1967 la Cour suprême commence à invalider l’application de la peine de mort dans différents Etats. Puis en 1972, elle décide un moratoire dans tout le pays. Les Etats fédérés ainsi que l’Etat fédéral sont alors sommés de modifier leur législation afin de la mettre en conformité avec la Constitution et en particulier avec le VIIIe amendement. Deux reproches majeurs sont alors faits à l’application de cette peine. Dans beaucoup de cas la sentence implique des douleurs excessives qui peuvent être qualifiées de cruelles. L’autre reproche concerne la procédure pénale qui permet la condamnation à la peine capitale. Cette procédure est jugée contraire à la Constitution et la Cour suprême demande aux Etats d’effectuer de profondes réformes, avec en particulier la limitation de la peine de mort à certains crimes et l’introduction d’un double procès ( un sur la culpabilité, puis un autre sur la peine). En 1976, les juges suprêmes approuvent les réformes effectuées au Texas, en Floride, et en Géorgie. La peine capitale peut de nouveau être appliquée dans ces Etats. Ils seront rapidement suivis par trente-cinq autres, puis par l’Etat fédéral qui ne réformera ses procédures « qu’en » 1988.

Autre exemple concernant la peine de mort. La Cour suprême s’est souvent penchée sur le problème de son application à des mineurs. En 1988 elle interdit les condamnations contre des enfants de moins de 16 ans, puis en 2005 contre les moins de 18 ans. Mais cette dernière interdiction doit plus aux pressions internationales qu’à une quelconque interprétation de la Constitution américaine. En effet, outre les USA, seuls la Chine, l’Iran et le Pakistan appliquaient la peine de mort aux mineurs. Cela était très dommageable pour l’image d’un pays déjà bien malmené en termes de respectabilité par d’autres problèmes relatifs aux droits de l’homme (torture en Irak et en Afghanistan, prison "off-shore" de Guantanamo...)

Ce petit amendement pose donc d’énormes problèmes aux officiels américains. Outre la peine de mort, on peut évoquer la question de la légalité de la torture que s’est récemment posée le gouvernement fédéral après les scandales d’Abou Ghraib, et de l’utilisation de telles pratiques dans la guerre contre la terreur de l’administration Bush. Si la majorité du Congrès a voté une loi interdisant « tout traitement cruel et dégradant sur les prisonniers » renforçant ainsi le VIIIe amendement, beaucoup de voix se sont fait entendre pour permettre à la CIA de faire exception en cas « d’attaque imminente », avec parmi elles, celle du très controversé vice-président Dick Cheney.

Examinons maintenant le cas de Zacarias Moussaoui, ou plutôt la peine qui vient de lui être infligée, car il ne s’agit pas ici de parler de cas particulier. La condamnation à vie sans possibilité de remise de peine. Cette mesure n’est pratiquée que dans très peu d’Etats démocratiques, la plupart considérant qu’un condamné doit toujours, et ceci quel que soit le crime commis, avoir la possibilité de sortir, si son comprotement le permet, au bout d’une période de sûreté définie par la loi. Ainsi, en France, la période de sûreté maximale est de 22 ans. Mais le cas de Moussaoui n’est pas exceptionnel pour les USA. Environ 130 000 personnes n’ont pas - ou seulement peu- de chances de sortir de prison vivantes, soit 7% de la population carcérale du pays. On doit alors se poser la question de la cruauté d’un tel traitement. La France a déjà répondu à cette question par la très controversée loi du 4 mars 2002 qui prévoit que les prisonniers peuvent être libérés s’ils souffrent d’une maladie incurable ou si leur incarcération met en danger leur santé (par exemple, Maurice Papon).

Mais outre le problème de l’incompressibilité de la peine, et celui de la mort en prison, se pose aussi, dans le cas de Moussaoui, tout comme dans d’autres cas extrêmes comme celui de Terry Nichols (impliqué dans l’attentat d’Oklahoma City qui a fait 168 morts en 1995) le problème des conditions de détention. Les USA ont ainsi construit des prisons spéciales appelées « Supermax » pour ce type de détenus "dangereux"...

Le traitement des prisonniers dans de telles structures est-il cruel ? Oui ! Cruel et justifié, à en croire beaucoup de commentaires sur le procès Moussaoui, à commencer par ceux de la juge chargée de l’affaire. En effet celle-ci ironisa, après avoir prononcé la sentence, sur le fait que tous les gens assistant au procès, excepté Moussaoui, pourraient sortir, sentir le soleil, respirer l’air frais, écouter chanter les oiseaux. En se retournant vers lui, elle continua : « Vous n’aurez plus jamais la possibilité de parler, et c’est une conclusion juste et appropriée ». Et la description de ce type de prison faite par les autorités met elle aussi en avant son côté inhumain et cruel. Ainsi tout est conçu pour que les détenus ne puissent ni discuter (isolation phonique), ni se voir (pas de vis-à-vis). Chaque cellule ne compte aucun meuble à part un lit en béton. Les contacts avec les gardiens sont aussi très limités (repas servis à travers un passe-plat). Les détenus sont autorisés, si leur comportement le permet, à sortir une heure par jour de cette pièce, heure pendant laquelle ils pourront « voir le ciel mais rien d’autre, ni montagnes, ni terrains environnants ». En outre ils sont autorisés à passer 15 minutes par mois au téléphone. Tout est donc mis en place pour que ces peines de prison à vie soient le plus pénibles possible.

Entre le soutien majoritaire de la population à la peine de mort et à l’incompressibilité des peines de prison à vie, le problème de l’utilisation de la torture dans la « guerre contre la terreur », et l’approbation massive de la population des conditions de détention des détenus « dangereux » dans les Supermax, on peut se demander si une grande majorité des Américains ne se sont pas convaincus de l’utilité et de la normalité des traitements cruels. Leur gouvernement devrait peut-être supprimer le VIIIe amendement pour mettre la Constitution en conformité avec leur état d’esprit et pour alléger le difficile travail de la Cour suprême qui croule sous les recours déposés par les "gauchistes" et autres "droit-de-l’hommistes".

Sources :

-Wikipedia : Peine de mort USA

-Wikipedia : Constitution des Etats-Unis

-Wikipedia : Supermax

-Yahoo News (AP) : "Moussaoui Sentenced to Life at Supermax "

-Polling Report.org : Crime

-http://www.ado.justice.gouv.fr/php/page.php?ref=5d


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