Chili : le scandale des faux-vrais-faux détenus disparus de la dictature de Pinochet

par Emmanuelle Lebhar
samedi 17 janvier 2009

La commission Droits de l’Homme du Chili a révélé le 29 décembre une nouvelle affaire de "faux détenus disparus" de la dictature de Pinochet, replongeant le pays dans sa sombre Histoire et remettant en route les compteurs de victimes controversés. Jeudi dernier, le scandale éclate : la députée qui préside la commission, Karla Rubilar, a été conseillée sur ces cas par l’avocat de l’ex-chef de la police secrète de Pinochet (la DINA), et il s’agirait bien de "vrais" disparus. Tandis que Rubilar vient d’être démise de ses fonctions ce mercredi 14, la polémique sur les liens ténus entre le pouvoir actuel et les anciens agents de la dictature refait violemment surface.

Dix-neuf ans après la fin du régime militaire d’Augusto Pinochet, le Chili n’a pas encore écrit son Histoire. Tandis que les familles de disparus militent pour leur reconnaissance, des militants de partis de droite parlent d’une exagération et défendent Pinochet comme sauveur de l’économie du pays. L’apparition d’un disparu retrouvé bien vivant en Argentine en novembre a réveillé ces divisions, qui n’ont fait que s’accentuer avec les nouveaux cas révélés par Rubilar. Pour les familles des victimes, apprendre que ces cas étaient une falsification provenant du chef même de la DINA est une preuve que les ex-agents de la dictature manipulent toujours le pouvoir et l’opinion.

Gabriela Zuñiga fait partie de l’association des familles de détenus disparus (AFDD). Son mari, Alvaro Duque, militant du MIR (mouvement de la gauche révolutionnaire), a été incarcéré par la DINA le 15 août 1974 et elle ne l’a jamais revu depuis. "En 1974, la DINA a commencé à arrêter les militants révolutionnaires", explique Gabriela, "puis en 1975 ce fut le tour de ceux du Parti Socialiste, et en 1976 de ceux du Parti Communiste, depuis ce temps les familles se sont réunies et nous recherchons les disparus partout". Les informations sur les nouveaux cas qu’a reçu et diffusé la député Rubilar proviennent du livre du chef de la DINA, Manuel Contreras, qui dément un par un des disparitions comme n’étant pas le fait du régime militaire. Gabriela a du mal à contenir sa colère : "il prétend par exemple que mon mari était le chef d’une junte armée et qu’il est mort au combat ! ". Lorsque Rubilar a été questionnée sur les preuve qu’elle apportait sur la "réapparition" de nouveaux disparus, elle a du avouer sa source d’information et l’absence totale de preuve. "Pour la première fois, la commission des droits de l’homme est aux mains des partis de droite et la manipulation apparaît au grand jour" s’exclame Gabriela.



L’association dénonce également l’impunité des criminels de la dictature : "Non seulement les ex-agents restent dans les cercles du pouvoir, mais ils n’effectuent même pas les peines auxquelles ils sont condamnés. Celui qui a arrêté mon mari est toujours chez lui alors qu’il est condamné à 800 jours d’emprisonnement". Enfin, elle milite pour que les disparus soient officiellement reconnus par un statut légal, comme c’est le cas pour ceux de la dictature Argentine. "Cela me permettrait par exemple de me remarier, puisque cela fait maintenant 35 ans que je suis mariée à Alvaro alors que je ne l’ai jamais retrouvé depuis ce mois d’août 1974." Gabriela retourne raconter ses mémoires à un groupe d’étudiants et conclue l’air très déterminé : "de toutes façons, nous n’avons pas peur. L’idée de la dictature, c’est la peur. La peur ça paralyse. Nous n’avons pas peur mais nous prenons nos précautions".
 
Au départ fière de l’investigation de la commission sur les faux disparus, la droite chilienne s’est retrouvée bien embarrassée par ces révélations et, au bout de presque une semaine, a fini cette semaine par se désolidariser de l’action de sa jeune député, Rubilar, tout juste 30ans. La classe politique cherche maintenant à clore le chapitre avant que les polémiques se ravivent davantage.

[ENCADRE informatif : 
11 septembre 1973 : coup d’état de Pinochet. 11 mars 1990 : retour de la démocratie.
Les rapports officiels dénombrant les victimes : celui de la commission Rettig (1990) qui a établi à 2279 le nombres de détenus morts ou disparus, et celui de la commission Valech (2004) qui décompte 28459 personnes détenues et torturées.]


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