Clearstream 2 : et si tout basculait ?
par Imhotep
jeudi 24 septembre 2009
Lefebvre, Bertrand et Cie ne voient aucun problème à ce qu’un chef d’Etat, accessoirement grand manitou du conseil supérieur de la magistrature, collatéralement non justiciable et soumis à une impunité absolue, déclare lors d’une interview, après réquisition de toutes les chaînes majeures d’information, « Après deux ans d’enquête, deux juges indépendants ont décidé que les coupables devaient être traduits devant le tribunal correctionnel. » sous le regard enamouré de Laurence Ferrari et l’œil humide de David Pujadas qui n’ont ni l’un ni l’autre réagi à ces propos. Les avocats de Villepin ont, eux réagi, avec dépôt de plainte.
Qu’il s’agisse d’un lapsus, ou d’un propos délibéré, il n’en est pas moins grave que celui qui est le garant de l’indépendance de la justice et le suprême pouvoir de cette justice oublie la présomption d’innocence à tel point qu’il condamne les prévenus avant la fin du procès. Il s’agit bien là d’un délit pénalement punissable. Et c’est une récidive. Peine aggravée ?
Ce que l’on voit dans un premier regard c’est que cette expression peut nous faire interroger de savoir si Sarkozy ne se croit pas finalement intouchable car malgré les avertissements qui disaient qu’il y avait déséquilibre entre des prévenus qui peuvent subir les foudres de la justice et une personne partie civile qui est immunisée mieux que ne le feront tous les vaccins contre le H1N1, il ne peut s’empêcher cette déclaration surprenante. Il faut rappeler sans cesse qu’en étant partie civile et non justiciable, cela crée un déséquilibre de force et de droit. Si, en plus, cette partie civile s’exprime publiquement sachant pertinemment qu’elle est le dernier chef de cette justice, elle fait peser un poids trop lourd sur le tribunal et dénature son rôle de chef d’Etat à son service.
Cela pose de très graves problèmes :
- une arrogance inouïe
- une pression scandaleuse sur la justice puisque le grand chef a décidé que les prévenus étaient déjà condamnés.
- absence totale de réserve que doit avoir toute partie civile se réservant les déclarations pour le tribunal et non pour la presse.
Cette déclaration officielle, dans une émission enregistrée et préparée, diffusée de façon captive sur toutes les chaînes majeures comme à Cuba fleure bon la mise en cause de la démocratie et démontre que la monarchie n’est pas loin (monarchie et non royauté pour ceux qui ont quelques problèmes avec l’étymologie des mots et leur sens).
Cette déclaration est un début de basculement du procès car elle va servir d’argument, du moins va renforcer l’argument selon lequel la justice ne peut pas s’exercer car il y a un déséquilibre trop grand entre le prévenu qu’est Villepin et la partie civile qu’est Sarkozy. Au fait (oui je me répète) qui paye l’avocat de Sarkozy : lui ou l’Elysée ?
Il y a un autre basculement. Au témoignage de Michel Piloquet, le beau-frère de Villepin, voilà que s’ajoutent des éléments très très embarrassants pour Sarkozy. Et cette fois-ci il s’agit de faits (de preuves puisque les sarkozyaques ne veulent pas les voir) par des remboursements de frais qu’Imad Lahoud a déjeuné ou dîner plusieurs fois avec François Pérol, très très proche collaborateur de Nicolas Sarkozy, si proche qu’il l’a propulsé contre toute déontologie, contre toute règle de compétence, contre les statuts mêmes des banques, à la tête du groupe Banque Populaire/Caisse d’épargne. Ces rencontres ont eu lieu de fin février à mi-mars 2004 (Médiapart). Curieux comme la presse n’en parle pas.
De ces faits très très troublants on peut en tirer une conclusion et se poser une question :
- la conclusion évidente est que Sarkozy - comme l’a affirmé Pasqua (mais une parole de Pasqua ne vaut pas plus qu’un verre d’anisette) - était au courant de ce fameux listing très très précocement. Ce qui prouve au minimum une instrumentalisation de cette histoire
- la question est : et si c’était Sarkozy qui avait fait ajouter son patronyme ?
Cela nous amène à revoir la déclaration de Sarkozy :
J’ai déposé plainte contre X quand j’ai découvert avec stupéfaction que j’étais titulaire de deux comptes dans une banque dont j’ignorais même le nom. Et chacun aurait eu le même sentiment et la même réaction. Après deux ans d’enquête, deux juges indépendants ont décidé que les coupables devaient être traduits devant le tribunal correctionnel. Et moi je vais vous dire une chose, Laurence Ferrari, je fais totalement confiance à la justice.
La chronologie est toujours un fait en soi. Sarkozy a porté plainte en janvier 2006 alors que Delmas a porté plainte en septembre 2004. Tout un chacun aurait porté plainte en septembre 2004 et non en janvier 2006. Sa plainte serait postérieure donc aux révélations (bien postérieure en fait) mais selon ces derniers éléments sa connaissance aurait été dès février 2004 et il aurait pu bloquer toute l’histoire dès le début. Deux questions :
- pourquoi cette plainte a-t-elle tant tardé ?
- pourquoi étant au courant, ministre de l’intérieur, n’a-t-il pas tout bloqué ? Tout être normal préfèrerait bloquer une histoire plutôt que d’attendre son développement.
Il dit faire confiance à la justice mais il est intervenu au moins deux fois. Une fois pour prolonger Pons, un des juges. Une seconde quand il a vu à l’Elysée Marin, le procureur qui avait dans un premier temps décidé d’un non lieu et qui a fini par demander une enquête supplémentaire qui n’a strictement rien apporté si ce n’est le renvoi en correctionnelle de Villepin. Il n’a donc confiance que dans la justice qui lui obéit.
Il y a aussi un autre élément qui pourrait avoir une importance considérable car celui dont il s’agit est un proche de Sarkozy et qui a bénéficié d’appuis obscurs pour la fusion GDF Suez, il s’agit d’Albert frère (attaqué en justice par un certain Kuhn qui a trouvé un écho favorable en Belgique car la justice française refusait de s’occuper de cette affaire dans laquelle ledit Frère a eu des avantages qui paraissent louches). Albert Frère, un des invités du Fouquet’s (comme le monde est petit), et un des légionnés d’honneur qui ont reçu cette breloque sans avoir rendu le moindre service à notre patrie. Un ancien dirigeant de Clearstream, Ernest Backes, a demandé à être entendu par la juge d’instruction de Charleroi, France Baeckeland, qui enquête sur une plainte visant le milliardaire Albert Frère, estimant que ce dernier pourrait être lié à l’affaire de falsification de listings jugée à Paris, a-t-on appris mardi de sources concordantes.
Coauteur en 2001 avec Denis Robert du livre "Révélations$" mettant en cause la chambre de compensation luxembourgeoise, M. Backes, qui est Luxembourgeois, a indiqué qu’il souhaitait être reçu par la juge Baeckeland, confirmant une information de Challenges.
Un représentant d’Albert Frère s’est refusé à tout commentaire. Ernest Backes, qui a affirmé ne rien vouloir dire "avant d’avoir vu un juge", avait écrit début septembre à un homme d’affaires français, Jean-Marie Kuhn. Celui-ci s’est lancé dans une bataille judiciaire contre Albert Frère, dont il dénonce le rôle dans la fusion GDF-Suez. Après avoir vainement tenté de faire ouvrir une enquête en France, il a été à l’origine d’une plainte instruite à Charleroi par la juge Baeckeland. Dans un courrier, que l’AFP a pu consulter, Ernest Backes, qui se dit "prêt à témoigner", prête un rôle au "réseau Frère" dans "la mise en orbite de l’affaire" de dénonciation calomnieuse.
On attend que la justice française entende les deux témoins que sont Piloquet et Backes.
Je crois que cette prise de position de Sarkozy et ces deux nouveaux éléments vont faire basculer le procès. Le proverbe qui dit tel est pris qui croyait prendre se verra peut-être ici confirmé. Mais si peu à peu on s’orientait vers une machination de Sarkozy, ce serait un scandale extraordinaire par le fait que la justice aura été complice. Il suffit de se dire deux choses : 1- la dénonciation calomnieuse n’a pu exister car ce ne sont pas les noms et prénoms de Sarkozy qui ont été employés, car c’est un listing complet et non un seul nom, car il faudrait prouver l’intention de nuire et la connaissance du trucage, 2- il y a un décalage immense et incompréhensible entre le brouhaha de cette affaire et la réalité pénale du fait (très mineure) et entre les autres victimes qui par leur nombre (une quarantaine) disparaissant complètement - et au moment des faits ils n’avaient pas moindre importance qu’un simple ministre de l’intérieur - sont rendus inexistants comme si 1 était supérieur à 40 (selon quelle logique pénale ?, selon quelle logique mathématique ?), dont Delmas qui lui a été en garde à vue 48 heures en mai 2004 - ce qui est autrement plus grave que ce qui n’est même pas arrivé au Roitelet et ce qui relativise extraordinairement le dommage supposé de Sarkozy (mais il est vrai que Tapie a droit à 45 millions pour des dommages et intérêts, ce qui à l’aune de ce procès se comprend mieux).
Vignette : Wikipédia La Loi par Jean Jacques Feuchère photo Marie-Lan Nguyen