Chomsky, Bricmont et le 11-Septembre : la défaite de la pensée

par Taïké Eilée
lundi 2 mai 2011

Michel Collon a publié, le 28 avril 2011, sur son site Investig'Action deux contributions sur le 11-Septembre et les controverses que cet événement suscite : celles de Noam Chomsky et Jean Bricmont. La faiblesse de l'argumentation proposée par ces intellectuels, d'ordinaire assez pertinents, pose question.

Michel Collon commence, en préambule, par rappeler que son site n'a jamais publié d'article sur les remises en cause de la version officielle du 11-Septembre, car le sujet est très complexe et nécessiterait un travail que lui et son équipe ne sont pas en mesure de fournir. Par souci de ne pas raconter n'importe quoi, il préfère donc ne rien dire. On rétorquera à Michel Collon que les premiers à avoir défriché le terrain ont en effet dû beaucoup travailler, durant de longs mois, voire des années, mais que, depuis, ces défricheurs ont souvent écrit et synthétisé l'état de leurs recherches dans des articles ; et prendre connaissance de ces synthèses documentées ne demande pas un temps impossible. En maîtrisant ces simples connaissances, on peut commencer à exercer son regard critique sur la version officielle du 11-Septembre, et à en parler - certes avec la plus grande prudence, comme on devrait d'ailleurs le faire sur tous les sujets.

Michel Collon argue aussi du fait qu'en débattant à l'infini sur le 11-Septembre, on se détourne des manipulations actuelles, ce qui arrange bien les gouvernants : "Bush, suivi par Obama, s’est servi du 11/9 pour attaquer l’Afghanistan et l’Irak. La prétendue « guerre contre le terrorisme » a servi à diaboliser les résistances en Palestine et dans le monde arabe, en Colombie et en Amérique latine ; elle a aussi servi à attaquer les droits démocratiques aux USA et en Europe. Pour les autorités, il est bon que les gens ne débattent pas sur ces manipulations, mais se limitent à discuter sans fin sur l’effondrement des tours de New York." On pourrait lui répondre qu'un regard plus lucide sur le 11-Septembre peut précisément amener à considérer avec davantage d'esprit critique les affaires internationales, et à débusquer plus facilement les médiamensonges. On lui opposera encore le jugement de Michael Meacher, ancien ministre de l'Environnement du Royaume-Uni de 1997 à 2003 : "Si nous découvrons la vérité sur le 11-Septembre, ce serait le plus grand détonateur dont le monde a besoin pour instaurer un nouvel ordre politique mondial, dirigé par les Nations Unies, et non par un quelconque Etat prétendant à l'hégémonie mondiale" (cf. vidéo en fin d'article).

Eloge du renoncement

La courte intervention de Noam Chomsky ne m'inspire pas vraiment de réaction. Elle consiste à réaffirmer la culpabilité des terroristes (majoritairement) saoudiens d'Al Qaïda dans le 11-Septembre et à rejeter l'hypothèse dite de l'inside job, qui ne repose sur rien. Chomsky, malheureusement, reprend à son compte le schéma binaire, que tous les ignorants du 11-Septembre nous ressortent en permanence, à savoir qu'on aurait le choix entre deux scénarios simplissimes : soit la version officielle est vraie (Al Qaïda est le seul responsable), soit le gouvernement américain a tout organisé (c'est le grand complot intérieur). Comme je l'ai déjà souvent dit, cette opposition simpliste est une catastrophe pour la bonne compréhension du 11-Septembre, puisqu'elle passe sous silence quantité d'informations qui laissent entrevoir d'autres voies.

Eric Laurent dénonçait cette opposition binaire il y a déjà 5 ans : "Cinq ans après les attentats du 11 septembre, les nombreux mensonges et silences officiels qui entourent cette tragédie n’ont toujours pas été levés. Désormais, deux lectures de l’événement dominent. La première (...) reprend sans sourciller la version officielle, sur une grave lacune des services de renseignements américains dûment avertis de l’imminence d’un attentat mais incapables de réagir à temps. Une thèse aussi fausse que celle défendue par certains « conspirationnistes » qui voient, par exemple, dans le détournement des quatre avions de ligne un complot monté par les autorités américaines avec la complicité même d’Israël, afin de créer un choc dans l’opinion qui ouvrirait la voie à une intervention militaire en Irak. Ces deux lectures opposées me paraissent également ineptes et dangereuses. Dans le premier cas, elles accréditent une vérité tronquée et dans l’autre, elles ouvrent la voie au pire délire, tout en laissant de côté des faits réels et troublants."

Lors d'une intervention à l'Université Libre de Bruxelles le 16 mars 2011, retransmise par Daniel Mermet sur France Inter (écoutez les parties 10 et 11), Chomsky affirma qu'il n'était pas satisfait du rapport de la Commission d'enquête de 2004, qui, comme toutes les commissions, ne peut pas dire la vérité ; cependant, il est selon lui illusoire de demander une nouvelle enquête indépendante, car personne ne serait en mesure de la mener, hormis le gouvernement, qui continuerait de cacher ce qu'il souhaite cacher. Autrement dit, selon Chomsky, une enquête indépendante est impossible, personne ne peut la mener, et l'on doit donc se contenter de l'enquête biaisée de la Commission. Chomsky, ou l'éloge du renoncement...

Le grand intellectuel se demande ensuite pourquoi, dans l'hypothèse de l'inside job (de laquelle il ne parvient pas à se détacher), les Américains auraient fabriqué de faux pirates de l'air saoudiens, au lieu d'irakiens, dans la mesure où leur but aurait été d'envahir l'Irak, et non l'Arabie saoudite (notons au passage une grosse erreur dans la traduction proposée par France Inter, qui fait dire à Chomsky que les Américains auraient accusé l'Arabie saoudite après le 11-Septembre, alors qu'il parle de Saoudiens, d'individus et pas de l'Etat, que l'administation Bush a, au contraire, tout fait pour protéger). Ce type de réflexion particulièrement oiseuse ne mène à rien, puisqu'elle consiste à évaluer la plausibilité de scénarios construits sur du vent. Et même si l'on accepte (très provisoirement) de rentrer dans ce jeu spéculatif, on doit faire remarquer à Chomsky que personne de sérieux ne prétend que l'inside job aurait eu pour unique but l'attaque de l'Irak (on évoque plutôt le contrôle de l'Afghanistan, des routes du gaz et du pétrole d'Asie centrale, le plan du PNAC, dont l'envahissement de l'Irak n'est qu'un des nombreux aspects).

Cachez-moi ces fuites que je ne saurais voir...

Passons donc à Bricmont, dont la contribution est la plus riche, même si elle reste enfermée dans la même optique, consistant à discuter la plausibilité de la seule théorie de l'inside job. Jean Bricmont commence par poser ce que chacun admettra : "Pour établir la réalité d'événements historiques, les seuls moyens vraiment fiables sont les preuves matérielles, tels des documents (authentiques). Les témoignages ou les arguments du style « il est impossible que cela se soit passé autrement (que selon le scénario avancé) » sont toujours de bien moindre qualité que les preuves matérielles. Or il n'y a aucune preuve de ce type dans les discours conspirationnistes." Cette dernière assertion fera débat dans la mesure où les arguments techniques utilisés pour défendre la théorie de l'inside job - démolition contrôlée des tours et faisabilité du crash sur le Pentagone - sont au coeur d'une controverse entre experts, que je reconnais (à la différence d'Eric Laurent, qui la balaie d'un revers de main) mais à laquelle, en tant que profane, je n'ai pas mon mot à dire.

Ces preuves matérielles étant inexistantes, ou trop difficiles à établir selon Bricmont, celui-ci en vient à évaluer la "plausibilité a priori" des scénarios dits conspirationnistes : "C'est la question de la plausibilité a priori qu'il faut se poser en premier lieu, à la fois pour les conspirations et pour les miracles. Tant qu'il n'y a pas de réponse à cette question, on peut laisser de côté les questions techniques auxquelles il n'y a (soi-disant) pas de réponse, parce que dans tous les phénomènes compliqués, tels que la santé ou l'effondrement de tours, il y a toujours des choses apparemment étonnantes qui se produisent." Rejetant ainsi la méthode empirique, consistant à partir du réel, des faits, des informations disponibles, et de leur analyse patiente - avant d'élaborer quelque théorie que ce soit -, le physicien laisse de côté tous ces éléments, il zappe le travail analytique, et passe directement à l'examen de la plausibilité de telle ou telle théorie. Cela me paraît être une faute dans la méthode extrêmement grave. Un chercheur sérieux sur le 11-Septembre ne devrait avoir, au moins pendant la première phase empirique et analytique de sa recherche, aucune théorie préétablie. Dans un deuxième temps, on peut éventuellement évaluer la plausibilité de telle ou telle théorie, en gardant à l'esprit que la théorie que l'on imagine ne coïncide très certainement pas complètement avec la réalité - il faut rester souple avec elle. Dans tous les cas, avant de se représenter l'image d'un puzzle, il faut au préalable en avoir rassemblé - et authentifié - les différentes pièces. S'exempter de ce travail - certes très difficile à mener - me semble aberrant.

Avant tout examen des faits, Bricmont juge donc très peu plausible l'idée d'un complot dans lequel un grand nombre de personnes (au sommet de l'Etat américain) seraient impliquées. Voici son argument : "Comment se fait-il qu’il n’y a eu aucune fuite depuis lors, dans un pays où il y a eu les papiers du Pentagone, le Watergate, l’Iran-Contragate, Philip Agee, Wikileaks et les mémos de Downing Street ? Aucune confession, même sur un lit de mort ? De plus, il faut une certaine bonne volonté pour imaginer que, dans un pays où il y a tant de fuites, un dirigeant quelconque serait assez fou pour mettre sur pied une gigantesque conspiration en espérant garder le tout secret." Oublions cette histoire de grande conspiration dans laquelle tout aurait été fabriqué de l'intérieur (cela ne m'intéresse pas pour le moment), et focalisons-nous sur cette supposée absence de fuites dont nous parle Bricmont. Peut-être faudrait-il lui demander ce qu'il appelle "une fuite", car, pour ma part, je recense beaucoup de fuites. Ces fuites ne révèlent pas un grand complot intérieur et n'émanent pas d'hypothétiques comploteurs rongés par le remord, elles émanent de la presse ou de témoins, et révèlent des choses qui ne devraient laisser personne indifférent, même si elles sont moins croustillantes que le fameux inside job :

Je m'épargne ici de donner toutes les références précises, elles ont été déjà amplement données dans mes précédents articles.

Fuites sur les responsables

- A partir d'octobre 2001, le Dawn, Press Trust of India, le Times of India, le Wall Street Journal, l'AFP, le London Times... révèlent que Mohamed Atta a reçu avant le 11-Septembre 100.000 dollars de la part du chef des services secrets pakistanais, Mahmoud Ahmad, par l'intermédiaire du célèbre agent double (ISI-Al Qaïda) Omar Saeed Sheikh.

- Bob Graham, président du Comité du Renseignement du Sénat, révèle que le rapport du Congrès sur les attentats, publié en 2003, a vu 28 de ses pages censurées par la Maison Blanche, qui apportaient les preuves du soutien de plusieurs pays alliés des Etats-Unis à quelques-uns des pirates de l'air (l'Arabie saoudite sera explicitement citée).

- Le Figaro révèle qu'un membre de l'ISI a commandité l'attentat à la chaussure piégée de Richard Reid, en décembre 2001, contre un avion de ligne américain.

Fuites sur les avertissements

- Suite au 11-Septembre, toute l'administration Bush assure qu'elle n'a reçu aucun avertissement d'attentats sur le sol américain, et que le type d'attentat qui a eu lieu était tout simplement inimaginable. Or, la presse américaine et mondiale révèle que ce type d'attentat était imaginé et anticipé depuis 1993, qu'une simulation eut même lieu sur le World Trade Center en 1999 et qu'un exercice était prévu sur le Pentagone en avril 2001 (avant d'être annulé) ; elle révèle aussi que les services de renseignement américains et aussi d'une quinzaine de pays étrangers ont averti assez précisément les Etats-Unis d'une menace d'attentat d'Al Qaïda sur le sol américian, avec l'utilisation d'avions détournés utilisés comme missiles, certaines cibles sont spécifiées, WTC en tête, certains noms de terroristes révélés, et la période (fin d'été, début d'automne) parfois précisée.

- George Tenet, patron de la CIA, révèle qu'en juillet 2001 il a averti Condoleezza Rice d'une attaque spectaculaire et imminente d'Al Qaïda sur le sol américain. Rice prétendra ne pas se souvenir de cette réunion avec Tenet et niera avec obstination tout avertissement.

- Le lieutenant-colonel Anthony Shaffer, membre de l'unité de renseignement Able Danger, révèle qu'il a identifié la cellule de Mohamed Atta en janvier 2000 et a préconisé une intervention du FBI. Ses supérieurs lui interdisent de continuer d'enquêter sur la cellule de Atta, et le Pentagone refuse de transmettre des informations au FBI. Trois autres membres de Able Danger confirment le témoignage de Schaffer, au péril de leur carrière (le Pentagone leur a interdit de témoigner).

- L'ancien truand reconverti en agent du FBI Randy Glass révèle qu'il a averti le sénateur Bob Graham avant le 11-Septembre du projet de l'ISI de détruire le World Trade Center. Bob Graham confirmera cette version, précisant qu'il a transmis l'information à l'agence de renseignement la plus appropriée, avant, dans un second temps, de se dédire, et de préciser qu'il n'a rien transmis avant le 11-Septembre.

- Niaz Khan, terroriste repenti, révèle qu'il s'est rendu en avril 2000 au FBI pour confesser qu'il a été entraîné au Pakistan par des disciples de Ben Laden pour crasher un avion de ligne dans un building aux Etats-Unis. Les agents du FBI le prennent très au sérieux, mais la direction du FBI ordonne qu'on le relâche dans la nature sans interrogatoire supplémentaire. Le 30 mai 2001, c'est au tour du terroriste Ahmed Ressam, récemment arrêté, d'informer le FBI de la préparation d'une attaque majeure d'Al-Qaïda à New York impliquant des détournements d'avions.

Fuites sur la matinée du 11-Septembre

- Norman Mineta, secrétaire au Transport de l'administration Bush, révèle que, contrairement à ce qu'affirme le rapport de la Commission, selon lequel Dick Cheney n'est arrivé qu'à 9h58 dans le bunker de la Maison Blanche, le vice-président américain était présent au moins depuis 9h20 et était tenu au courant de la progression du vol 77 (qui allait frapper le Pentagone à 9h38). Mineta affirme que Cheney a donné un mystérieux ordre - que certains supposent être de non décollage des avions, notamment de l'armée (c'est en tout cas ce qu'affirme Nafeez Mosaddeq Ahmed dans La guerre contre la vérité, page 351).

- La presse américaine révèle la tenue d'exercices de simulation de guerre et d'un exercice du NRO le matin du 11-Septembre, parfois très proches des attentats réels (détournements d'avions et crash). CNN révèle la présence - inexpliquée - dans les airs du Doomsday Plane.

Fuites sur Ben Laden

- Le Figaro et RFI révèlent que Oussama Ben Laden a été hospitalisé en juillet 2001 à l'hôpital américain de Dubaï à cause de ses insuffisances rénales et a reçu la visite de Larry Mitchell, le chef d'antenne locale de la CIA. Selon Richard Labévière, les Etats-Unis demandaient à Ben Laden de faire en sorte que les Afghans arabes de sa mouvance ne s'en prennent plus aux intérêts américains dans le monde, en échange d'un retour possible de Ben Laden en Arabie saoudite, qui l'avait déchu de sa nationalité en 1994.

- CBS révèle que Oussama Ben Laden a été hospitalisé à Rawalpindi le 10 septembre 2001 à cause de ses problèmes de reins, et qu'il était escorté par l'armée pakistanaise.

- Sibel Edmonds, ancienne traductrice au FBI, révèle que les Etats-Unis utilisaient jusqu'en 2001 des combattants entraînés dans des camps afghans de Ben Laden, pour des opérations de déstabilisation en Asie centrale.

Fuites sur les pirates de l'air

- Les instructeurs de vol de Hani Hanjour révèlent que c'est un très mauvais pilote, ne sachant pas voler ou à peine, et incapale de piloter seul un Cessna. Le rapport de la Commission d'enquête en 2004 le présente pourtant comme le plus expérimenté des pilotes de l'opération, auquel Khalid Sheikh Mohammed a confié pour cette raison l'attaque sur le Pentagone.

- Michael Springmann, ancien agent consulaire à Djeddah, en Arabie Saoudite, où il supervisait la délivrance des visas, révèle qu'il a délivré, sur ordre du Département d'Etat, des visas pour les Etats-Unis à des candidats qu'il jugeait pourtant inadéquats, parmi lesquels 15 des 19 futurs pirates de l'air (source).

On pourrait sans doute poursuivre encore très longuement cette liste...

J'aurais pu ajouter la révélation tonitruante de Aaron Russo, mais elle est tellement ahurissante qu'on doit la manier avec beaucoup de précaution.

Le jeu du scénario le plus plausible

Les fuites que nous venons de rappeler n'intéresseront peut-être pas Jean Bricmont, dans la mesure où elles ne démontrent pas un inside job - la seule théorie alternative qui attire l'attention, au point qu'elle éblouit et laisse dans l'ombre toutes les autres pistes. Elles suggèrent, en revanche, une attitude passive du pouvoir américain, inexplicable, à moins qu'elle ne soit volontaire. Bricmont signale cette hypothèse, sans s'y attarder longuement : "Il existe aussi une version faible des conspirations, qui ne prétend pas que tout a été manigancé de l’intérieur, mais qu’on a « laissé faire ». Dans un sens banal, c’est vrai, vu que les attentats ont bien eu lieu, ce qui rend cette version plus difficile à discuter. Mais elle sous-entend qu’on a laissé faire les attentats volontairement. Qui est le « on » ? Si c’est l’ensemble de l’appareil d’Etat américain, la question de la plausibilité se pose de nouveau. Idem s’il s’agit d’un complot organisé par des individus félons et bloquant systématiquement les mécanismes de défense. Le problème est qu’il est difficile de prouver quoi que ce soit lorsqu’il s’agit des intentions des êtres humains."

Si l'on se réfère à cette dernière phrase, pourquoi alors supposer que le "laisser-faire" était involontaire plutôt que volontaire, s'il est impossible de déterminer les intentions des êtres humains ? Qu'y a-t-il de plus plausible dans l'hypothèse du "laisser-faire involontaire" que défend Bricmont ? Car si l'on joue au jeu de la plausibilité (qui, je le reconnais, est incertain, et n'est pas la méthode que je préconise), comment ne pas considérer que le "laisser-faire volontaire" est nettement plus crédible ? Pour s'en convaincre, il faut récapituler un certain nombre d'éléments :

D'abord, ce qui serait le mobile du "laisser-faire volontaire"...

- En septembre 2000, le PNAC (composé du futur noyau dur de l'administration Bush autour du vice-président Cheney) publie un rapport dans lequel il déploie la stratégie militaire américaine qui doit lui garantir la suprématie mondiale au XXIe siècle. Les actions préconisées apparaissent comme vitales à la pérennité de la Pax Americana. Sans elles, la domination américaine touchera rapidement à sa fin, est-il bien précisé à la page 13. Page 51, on lit : "Le processus de transformation [des Etats-Unis en force dominante], même s'il est porteur de changements révolutionnaires, sera probablement long en l'absence d'un événement catastrophique et catalyseur, comme un nouveau Pearl Harbor." La dimension temporelle apparaît ici essentielle : il faut faire vite. Et ce qui permettra d'aller vite, en s'attirant un soutien massif de l'opinion, c'est un événement catastrophique du type Pearl Harbor. Il ne fait aucun doute que l'événement évoqué peut jouer, s'il se présente, un rôle extrêmement bénéfique pour la pérennité de l'hégémonie américaine. Du moins aux yeux des rédacteurs du rapport, qui se retrouveront, quelques mois plus tard, aux commandes de l'Etat. La perspective que 2000 ou 3000 personnes puissent mourir (tel fut le bilan de Pearl Harbor) ne paraît pas les émouvoir outre mesure, compte tenu de l'enjeu géostratégique majeur.

Ci-dessous, la seule fois où, à ma connaissance, une journaliste - de la chaîne ABC - osa faire un rapprochement entre le 11-Septembre et le nouveau Pearl Harbor évoqué par le PNAC :

Ensuite, ce qui suggèrerait une connaissance anticipée des événements et leur instrumentalisation...

- De multiples avertissements d'un énorme attentat d'Al Qaïda sont reçus par les services de renseignements américains, en provenance de sources très variées. Certains avertissements arrivent jusqu'à la Maison Blanche, où l'on trouve, dans l'entourage du président, certains des rédacteurs du rapport du PNAC. Vont-ils tout mettre en oeuvre pour stopper le nouveau Pearl Harbor qui se profile ?

- Aucune action n'est entreprise pour contrer l'attaque d'Al Qaïda.

- Des enquêtes sont entravées, bloquées : celle de John O'Neill sur Ben Laden, celle d'agents du FBI qui demandent - en vain - l'autorisation d'examiner l'ordinateur de Zacarias Moussaoui, la requête d'Anthony Schaffer d'envoyer le FBI démanteler la cellule de Mohamed Atta...

- La procédure à suivre en cas de détournement d'avion est modifiée le 1er juin 2001. Ceci est spécifié dans un document intitulé "CHAIRMAN OF THE JOINT CHIEFS OF STAFF INSTRUCTION". Désormais, avant toute intervention militaire, il faut passer par le Secrétaire à la Défense, en l'occurrence Donald Rumsfeld, membre du PNAC (injoignable le matin du 11-Septembre).

- Des membres du Pentagone annulent leur vol le matin du 11-Septembre, selon Newsweek, certaines personnalités sont dissuadées de prendre l'avion ce matin-là, George Bush fait placer des mssiles sol-air sur le toit de l'hôtel où il dort le 10 septembre à Sarasota en Floride, John Ashcroft, le ministre de la Justice, ne voyage plus depuis juin 2001 qu'en jet privé en raison d'une évaluation de menace...

- Les exercices de simulation de guerre qui ont lieu le matin du 11-Septembre créent, durant une période indéterminée (même si elle fut très courte officiellement), une confusion au sein du NORAD, entre les détournements d'avions virtuels et les détournements d'avions réels.

- Dick Cheney, membre du PNAC, suit la progression du vol 77 en route vers Washington, et donne un ordre sur lequel on ne saura jamais rien (et qui officiellement n'existe pas), puisque ce moment crucial sera tout bonnement effacé de l'histoire de cette journée par le rapport de la Commission.

Enfin, ce qui pourrait apparaître comme une tentative de dissimulation du crime...

- Suite au 11-Septembre, George Bush, Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Condy Rice, Ari Fleischer, Robert Mueller (FBI), Richard Myers (chef de l'état-major interarmées)... nient avoir reçu le moindre avertissement d'une attaque d'Al Qaïda à venir sur le sol américain. Ils mentent tous. Pourquoi ?

Dans les Rendez-vous avec X sur France Inter, il sera suggéré que l'administration Bush était tellement obnubilée par l'Irak qu'elle a négligé la menace d'Al Qaïda. J'ai déjà eu l'occasion de montrer que, de l'aveu même de Condy Rice et Colin Powell, en février et juillet 2001, l'Irak ne représentait en rien une menace aux yeux des Etats-Unis. La thèse de l'aveuglement paraît donc très peu plausible. Cela dit, dès le 12 septembre 2001, certains au plus haut niveau de l'administration américaine se disaient persuadés de la responsabilité de l'Irak dans le 11-Septembre : il s'agissait de Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz, Richard Perle (trois membres du PNAC) et George Bush lui-même, qui firent pression sur Richard Clarke (patron du contre-terrorisme) et George Tenet (directeur de la CIA) pour qu'ils s'efforcent de trouver un lien entre les attentats et Saddam Hussein. L'argument de Rumsfeld et Wolfowitz mérite d'être relevé : selon eux, Al Qaïda n'était pas en mesure de mener une telle opération sans l'appui d'un Etat : l'Irak, avaient-ils innocemment suggéré... Selon Wolfowitz, l'Irak était également derrière le premier attentat à la bombe contre le WTC en 1993. Une analyse délirante qui laissa Richard Clarke abasourdi... Lorsque, un peu plus tard, fut révélé le soutien d'autres Etats à Al Qaïda dans la préparation des attentats, nul ne suggéra de les bombarder, et on prit même bien soin de ne jamais évoquer ces informations.

Il est, comme le dit Bricmont, fort hasardeux de tenter de deviner les intentions des uns et des autres, et nous sommes là confrontés à une alternative : soit tous ceux qui ont dit croire à la responsabilité de l'Irak dès le 12 septembre, en dépit de toutes les informations disponibles, en dépit des avis de la CIA (qui désignaient uniquement Al Qaïda), étaient des idiots, aveuglés par leur obsession anti-irakienne, leur idéologie, soit ils étaient de fieffés manipulateurs, doués d'une intelligence en rapport avec leur rang. J'ai, naïvement peut-être, tendance à penser que les dirigeants américains ne sont pas de purs crétins, mais sait-on jamais... Ainsi, au jeu du "scénario le plus plausible" auquel se livre Jean Bricmont, la thèse du "laisser-faire involontaire" ou "aveugle" paraît assez peu convaincante face à celle du "laisser-faire volontaire".

Ci-dessous, Michael Meacher, ancien ministre de l'Environnement de Tony Blair entre 1997 et 2003, soutient ce scénario :



La discipline de l'esprit

Mais, comme je l'ai déjà souvent rabâché, l'important n'est pas de jouer, à ce jeu si vain auquel se sont livrés tant de leaders d'opinion, tant de journalistes ; il s'agit d'enquêter, sans a priori, ce que peu font. Beaucoup de ceux qui enquêtent le font - ce qui est assez humain - en espérant pouvoir étayer une thèse, qui les excite autant qu'elle les terrifie ; ceux qui n'enquêtent pas (à peu près tous les médias) justifient leur posture en ce qu'ils ne souhaitent pas alimenter les fantasmes et les théories du complot - qui minent la confiance dans le bon fonctionnement de nos démocraties. Dans un cas, la théorie (à démontrer) motive, dans l'autre, elle inhibe. Dans tous les cas, elle biaise la réflexion.

Mais que voulez-vous ? L'homme est un être de croyance, qui, faute de savoir - et le savoir procède d'un long et parfois désespérant cheminement - préfère croire tout de suite. L'esprit a ses impatiences que la raison ne peut guère réfréner en la plupart des hommes. Croire à tel ou tel complot, ou ne pas y croire, telle est la question, la sempiternelle et coupable question qui fait qu'on n'avance pas, pas assez vite, pas assez droit, depuis presque dix ans. Le chemin de la vérité serait autrement plus simple et direct, si nous savions tous tenir notre esprit, et tout particulièrement le tenir éloigné du confort faussement enviable des croyances.


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