Chronique d’une béotienne

par alinea
mardi 2 avril 2013

Il fut un temps où faire une chronique hebdomadaire en adoptant le point de vue naïf d'une inculture politique politicienne, n'était pas facile : le choix était immense et chaque jour en méritait au moins deux. On ne peut pas dire que ce soit le cas aujourd'hui ! La fadeur et le peu de surprise que nous réservent les événements font de cette époque un ennui mortel.

Il faut dire que l'idéologie libérale ne laisse guère de place aux débordements imaginatifs et ses enjeux et ses desseins sont simplissimes. Par un tour de passe-passe qui nous a tous bluffés, les personnalités politiques se sont évaporées, ne laissant à notre appétit que des avatars gris,fades et tous identiques.

Alors quand on apprend qu'une enquête est ouverte pour faire la vérité sur des suspicions sérieuses de blanchiment d'argent, nos petits cœurs de gauche bondissent, pleins d'espoir retrouvé. Le moindre petit bouchon nous amuse, nous qui sommes depuis presque un an anorexiques involontaires.

Mais au fond il ne s'agit que d'une caisse noire – quelques cheveux au noir- remplie de billets illicites ; évidemment tout ce qui est illicite ne peut être déclaré. De l'argent qui ne sert à rien ni à personne mais qui est très encombrant. Tout le monde n'a pas le loisir d'être encombré par trop d'argent, mais quelle plaie honnêtement, que faire de ce magot, le jeter à la mer ? Vous n'y pensez pas ; heureusement qu'il y a les suisses pour penser à tout. Combien de milliers de comptes en Suisse ? Tous plus ou moins du même tonneau...

Alors voilà notre grand rigoriste, revenu de tout qui ne croit à rien même pas à la guerre des classes, qui reçoit en pleine poire les effets boomerang d'un comportement banal dans son monde ; Ministre du Budget, c'est pas de bol quand même, quelle ironie ; enfin, pour nous autres, belle catharsis.

Mais à force de manquer de plaisir, on s'étiole : pourquoi nous avoir privés d'un Sarko menotté, juste avant les élections ? Non, un an plus tard, ces histoires traînent encore ! Tout est d'un lent !

 

On a appris dans la foulée, mais de manière assez discrète je crois, que la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy venait d'être mutée. Certes, ces mutations sont habituelles et même légales, mais elle en avait « sauté » deux : voilà plus de quinze ans qu'elle bosse sur le dossier de l'amiante et dans deux ans elle est en retraite ! Ça sonne donc un peu faux ces soudains scrupules légalistes ! Mais admettons : a-t-on pensé à assurer la continuité de ses dossiers ? Très discrètement alors, en Béotie, on n'en a pas entendu parler !

Il faut dire que la bonne femme est quand même spéciale : elle a passé sa vie à travailler, non seulement sur le dossier de l'amiante, mais sur le sang contaminé, les hormones de croissances, le Distilbène, la vaccination contre l'hépatite B, la vache folle et, cerise sur le gâteau, les retombées de Tchernobyl. Je pense qu'elle a bien conscience d'être maso et aussi de la chance qu'elle a d'être encore en vie ! Parce que, quand on aime la vie, on va pas mettre son nez dans les affaires qui fâchent les grands !

Imaginez que personne ne prenne la relève ; de nos jours les gens sont si couards, alors cette femme a été payée pendant tout ce temps à ne rien faire d'utile ; en Béotie, on pense qu'on n'a pas les moyens de payer des gens pour rien : qu'elle rembourse ! Il faut aller jusqu'au bout de ses idées : on laisse travailler une femme pendant des années sur des dossiers sensibles ( les politiques sont des gens très sensibles, vulnérables il faut, il faut faire très doux avec eux) et puis on s'aperçoit qu'on a oublié de la muter alors on la mute ; tant pis pour son travail qui, oh que c'est étrange, aboutissait.

On n'aime pas les choses qui ne tiennent pas debout, chez nous. On n'aime pas le gaspillage, de temps, d'argent, de talents, de travail...

Mais la relève est assurée ! Avec tous les moyens nécessaires que notre juge ne cessait de réclamer ; cette histoire est une humiliation orchestrée, sous couvert d'obligation ; cette indifférence aux choses et aux êtres tant utilisée aujourd'hui, dans tous les domaines : inutile d'être attentif, d'être un tant soit peu efficace : les dommages collatéraux, même au cours d'une guerre inique, ne sont qu'à peine mentionnés !

Mais l'époque est à ce point favorable au pouvoir qu'il n'est plus nécessaire de « faire croire », car on ne peut rien contre un mensonge même avéré !

Personne n'a dit qu'il était judicieux de protéger le soldat Aubry !

Cela fait un peu plus de trente ans que toute la propagande se fait dans le sens d'abêtir, abrutir ; cela marche très bien de déculpabiliser ; le confort d'avoir le droit d'être con, ignorant, tout en faisant beaucoup de moulinets avec les bras, ne se refuse pas !

En Italie, un électeur sur quatre a pensé que voter comique suffisait à changer le monde ! Un peu de désordre mis pour pas cher, pas beaucoup de travail ni de temps passé ! Forcément, cela emballe chez nous aussi : la société de la facilité a réussi à teinter les esprits ; on s'offusque qu'un claquement de doigt de suffise pas, et la leçon du passé donne l'abandon de toute lutte sérieuse, puisque les luttes sont sans cesse à refaire ! Alors, on s'indigne, on refuse l'organisation, et basta ! Et on se plaint que les hommes politique ne nous prennent pas assez en charge ; mais quand il le font, et parce que c'est contre nous, on s'indigne ! Elle n'est pas bien monumentale la roue dans laquelle nous tournons !À pédaler pour rien, on ne produit même pas de jus !

C'est qu'on a commencé tout petit ; tout t'est dû mon fils, ne te fatigue pas, maintenant, avec le progrès, on sait apprendre sans effort ; deux clics et c'est bon... il suffit de vouloir ! … savoir ? À quoi bon ? Alors, tous ceux qui étaient héritiers et devraient perpétuer le système, firent semblant de ne rien faire – mais ils étaient si intelligents que l'évidence de leur monde rentrait toute seule dans leur crâne bien moulé- et les autres, tous les autres ne firent pas semblant ! Il était facile alors de les mouler et de les garnir.

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes !

Donc, quand la réussite est avérée, il n'y a plus rien de neuf ; on doit fureter ça et là, des vieux liens, de vielles vidéos, un article publié il y a longtemps et qu'on a loupé, et on finit par pouvoir redessiner en filigrane une société désopilante. Parce que l'on arrive même à être las d'un discours dissident, de vérités dévoilées, à force à force de voir ces belles forces enkystées.

Au début, quand on lit pour la première fois Chomsky, c'est jubilatoire ; comment, toutes mes intuitions, confirmées là ? On n'a pas assez de deux yeux pour lire, de deux oreilles pour entendre, la nuit n'est pas un repos où les rêves excités laissent le lendemain le contenu, tout cru, d'un article !

Et la vie va ; on s'étonne, on s'offusque, puis on se rend compte que nous sommes nombreux et, un peu plus tard la boucle est bouclée avec le constat que le béotien, si bête et les pieds dans la glaise a, en fait raison : tous les petits malins qui s'envolèrent au delà des frontières pour bronzer leurs fesses blanches depuis des siècles, se sont fourvoyés : la langue de bois ne protège personne ; ces gens-là n'ont pas d'amis, leur terrain de prédilection est les sables mouvants et, gros bêtas, ils s'y enlisent aussi ! Le mensonge dessert y compris le menteur car comme disait l'autre : personne n'a un cerveau assez grand pour mémoriser tous ses mensonges !

Le béotien élague : tout ce qui est à double sens ou tout ce qui n'a pas de sens, on éjecte ! Grand nettoyage de printemps, difficile avec tous ces pieds boueux qui rentrent et sortent sans cesse !

En réalité, on ne peut plus faire de chronique si, d'une fois sur l'autre, on se souvient ; à moins d'adorer la répétition. C'est toujours la même turelure : le pouvoir abuse alors, on s'offusque et, en toute logique, on finit par dire que le peuple est un troupeau de moutons ; on finit par le haïr ce peuple, dont bien sûr on ne fait pas partie ; c'est bien fait, dit-on, à force de s'abrutir devant la télé et de ne rêver que de consommer, ces pauvres bêtes n'ont que ce qu'elles méritent !

Il devient nécessaire de se démarquer, pour ne pas sombrer ; mais à râler, s'indigner s'exprimer, on ne fait rien de plus, rien de mieux !

La particule élémentaire que je suis et qui ne fais que subir ce que d'autres lui imposent, n'a même plus l'énergie de l'indignation, à peine le culot de l'ouvrir ; et sait que l'action détermine les caractères, et que, dans la guerre déclarée, les camps se formeront, se forgeront et la lutte favorisera le courage et l'entraide.

« L'attente n'est pas un espoir vide. Elle a la certitude d'atteindre son but. Seule cette certitude intérieure donne la lumière qui conduit à la réussite. Celle-ci mène à la persévérance qui apporte la fortune et confère la force de traverser les grandes-eaux.

Il y a devant un danger qui doit être surmonté. La faiblesse et l'impatience sont impuissantes. Seul celui qui est fort viendra à bout de son destin, car il peut tenir ferme jusqu'à la fin grâce à son assurance intérieure. Cette force se révèle dans une sincérité inflexible. Ce n'est que lorsque l'homme est capable de regarder les choses telles qu'elles sont, sans illusion ni duperie à l'égard de lui-même, qu'il se dégage des événements une lumière grâce à laquelle on peut discerner la voie du succès. Une telle connaissance doit être suivie d'une action résolue et persévérante, car c'est seulement lorsque l'homme affronte résolument son destin qu'il peut en venir à bout. On peut alors traverser les grandes-eaux, c'est-à-dire prendre la décision qui s'impose et tenir tête au danger. » ( SU, l'attente ; Yi-King)

car : la pluie viendra à son heure. On ne peut la faire venir de force mais il faut l'attendre.

Et dans l'attente, l'homme noble mange et boit ; il est joyeux et de bonne humeur...


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