Chômage, pauvreté : la machine à déclasser poursuit inexorablement son oeuvre

par Karol
jeudi 4 juin 2015

49700 chômeurs de plus en Avril, 295 500 radiés des listes, au total ce sont 6 327 700 personnes privées d'emploi stable et travailleurs occasionnels officieux, toutes catégories confondues, auxquels il faut ajouter 3 783 900 invisibles, jeunes de moins de 25 ans, bénéficiaires du RSA, d'une pension d'invalidité, etc... qui n'entrent pas ou plus dans les statistiques officieuses ( lire "Les vrais chiffres du chômage "). En France ce sont, en tout, plus de 10 millions de personnes qui sont exclues du monde du travail et qui viennent gonfler les statistiques de la pauvreté.

Mois après mois, notre système économique jette dans la précarité et la misère des dizaines de milliers de personnes condamnées à survivre d'aides publiques et de petits boulots qui les conduisent définitivement au déclassement. Mois après mois, le gouvernement s'entête à venir en aide à un appareil productif et à leurs propriétaires, par une politique dite "de l'offre", alors qu'il n'y a pas assez à produire par manque d'acheteurs. Pendant que les économies de la plupart des pays sont encalminées, faute de pouvoir créer de la richesse réelle, les banques centrales font tourner les imprimantes et déversent des quantités illimitées de monnaie dans une économie à l'arrêt. Avec cet argent fictif inutilisé et tombé du ciel, les spéculateurs jouent en bourse, réussissant ainsi à faire monter depuis 2009 les seuls indices qui valent à leurs yeux, ceux des cotations boursières. Les entreprises du capitalisme mondial ne pouvant investir dans un marché anémié ne trouvent rien de mieux que de distribuer à leur tour du cash à leurs actionnaires. Alors que l'appareil productif n'arrive plus à distribuer à chacun de quoi vivre, certains dans les paradis artificiels d'une économie virtuelle dépensent sans compter et investissent en actifs en tout genre ( oeuvres d'art, immobilier, produit de luxe) un argent que d'autres devront rembourser au prix d'années d'austérité et d'efforts. Tel est en résumé l'état de nos économies en 2015 : un monde structurellement inégalitaire, parasité par une petite minorité et muselé par des gouvernements aux ordres, qui ne produit que pauvreté et précarité, et ne peut soulever qu' indignation, rancœur et révoltes.

LA FRACTURE

Depuis 2008 avec la crise qu'une petite minorité impose au reste de la population, jamais il n'y a eu autant de richesses créées. En France, entre 2008 et 2011, la masse globale de l’ensemble des revenus des ménages (après impôts et prestations sociales) s’est accrue de 36,5 milliards d’euros, inflation déduite, selon les données de l’Insee. Mais cette augmentation des revenus n'a profité qu'aux plus riches, qui en plus ont trouvé les moyens de réussir dans le même temps à appauvrir les plus pauvres :

En France,

Depuis 2008, les entreprises n'ont jamais eu autant d'argent dans leur caisse.Le niveau de cash des grands groupes est passé de 835 à 1733 milliards de dollars de 2008 à 2014 aux Etats-unis ( dont près de 150 milliards dans les coffres de la seule société Apple) et de 741 à 1060 milliards d'euros en Europe. Trésorerie surabondante qui faute de mieux sert trop souvent à rémunérer les actionnaires et à racheter ses propres actions. Aux Etats-unis la distribution des dividendes et le rachat d'action sont passés de 393 milliards de dollars en 2010 à 683 milliards de dollars en 2014. (Le figaro du 01/06/15).

En 2014 la fortune des milliardaires s'est accrue de 92 milliards de dollars et les 400 personnes les plus riches du monde détiennent une fortune estimée par Bloomberg à 4.100 milliards de dollars, soit le quart du PIB américain.( les échos 31/12/14 ).

Selon Josef Stadler, un des responsables de division d’UBS qui s’occupe des «  ultra-riches », la période actuelle, «  marquée par une création accélérée de richesses est similaire à l’âge d’or de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle, lorsqu’aux Etats-Unis et en Europe l’esprit d’entreprise a lancé la première vague d’innovation de l’histoire moderne  ».( les échos 26/05/15).

L'IMPASSE

Dans cette économie-casino si une petite minorité rafle constamment la mise, les perdants sont chaque jour plus nombreux.

En France ce sont plus de 5 millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté ( 50 % du salaire médian soit moins de 850 € par mois ). De 2002 à 2011, ce nombre a augmenté de 1,1 million (+ 30 %)( Observatoire des inégalités ). La précarité chez les jeunes atteint des sommets et ils tardent de plus en plus à accéder à l'autonomie.

Aux Etats-unis, malgré les injections massives de liquidité, le pays s'enlise dans une dépression longue. Sous l'action des difficultés économiques ( chômage, déclassement, temps partiel subi ), l'armée des pauvres et des exclus augmente inexorablement avec de nouveaux bataillons issus de la classe moyenne, ( voir l'article de Onubre Einz " La pauveté aux USA" - Le blog Les crises ). Si le taux de chômage est à nouveau en dessous de 6 % aux Etats-unis, Le taux d'emploi dans ce pays a chuté de 63 % en 2007 à 59% en 2014. Plus de 93 millions d'actifs de 15 à 64 ans ont renoncé à chercher un emploi et évidemment ils ne sont plus comptabilisés dans les effectifs du chômage.

Peu à peu le fossé entre le petit nombre des gagnants et la grande masse de perdants se creuse inexorablement. Cette faille béante qui traverse la société fera inéluctablement se dresser les uns contre les autres ces êtres autrefois unis par l'espoir d'un progrès partagé et aujourd'hui à jamais opposés.

"La concentration massive des ressources économiques dans les mains de toujours moins de personnes constitue une réelle menace pour les systèmes économiques et sociaux inclusifs. Au lieu d'avancer ensemble, nous voyons les inégalités se creuser en matière de pouvoir économique et politique, ce qui exacerbe inévitablement les tensions sociales et accroît le risque d'éclatement de la société" souligne un rapport de l'Oxfam.

Si un temps le progrès technique et la croissance géographique des marchés ont permis de créer des emplois et ainsi de distribuer un peu de richesse à une classe moyenne qui a pu peu à peu acquérir un petit patrimoine familiale, aujourd'hui la numérisation de l'économie et l'émergence des plateformes supranationales d' achats et d'échanges rémunérés va dans les années à venir faire fondre comme neige au soleil les effectifs salariés dans le secteur des services et de la distribution. Secteur, qui dans la plupart des pays de l'OCDE avait déjà servi de bouée de sauvetage à la disparition d'une grande partie du secteur industriel. Si la création et la gestion de ces nouveaux outils numériques requiert des travailleurs hautement qualifiés, très bien rémunérés, les nouvelles formes de commerces en ligne, conduisent aussi à la précarisation en masse des emplois non qualifiés qui se transforment en emplois de survie à temps partiel et qui, soumis à la concurrence sauvage d'une armée de réserve de plus en plus nombreuse, sont trop souvent contraints d'abandonner une partie de leur protection en matière de législation du travail.

On ne peut plus compter sur des taux de croissance du PIB suffisants pour alimenter la croissance des offres emplois, bridés qu'ils sont d'une part par la finitude des ressources naturelles et la menace de l'augmentation de la température de la Terre par les émissions de CO2 et d'autre part par le vieillissement de la population dans les pays consommateurs et l'appauvrissement de la jeunesse.

Enfin le niveau actuel des inégalités, avec l'accroissement de la précarité, condamne toute tentative de sortie de la stagnation. Seule une répartition consentie et plus équitable des fruits du progrès permettrait de sortir de l'ornière. C'est ce qu'écrivait Kostas Vergopoulos dans le Monde Diplomatique en mars 2014 "La situation actuelle rappelle une autre période de l’histoire marquée par une concentration comparable des richesses : les années 1920, qui aboutirent au krach de 1929 et à la Grande Dépression. Pourquoi donc nier à nouveau la relation de cause à effet entre appauvrissement de la majorité de la population et ralentissement économique ? Les dépenses de quatre cents individus ne pourront jamais valoir celles de cent cinquante millions d’Américains : plus les revenus se concentrent au sommet et plus la dépense nationale se contracte, au profit de l’épargne et de la financiarisation, aux dépens de l’investissement et de l’emploi. Lorsque le patrimoine des plus riches croît non par le biais de la production, mais par une ponction toujours plus forte sur la valeur ajoutée, la croissance ralentit. Et le système ronge les conditions mêmes de sa reproduction. Le néolibéralisme, qui prétendait sortir le capitalisme de sa crise, l’y a enfoncé. Et ce n’est pas face à une « nouvelle norme » que nous nous trouvons, mais dans une impasse..."

Sans croissance possible, les héritiers et les rentiers de toutes sortes s'accrocheront à leur fortune, comme à un radeau, en refusant de participer aux mécanismes élémentaires de solidarité. A défaut de pouvoir faire payer les riches, le bloc central des classes moyennes tout en se paupérisant, continuera à faire la chasse aux coupables dans l'immense camp des vaincus composés des ayants droits aux aides sociales, des immigrés et autres populations jugées paresseuses ou parasitaires. De ce désordre des peurs et des égoïsmes rien de bon n'en sortira si ce n'est le chaos ou la guerre comme se fut déjà le cas il y a un siècle.

En attendant le pire, rappelons ces mots d'une grande lucidité prononcés par Anselm Jappe à San Cristobal de las Casas (Mexique) lors du second séminaire international de réflexions et d'analyse : Planète Terre, mouvements anti-systémiques ( 30/12/2011-2/01/2012 pour le 18° anniversaire de l'insurrection zapatiste )( lien ) :

" Il y a deux nouvelles. La bonne nouvelle est que notre vieil ennemi, le capitalisme, semble se trouver dans une crise gravissime. La mauvaise nouvelle est que pour le moment aucune forme d'émancipation sociale ne semble vraiment à portée de main et que rien ne garantit que la fin possible du capitalisme débouchera sur une société meilleure. C'est comme si on constatait que la prison où l'on est enfermé a pris feu et que la panique se diffusait parmi les gardiens, mais que les portes restaient verrouillées."

Que ceux qui ont les clés se manifestent, il y a urgence.

LA SCIENCE DU PARTAGE


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