Coke en stock (IX) : au menu ; tilapia,coke, kalachnikovs, pilotes belges et un premier pionnier
par morice
samedi 26 février 2011
La circulation de drogue de l’Amérique du Sud vers l’Afrique, via des bimoteurs ou d’énormes quadriréacteurs, a bien dû avoir d’autres précurseurs encore, en cherchant bien, se dit-on arrivé à ce point de notre enquête. En effet, et nous vous en avons retrouvé un. Un superbe cas d’espèce, sous la forme d’un pilote-type qui, aujourd’hui encore doit encore être sous les verrous, logiquement. Un personnage haut en couleurs, qui jouait les père tranquille dans son cottage anglais quand il ne partait pas livrer des armes un peu partout en Afrique, et à revenir en Europe chargé de Tilapia… ou de coke. Priorité au découvreur anglais de la pratique, dont le premier et seul vol de la sorte a eu lieu un mois pile après le 11 septembre : au beau milieu de la paranoïa sur la sécurité des vols transatlantiques, un homme va en effet ramener des Antilles plus de 270 kilos de cocaïne à bord d’un Boeing 707, sans que les autorités aériennes ne décèlent quoi que ce soit à bord. Honneur au précurseur qui va se faire bêtement pincer (sur dénonciation !), j’ai nommé Christopher Barrett-Jolley. Celui qui nous démontre par l’exemple aujourd’hui que drogue et armes, c’est du kif, en quelque sorte !
Des précédents, en effet, à nos Mermoz en Conquest ou en 727, il y en a eus. Celui d’un pilote à la vie assez extraordinaire. Un anglais, nommé Christopher Barrett-Jolley, un cas incroyable, surnommé partout le « meilleur de sa catégorie« . La catégorie assez particulière où il jouait étant le trafic de drogue ou d’armes ! Une de ses passes d’armes exemplaires ont ne l’a découverte qu’en 2001, alors qu’il avait sévi dans le trafic d’armes essentiellement depuis au moins une bonne trentaine d’années. Le but du jeu cette-fois là ? Ramener directement en Angleterre un avion avec à bord pour 45 millions de dollars de cocaïne. Et pas dans n’importe lequel : un quadriréacteur Boeing 707 ! C’est bien lui notre précurseur !!! Du moins, pour le moment…
En juillet 1994, Christopher Barrett-Jolley en personne transporte 1,800 tonne d’armes de Plivdov en Bulgarie jusque Riyan au Sud-Yemen. Des Kalachnikovs, des mortiers et des bombes diverses. Pour 2000 dollars seulement le voyage, selon lui. Il fera plusieurs vols, qui seront tous déclarés « humanitaires ». Etrange façon de voir les choses. Il récidive en octobre 1994 vers l’Angola, en apportant 44 tonnes d’armes cette fois de Vishkek vers Luanda. Pas toujours dans des conditions de sécurité irréprochables, loin de là. Ses avions sont des avions d’occasion à peine révisés et pas entretenus. Le 21 décembre 1994, un avion de Phoenix Aviation nommé « Oasis » veant d’Amsterdam et transportant des moutons s’écrase à côté de Coventry, tuant ses cinq occupants. L’avion, un 737 immatriculé 7T-VEE, aunom d’Air Algérie, avait failli s’écraser sur la ville et la société aussitôt suspendue de vol sur plainte des riverains. Il était tombé au ras des maisons. A bord du 737, il n’y a même pas d’ILS pour guider l’atterrissage ! Les pilotes se posaient à vue en plein brouillard anglais ! Christopher Barrett-Jolley change alors d’appareils pour les Antonovs d’Aaeroflot. Imitant ainsi un des autres amis de Rossignol, l’incroyable Victor Bout, qui les fait décoller lui aussi d’Ostende.
Ce qui n’empêche pas notre homme de récidiver dans l’avion poubelle. En Avril 1996 Christopher Barrett-Jolley achète le petit BAC 111 LE-ALD destiné au départ à la destruction à Ostende, qu’il retape sur place et repeint et enregistre au Liberia sous le nom de Balkh Air. C’est formellement interdit, l’avion ayant été déclaré bon pour la casse. Il volera pourtant, et même longtemps, et plutôt loin de sa base d’origine. L’histoire de sa livraison au départ d’Ostende du BAC-111 vers Maza, via Bakou, par un dénommé Richard est expliquée avec humour ici.
Notre homme a de drôles de contacts en réalité : il a fondé en 1996 par exemple Balkh Air, avec un des chefs de guerre redoutés de l’Afghanistan, Abdul Rashid Dostum, un des plus sanguinaires, devenu membre (« tranquille ? ») depuis des années du gouvernement de Karzaï ! Pour lui, il vole en Boeing 727, numéroté YA-GAA (ici à Prague en 1993), C’est l’ancien AirMoldova (Air Terrex) de Victor Bout. Entre trafiquants, on s’échange les recettes et les appareils ! Dans son Bac-111, comme ceux de Bout, on empile de tout en fait.
Parmi les pilotes de Red Rock, on trouve le belge Ronald Desmet, accessoirement pilote de la famille royale saoudienne à ces heures. Un autre beau cas d’espèces : devenu PDG d’Air Cess, société de Victor Bout, il est le fils d’un ancien responsable de la Gécamines, la grande société minière du Katanga pour qui vole bien entendu. Avec Victor Bout, il a aussi créé la firme Eastbound BVBA, une filière d’exportation de voitures neuves et d’occasion : le bon filon. Dans le genre, on met de tout. Y compris des voitures dont on ne sait pas toujours la provenance ! Ou avec un Boeing 707 pour aller livrer au Yemen les rebelles de Riyan Mukalla en 1994, aidé par les saoudiens. Barrett-Jolley c’est le Boeing 5B-DAZ, enregistré sous le nom d’Occidental Airlines de Ronald Rossignol, qui vole encore de Bratislava à Khartoum le 7 Février 1999. Pour déguiser un peu plus les vols, on intitule la société Tramson Airlines… loué par Avistar. C’est bien pourtant le 5B-DAZ : la valse des étiquettes continue. La pratique est une tradition chez les trafiquants notoires.
Le second B-707 relié à Dostum restera longtemps à Ostende sans servir avant d’être scrappé en 2004. Rossignol est le fils d’un proche collaborateur de P. Van den Boeynants, alors ministre de la défense de Belgique. Il a été arrêté en France en 1984 pour banqueroute frauduleuse mais le directeur de l’aéroport d’Ostende, le flamand Paul Waterlot, n’y verra aucun inconvénient.
Christopher Barrett-Jolley fera après dans l’import de moutons en Angleterre avec les déboires que l’on a vus. Ce qui lui vaudra les pires ennuis, une activiste anti-martyr des animaux succombant sous un camion au pied d’un de ses avions en 1995. A partir de là plus rien ne va aller : en 1996, Mazar i-Sharif, tombe et les talibans sont à Kaboul, fini les transports lucratifs d’armes pour Dostum, à l’époque tous payés par… les américains ! On retrouvera son fameux YA-GAA, en bon état, revêtu d’une livrée dorée de KAM’AIR en 2004 (et en 2008 encore). Kam Air est tout simplement la première compagnie afghane de l’après guerre, car apparue en 2003. A Kaboul aéroport. Elle sera marquée par le crash le 3 février 2005, de son seul Boeing 737 près de Kaboul (il y aura 104 morts).
Son Boeing destiné à son opération « spéciale », pêché à Lagos, sera d’abord ramené à Belgrade pour y être remis à neuf. Entre décembre 1988 et février 1999, il va effectuer avec des aller-retours de la Slovaquie au départ de Bratilslava vers l’Afrique du Nord, avec son beau frère, pour transporter des obus vers le Tchad. Souvent plein à ras bord. Il engrangera ainsi 250 000 livres pour lui et son équipage, soit quatre hommes, dont David Ogundipe, de Koda Air.
Quand il évoquera le nom de son client, il l'appellera « Air America » d’un ton moqueur. Le nom de la célèbre compagnie de la CIA durant le Viet-Nam à laquelle il aurait participé. Car en fait, il fait ça depuis une trentaine d’années d’affilée, résidant entre deux à Dubai… à Sharjah. Entre le Caire et le Yemen, entre la Slovaquie.. et le Soudan. On compte 28 vols au départ d’Ostende à partir du mois de décembre 1998, de l’usine Hermes, en Slovaquie, à Bratislava, vers le Soudan, pourtant alors déjà sous embargo.Christopher Barrett-Jolley est bien un trafiquant d’armes.
Le 12 mai 1998, par exemple, il décolle de la base de la RAF de Manston dans le Kent, direction Kano au Nigeria pour faire de l’essence et repartir vers Mmabatho en Afrique du Sud. A bord de son 707, 20 tonnes de matériels de guerre : uniformes, radios, et même une voiture blindée. En fait, il se posera à Cabinda en Angola, puis à Lomé auTogo, là où on le retrouve… vide. Il a vidé ses soutes au passage à Cabinda. Le 7 février 1999, nouveau voyage. Le Boeing 707, à Bratislava, rate son décollage et s’enfonce dans la boue, ayant largement dépassé la piste. Train avant enterré dans l’herbe jusqu’au fuselage ! L’avion est en fait bourré d’armes et bien trop lourd « Un avion d’Occidental s’est écrasé à Bratislava, indique Peleman, l’expert anversois, coauteur du rapport de l’ONU sur la Sierra Leone. Il était rempli d’armes. Rossignol a refait surface en Belgique l’an dernier, à l’aéroport de Gosselies. Avec une compagnie enregistrée en Guinée équatoriale. » Rien ne les arrête en fait, surtout pas un crash d’avion, un risque à prendre, sans plus.
L’autre pilote belge notable est Jacques « Kiki » Lemaire. Lui, on le retrouvera au Rwanda. Avec une belle Caravelle crashée à Gisenyi Airport le 27 Aug 2004. Ancienne Gabon Express. La dernière Caravelle volante au monde. Ancienne F-WQCU. Le « kiki » a fait fort : l’appareil devait atterrir à Goma (au Congo) où elle transportait du matériel électronique pour Celtel mais s’est posée sur la piste (trop courte) de Gisengi, au Rwanda. Elle n’avait pas eu le droit d’atterrir à Goma. Comme propriétaires elle avait Transair, Waltair et… Kiki Lemaire. En 1997, une compagnie Air Cess avait été enregistrée au Libéria après avoir ouvert un bureau en Belgique. Devenue Air Pass en Afrique du Sud : la compagnie avait pour créateurs Kiki Lemaire et Victor Bout. Il fournit l’APR au Zimbabwe, via le Rwanda.« En 2000, à Kigali, on trouvait régulièrement comme trafiquants d’armes, Viktor Bout, « Kiki » Lemaire, et le Libanais Imad Kabir, (« Bakri ») qui a fait longtemps partie de l’entourage de Mobutu », ont constaté les enquêteurs de l’ONU.
Dans le rapport de Pierre Richard, chargé de recherche au GRIP, sont cités les noms des violeurs de l’embargo contre L’Unita : « En 1993-1994, le principal contact de l’UNITA fut un négociant en armes sud-africain nommé Ronnie De Decker. Les armements et le matériel militaire étaient échangés contre des diamants. A partir de 1995 ou 1996, jusqu’en octobre 1999, le Libanais Imad Kabir, ou Bakri, aurait été le principal intermédiaire de l’UNITA pour les importations d’armements et de matériel militaire, livrées via Kinshasa. Victor Bout, né au Tadjikistan et mis en relation avec Savimbi via le Rwanda, et ses compagnies aériennes, Air Cess et Air Pass, sa filiale, ont également activement participé aux transferts d’armements en faveur de l’UNITA. Enfin, un ressortissant sud-africain/namibien basé en Afrique du sud, Johannes Parfirio Parreira, constitue le principal maillon d’un réseau de fournisseurs de l’UNITA qui utilisent sa compagnie d’affrètement aérien, Interstate Airways ».
Parmi les soutiens au Rwanda, on trouve aussi les USA, via les programmes comme le Joint combined exchange training, JCET, l’ Enhanced international military education and training (E-IMET), ou le Rwanda interagency assessment team, (RIAT). Nul doute qu’il y a des imbrications dans les livraisons ! Une base militaire spéciale a été créée pour ça : près de Cyangugu, à proximité de la frontière congolaise. Destinée à entraîner les troupes de l’APR pour ses opérations en RDC. Il avait eu les honneurs d’un rapport de l’ONU du 10 mars 2000. Si l’on cherche deux pilotes « belges » pour jouer les cascadeurs de désert ou les nouveaux Mermoz de l’Atlantique, on peut tabler sur nos deux phénomènes, à qui ou pourrait même en ajouter un autre que nous connaissons bien en France… et lui aussi fait dans l’humanitaire.
On pense en effet à Jacques Wilmart, 75 ans, ancien commandant de bord de la compagnie Sabena, celui rendu célèbre pour l’affaire des enfants du Tchad, celle de l’arche de Zoé qui avait en fait déjà avant transporté dans son monomoteur une trentaine d’enfants en 43 heures de vol au total à Adré, Bahaï et Biltine. L’avion était un Cherokee six Piper PA-32 affrêté par Children Rescue, l’autre nom de l’Arche de Zoé. L’homme sait tout piloter, Du Boeing au Piper. Mais de là à avoir participé avant aux vols transatlantiques, il y a un pas. En fait c’est plutôt son point de départ véritable qui est intéressant : le Check-in pilots bar », un petit bar de Waterloo, dans la banlieue de Bruxelles, un des bars où peuvent se rencontrer des pilotes à l’affût d’un vol quel qu’il soit. C’est là où Wilmart avait été contacté pour descendre le Piper d’Ogades vers N’Djamena. Les « belges » de l’affaire sont de toute façon des pilotes chevronnés et non des débutants : il sont obligatoirement âgés. Mais leurs vols, on ne cesse de le dire, son exténuants, relèvent de l’exploit et sont extrêmement dangereux ! N’aurait-il servi que de repérage avec son propre avion pour déterminer les fameuses pistes du désert ?
En Belgique, où on envoie aussi parfois des pilotes, mais anglais, en prison. Tel est le cas de Steve Jackson, 50 ans, membre du Sherburn Aero Club, arrêté en 2008 avec son collègue Leon Franklin, 41, ans, car la police belge avait découvert 27kg de cocaïne à bord de leur petit appareil sur l’aérodrome de St Ghislain dans le Hainaut, de la drogue en partance vers l’Angleterre. Un Pitts, ou un Tiger Moth (iciun Stampe), je n’ai pas pu le vérifier. Cachée derrière des bouteilles de bière belge, ça ne s’invente pas. A St Ghislain, on croise souvent le de Beech 58 de Tatenhill en Angleterre avec sa déco « Jaguar ». Emprisonné huit mois, le pilote anglais sera finalement relâché faute de preuves : la drogue avait été découverte dans un taxi, mais pas dans son avion, paraît-il. Il n’empêche : la police belge avait fait une descente car elle avait relevé un nombre élevé de vols réguliers St-Ghislain-Sherburn ! Quand on sait le rôle que jouent Bruxelles et Anvers dans la fourniture de drogue à l’Angleterre…
Le vol dont on parle aujourd’hui a démarré de Belgrade le 11 octobre 2001 (juste après les attentats du 11 septembre,qui l’avaient retardé !). L’avion a fait de l’essence aux Iles Canaries, puis a volé jusque Montego Bay en Jamaïque. Là on y a chargé des « documents spéciaux » selon les déclarations en douane : des valises et des sacs de voyage, contenant 271 klos de cocaïne pure (22 millions de livres). Puis l’avion est reparti dans l’autre sens, en ayant bien pris soin de mettre davantage de kérosène qu’à l’aller. Arrivé au dessus de Las Palmas, aux Canaries, il annonce qu’il a « des problèmes techniques » et se détourne tranquillement vers « son » aéroport de Southend, dans l’Essex, en Angleterre. Tout se passe parfaitement à un détail près : le comité d’accueil qui l’attend à Southend ce 16 Octobre 2001 n’est pas tout à fait celui espéré : son garde du corps serbe l’a trahi, et a donné le filon à la police. C’est la fin de la carrière famboyante de Barrett-Jolley,à 55 ans seulement. Verdict : 20 ans chacun pour les deux hommes, lui et son beau-frère. Barrett-Jolley, sans le savoir, vient en 2001 de montrer la voie à suivre pour les transports importants de drogue. C’est lui aussi qui a inauguré le coup de la panne pour changer d’aéroport au dernier moment. Lui aussi qui a songé au poisson pour masquer la drogue au retour. Lui aussi qui a mélangé livraison d’armes et de drogues. Ce qui l’a trahi, ce sont aussi ses mails avec son beau-frère, qui étaient décortiqués par la police et le MI6. Un très bon pilote, certes, mais bien trop bavard !
Notre pionnier semble avoir agi en homme isolé : à part son beau frère, condamné avec lui, nulle trace de réseau dans son entreprise. Ce n’est pas le cas d’une vaste organisation que je vous propose de découvrir demain…
PS : ne pas oublier le film de référence de la période : "Le cauchemar de Darwin" d'Hubert Sauper, sorti en 2004.