Chère Bonne Maman

par Fabienm
mercredi 18 décembre 2013

Chère bonne maman,

Sache d'abord que cela me fait tout bizarre de t’écrire, toi qui n’as jamais vraiment accepté mon existence et qui, pendant ma tendre mon enfance – et aussi loin que je m’en souvienne – allais à la messe tous les dimanches afin de prier pour les pauvres (ça allait changer leur vie, c’est sûr) et votais Jacques Chirac consciencieusement.

Mais je ne prends pas mon clavier pour ça, de l'eau a coulé sous le pont Mirabeau (où tu as essayé de me jeter, rappelle-toi), je t’ai pardonné depuis (sauf pour la messe, c'était quand même sacrément pénible, surtout le prêtre qui voulait toujours jouer au docteur et moi j'avais pas le plus grand stéthoscope de la paroisse, la honte merci bien). Tu seras aussi contente d'apprendre que tu as eu une petite fille, magnifique. Mais, comme je te le disais, je ne suis pas là pour remuer le couteau dans la plaie béante que tu as laissée, même s’il faudra que je te l’amène en prison un jour pour que tu la connaisses.


Voici donc mon problème.

C’était il y a deux jours environ. Je t’avais trouvée au rayon idoine d'un petit supermarché et j’ai tout de suite su que c’était exactement ce que je cherchais.

Une fois revenu dans la chaleur de mon foyer, j’avoue t’avoir laissée moisir quelques jours sur une étagère. Pour ma défense, je dirais que j’avais besoin de ressentir cette envie, cette urgence du tartinage, un peu comme un touriste anglais arrivant à la Grande Motte.

 

Et puis, c’est arrivé. Un matin comme tous les autres, je t’ai ouvert(e) – non sans mal, la vache, j’en ai encore mal au poignet (à quand l’ouverture facile pour les pots sous vide ? Si tu pouvais faire quelque chose, ce serait sympa) – et tu t’es dévoilé(e) dans ce plop qui te caractérise aussi bien qu’un gros mot identifie le bricoleur du dimanche.

J'avais choisi le parfum « myrtilles sauvages ». C'est le côté sauvage qui m’avait de suite attiré. Je me suis dit "voilà ce que j'aurais dû faire comme métier : chasseur de myrtilles". Ça a quand même plus de gueule qu'ingénieur process à la Lyonnaise des eaux. Mais bon, on ne peut pas monter sur ses propres épaules comme on dit chez les nains de jardin, donc il faut s'accepter tel que l'on est.

Quand j'ai commencé à déguster ton produit que j'avais étalé avec application sur une tartine fraîchement toastée, aucun spasme mesquin ne s'acharnait à faire vibrer en moi le fanion d'une quelconque contrariété. J’étais serein. Le café fumait, mon cerveau végétait, le soleil bâillait et les news du matin défilaient à la télé mise en sourdine.

Et là, une sorte de drame s'est noué. Au début je n'y prêtais pas attention, mais assez vite j'ai constaté qu’une des myrtilles restait sagement dans son coin, planquée au milieu du pot, comme un chat au coin du feu. Clairement pas le comportement d'une myrtille sauvage. Alors que toutes les autres s’échappaient à destination des 4 points cardinaux et allaient partout sauf sur ma tartine, elle restait pépère dans son coin à attendre le printemps. C'est alors que j'ai compris quelque chose de tout à fait hallucinant (j’en ai encore les larmes aux yeux, j’imagine même pas si ça avait été des oignons sauvages) : c'était une myrtille domestique.

J'ai prestement retourné le pot (après l’avoir préalablement rebouché, rassure-toi Bonne Maman), et suis tombé sur la composition de ton produit : 50 g de myrtilles sauvages (c’était écrit en toutes lettres) et 60 g de sucre pour 100 g de produit. Ce n’était pas tant que tu violes allègrement les lois fondamentales de la physique qui me choqua (où étaient donc passées les 10 g restant ? étaient-ils tombés par mégarde dans un pot d’abricot du jardin ? avaient-ils disparu dans une faille spatio-temporelle ? Quelle déconfiture… j’imagine que cela rejoindra les grands mystères du siècle, un peu comme l’absence de rides de Nicole Kidman ou la masse manquante de l’univers), mais bien qu’il n’était fait nulle mention du fait que tu « coupais » la sauvagerie de la myrtille libre par une quelconque myrtille de compagnie – je ne suis pas sûr d’ailleurs d’utiliser la sémantique adéquate, je te saurais gré de traduire tout cela dans ton jargon interne.


Tu comprendras alors mon désarroi de m’être fait ainsi floué. J’étais parti pour mettre un tigre dans mon moteur, je me retrouve avec Garfield.

Depuis, je me scrute tous les matins dans le miroir afin de voir les premiers symptômes d’une maladie dégénérative quelconque, pour l’instant je ne vois rien venir, mais l’inquiétude me dévore. Et ça, c’est pas plop.

 

Je sais que tu sauras trouver les mots pour m’apaiser comme tu l’as toujours fait quand tu me disais qu’avec mon QI de moule morte, je n’arriverai jamais à rien dans la vie.

J’espère dans tous les cas que tu lanceras quelques investigations auprès de tes chasseurs de myrtilles pour éviter qu’une telle catastrophe ne se reproduise dans une autre famille pendant le repas le plus important de la journée (le petit-déjeuner, c’est marqué sur tous les paquets de céréales).

 

Chère bonne maman, dans l'espoir de te lire, je te dis à bientôt.

 

Jean-Fabien

(oui, j’ai changé de prénom quand tu as été condamnée à perpétuité pour le meurtre de papa)

 


PS : Au fait, ta petite fille s'appelle Camille et elle aime pas des masses tes confitures, mais après le drame que je viens de vivre, je sais que tu ne lui en tiendras pas rigueur.

Retrouvez tous les articles inutiles de Jean-Fabien sur http://www.jean-fabien.fr

 


Lire l'article complet, et les commentaires