Chronique du racisme ordinaire

par pierref
jeudi 18 mars 2010

Aujourd’hui, j’ai été nul. Sans rire. Pour me rattraper, je vais vous raconter cette histoire affligeante…

Aujourd’hui, il est 12h et je vais commander un chéquier à ma banque. Ou plutôt dans une agence qui n’est pas la mienne, un endroit où je suis un parfait inconnu, Place de la Nation, à Paris (un quartier pas vraiment chic mais pas franchement populaire). Je pénètre dans le sas de la banque et je sonne pour qu’on m’ouvre. Le guichetier me dévisage et, environ 3 secondes après, m’ouvre la porte. Il est aimable, professionnel ; le portrait-type de l’employé modèle.
 
Un homme entre dans le sas et sonne. Il est noir (moi pas). Grand, assez costaud, jeune (une petite trentaine sans doute). Le guichetier, face à moi, le dévisage. Il dit à mi-voix « Ah, je ne le connais pas » et lui demande dans son micro « Bonjour monsieur. Vous êtes client de la banque ? ». Oui, lui répond l’homme. « En quoi puis-je vous aider ? » demande poliment le zélé employé de banque. « Je viens faire une remise de chèque ». Le guichetier, décidément tenace : « Vous avez un bordereau ou un papier à me montrer ? » (sous-entendu, pour prouver vos dires…). Le type montre un papier à travers l’épaisse vitre du sas. Le guichetier, visiblement satisfait, lui ouvre enfin la porte.
 
La scène a duré moins d’une minute. Le guichetier reprend son travail avec assiduité. Le type qui vient de rentrer souffle légèrement. J’interprète cela (mais ce n’est peut-être qu’une interprétation) comme un mélange de soulagement (« c’est bon, il m’a laissé entrer ») et de résignation (« bah, j’ai l’habitude maintenant, c’est comme ça à chaque fois, partout et tout le temps »).
 
Je suis proprement sidéré. Je tourne et retourne mes phrases dans ma tête, je cherche quelque chose à faire ou à dire. « Excusez-moi, Monsieur, mais pourriez-vous m’expliquer pourquoi vous m’avez immédiatement ouvert alors que vous avez posé 3 questions à ce Monsieur avant de le laisser entrer ? ». Ca, c’est la question que j’aurais aimé poser. Mais j’ai été nul (je vous l’ai dit en préambule), je n’ai rien dit. Pour ma défense, je n’ai pas osé faire un scandale dans l’agence (ce n’est vraiment pas mon genre, croyez-moi) et, pour tout vous dire, j’ai eu un peu honte de mettre mal à l’aise le Monsieur, tout à fait calme et serein…
 
Je suis encore sous le choc quand une autre personne (encore un homme, blanc de nouveau) se présente dans le sas et sonne. L’employé va lui demander quelque chose ? Ne serait-ce que pour faire semblant. Pour que dans ce grand théâtre de la comédie humaine, dans lequel il joue le rôle de l’employé-de-banque-bien-propre-sur-lui-qui-ne-laisse-pas-rentrer-n’importe-qui-dans-sa-banque, la représentation puisse se poursuivre. Mais non. Pas un mot. Il ouvre. Il a à peine regardé le type dans le sas. Il continue son travail, avec autant d’assiduité et d’amabilité envers ses clients. Je suis bouche-bée. Le client noir reste imperturbable. Pour lui, c’est un jour comme les autres…
 
De cette triste et banale histoire, je n’en tire aucune morale, aucune conclusion. Je sais, ça fait un peu « aujourd’hui Oui-Oui découvre le racisme ordinaire » et des anecdotes comme celles-ci vous en connaissez peut-être des milliers.
Ceci dit, cet épisode pose plusieurs questions qui méritent débat.
L’attitude du guichetier-bien-sous-tous-rapports, d’abord (rien à voir avec le portrait-robot du franchouillard raciste).
Mais aussi celle de la banque qui, peut-être, cautionne ce type de comportement (voire l’encourage ?).
Mon attitude à moi, ensuite, qui n’ai rien fait (à part témoigner par le biais de cet article).
Et enfin celle de l’homme noir. De loin la plus énigmatique pour moi…
 
 

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