Chronique d’un retour annoncé du TCE
par Sylvain Reboul
jeudi 21 décembre 2006
Beaucoup pensent, encore aujourd’hui en France, qu’il suffisait que seule la France et la Hollande, parmi 27 pays européens, refusent le traité constitutionnel européen, plus traité international du reste que constitution, pour que les autres pays qui l’ont ratifié (18 à ce jour sur 27) soient contraints sans condition de l’abandonner à jamais.
Or la « démocratie européenne » ne semble pas l’entendre de cette oreille
Selon elle, en effet, la minorité du non en Europe n’a pas à prétendre soumettre à sa volonté absolue la majorité des Etats représentant la majorité des populations qui ont adopté le TCE. Et de fait, celle-ci, l’Allemagne, future présidente de l’Europe, le Luxembourg et l’Espagne en tête, se manifeste aujourd’hui pour s’inviter sur la scène des élections présidentielles en France afin de relancer le processus de ratification du TCE plus ou moins requalifié.
Ainsi à l’initiative de l’Espagne et du Luxembourg qui ont ratifié le TCE par référendum (procédure interdite par la loi constitutionnelle en Allemagne) les pays qui ont ratifié le TCE sont invités le 26 janvier à Madrid pour s’entendre sur les moyens de ranimer le TCE et la construction politique de l’Europe en panne du fait des refus français et néerlandais . "Nous pensons, a déclaré M. Juncker, premier ministre du Luxembourg, que ceux qui ont ratifié le traité ont le droit de s’exprimer haut et fort." Mme Merkel, future présidente de l’UE, n’est pas en reste : elle insiste pour qu’un compromis, respectant l’essentiel de l’esprit et des mesures du TCE, soit rapidement trouvé pour que l’impasse actuelle dans une Europe à 27 soit précisément dépassée. "Tout le public européen est sous l’influence de ceux qui ont dit non. Nous devons redonner leur dignité aux arguments de ceux qui ont dit oui", a-t-elle affirmé. Elle propose donc de réunir sous sa présidence les pays qui ont voté non ou qui n’ont pas encore ratifié le traité et de se réunir en février pour leur faire prendre position sur la suite du processus.
Cette volonté ferme de la majorité des pays européens ne peut pas ne pas obliger les candidats aux élections présidentielles en France à prendre une position claire sur les suites à donner à son refus du 29 mai. Qu’en est-il aujourd’hui de la position des différents candidats sur ce thème ?
Pour la droite et l’extrême droite souverainiste, c’est clair : il refuse l’Europe politique dans son ensemble et sont prêts à remettre en cause l’ensemble des traités européens depuis le début, et en particulier celui de Maastricht qui a promu l’euro comme monnaie commune.
Le ou les candidat(s) de l’UMP, à commencer par Nicolas Sarkozy, se prononce(nt) pour une reprise rapide des première et seconde parties du TCE, renvoyant la troisième et la quatrième aux traités antérieurs toujours valides. Nicolas Sarkozy semble privilégier la voie technique permise par le traité de Nice dite "des passerelles" qui permet une simple modification de ce dernier et une ratification rapide par le congrès (Assemblée nationale et Sénat réunis) ; il refuse, jusqu’à nouvel ordre (et, particulièrement avec lui, les retournements sont toujours possibles) un nouveau référendum dont l’initiative du reste appartiendra au seul futur président de la République et il espère, à l’évidence, que ce sera lui.
François Bayrou, lui, ne cache pas sa volonté de voir la France revenir sur un refus, en vue de construire une Europe plus fédérale et politiquement intégrée encore que celle d’aujourd’hui.
Ségolène Royal, elle, parle de "l’Europe par la preuve", qui devra avant toute décision institutionnelle faire la démonstration que l’Europe est nécessaire aux espoirs de bien-être des Français , en particulier en développant des projets européens dans trois domaines prioritaires : l’écologie, la recherche et la formation, et l’énergie. Ce n’est, selon elle, que sur fond de décisions concrètes engageant clairement l’avenir qu’un nouveau traité à renégocier pourra être proposé aux vote des Français . Ces projets à l’évidence mettent en cause le statut de la BCE à qui on devrait ajouter à sa finalité unique (lutte contre l’inflation) celle de la croissance durable et qui ne devrait plus être aussi indépendante vis-à-vis de la politique économique et sociale des gouvernements et parlements européens. Mais ils mettent aussi en cause l’actuel budget européen qui devra être augmenté et réorienté (quid de la Pac ?)
Enfin la gauche de la gauche vient, ce qui était tout à fait prévisible, d’exploser : pas de candidat commun possible, sauf rabibochage de dernière minute, lequel ne réglerait en rien le problème principal, à savoir que le PC ne peut pas se couper du PS sauf à se suicider, car il n’existe plus que par ses élus, alors que les autres ne veulent en aucun cas gouverner ni passer compromis politique avec le PS. De ce point de vue, les différents mouvements trotskystes sont cohérents : ils veulent la révolution de la phrase ou de la tribune, en attendant un grand soir miraculeux, et donc s’interdisent par principe de se compromettre avec aucune force possible de gouvernement dans le cadre actuel de la démocratie institutionnelle.
La position du non de la gauche de la gauche divisée sur la suite est donc parfaitement stérile et peut faire le jeu de Le Pen du fait d’un recentrage rhétorique de ce dernier sur des positions sociales/nationales.
Il faut donc reconnaître que les partisans du oui au TCE, en Europe et en France, qui veulent gouverner, ont de très bonnes raisons de penser que le non à l’économie de marché libre et non faussé (donc pour une économie non libre et faussée) sont sans avenir prévisible et qu’il est temps de mettre les choses au point. Mais nos partenaires s’inquiètent probablement que les deux principaux candidats aux élections présidentielles qui semblent devoir l’emporter, dont il faut rappeler qu’ils étaient partisans du oui en mai 2005 (ainsi que François Bayrou qui lui a le mérite de rester clair sur ce point), ne mettent pas sur le devant de la scène la question européenne et la reprise nécessaire du TCE, et fassent encore croire aux Français qu’ils pourraient encore se vouloir européens en exigeant des autres qu’ils capitulent devant non pas leur volonté positive mais devant leur absence de proposition alterne cohérente.
La majorité du non, en effet, n’est faite que de l’addition du non souverainiste anti-européen et de ceux qui, à la gauche de la gauche, exigent une constitution "socialiste" plus politiquement intégrée encore. Cela, à moins de penser que les deux courants ne se rejoignent dans un même mouvement social-nationaliste (et en effet certains n’hésitent pas, on l’a vu sur AV, à franchir ce pas), ne fait pas une ligne politique majoritaire. Je pense que nos partenaires le savent, et qu’ils veulent nous mettre au pied du mur. Et je pense qu’à leur place, nous ferions de même.
La résurrection du TCE parce que, après comme avant le 29 mai 2005, celui-ci est une nécessité pour réguler la mondialisation, s’impose donc comme une réalité incontournable contre tous les rêves nationalistes obsolètes.