Coke en stock (L) : Walter et les crevettes sénégalaises
par morice
mercredi 12 octobre 2011
On l'a vu avec l'affaire du Boeing bourré de cocaîne incendié au Mali, les trafiquants des cartels colombiens utilisent désormais d'autres techniques pour inonder l'Europe de la drogue, devenue beaucoup plus lucrative pour eux que sur le marché américain (*). Plein d'argent et pleins d'imagination, ils utilisent toutes les possibilités pour gérer cet afflux massif sur les côtes de l'Ouest de l'Afrique. Leurs dernières réalisations étant leur installation pure et simple sur le continent, sous le couvert d'activités diverses, et une propension évidente à se fondre dans la politique locale en arrosant tant que possible les corrompus possédant le pouvoir. Nous avons vu jusqu'ici pas mal de pays concernés par ces dérives, le dernier fort représentatif en date étant la Mauritanie. Mais un autre pays revient avec insistance depuis plusieurs épisodes comme étant la plaque tournante de tout le système : le Sénégal, qui jusqu'ici a toujours été présenté comme étant la vitrine de l'Afrique, fort éloigné des problèmes de trafics de drogue. Or depuis quelques années, c'est tout l'inverse. Les rapports de l'OCRTIS (l'Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants) s'accumulent, désormais, pour présenter le pays comme étant en tête des trafics illicites. L'image de rêve du Sénégal s'effondre, avec les rêves d'une dynastie qui bat de l'aile avant même d'avoir débutée. La vitrine démocratique est en train d'exploser, et la la cocaïne, avec l'argent et la corruption que ce fléau brasse, n'y est pas étrangère.
Le documentaire fort évocateur, qui met l'accent sur la Guinée Bissau voisine, c'est le superbe "Aricastups" de Stéphane Bentura et Jean-Christophe Brisard, chez Canal Plus Investigation (**). Une belle réussite journalistique, un très bon travail de fond, à saluer, car, comme je le disais hier on en apprend davantage en le regardant qu'à compulser les articles de presse indigents sur le sujet : seuls les sénégalais se sont intéressés à son cas, ici, en France, on a eu droit qu'à des entrefilets. C'est pourtant bien Walter Amegan qui apparaît, à l'épisode N°3 du reportage de Bentura et Brisard. Et le dernier épisode insiste sur la station balnéaire de Saly, au Sénégal, d'où venait Amegan, ses parents y habitant, on l'a vu, où pas loin des colombiens avaient installé une crevetterie, un site gigantesque, qui servait de paravent à leurs activités de circulation de drogue. Une crevetterie qui n'aurait jamais dû être construite au Sénégal : un rapport préalable expliquait en effet que les colombiens n'y connaissaient rien à l'élevage de la crevette pénéide, ce qui n'avait pas empêché le gouvernement du Sénégal d'accorder sans hésiter la concession... le ministre de l'industrie du pays étant visé depuis pour compromission."Depuis mai 2007, c’est-à-dire deux mois avant que la drogue n’échoue sur les rivages de la Petite-Côte (évènement qui a fait le tour du monde à cause de la quantité de drogue saisie – 2,4 tonnes -) un document commandité par l’Union européenne et réalisé par le Service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France concluait que le projet de création de la ferme d’élevage de crevettes à Ndangane Sambou, dans la région de Fatick, ne respectait pas les critères techniques requis pour sa réalisation". Rien ne correspondait aux critères requis : "selon des sources qui ont eu directement accès aux études, le rapport de la mission d’expertise sur la ferme d’élevage de la crevette, réalisé par une équipe constituée de techniciens du Centre de recherches océanographiques de Dakar Thiaroye (Crodt), de l’Institut français de recherche-développement (Ird) et trois techniciens du ministère de l’Economie maritime - piloté alors par Djibo Leyti Kâ -, concluait que le projet en question ne pouvait pas être réalisé à cause de failles techniques quasi insurmontables. Après de nombreuses observations faites sur le site de Ndangane Sambou, les experts tirent des conclusions tranchées. Il est impossible de pratiquer un élevage intensif de l’espèce de crevette connue sous le nom scientifique de Penaeus notialis." Impossible, mais pas pour les trafiquants, qui ne cherchaient pas à produire de la crevette, mais à dissimuler leur cocaïne !
Un projet infaisable, mais avec de l'argent qui avait déjà déboulé à flots pendant deux années au moins : "autre point important soulevé par le rapport, c’est l’absence d’informations sur les sommes exactes injectées dans le projet. Les experts n’ont en effet pas pu rencontrer César Villamar Ochoa, chargé de la production et Directeur du projet absent (comme par hasard) du Sénégal au moment où la mission était menée. Certes des engins (pelleteuses, compacteurs, tracteurs, etc.) ont été achetés, mais aucune comptabilité n’a été mise à la disposition des experts. Juste savent-ils que le promoteur, « G.J Import Export Commerce général Sarl » est une société dont le capital est de 10 millions de francs Cfa et qu’environ 400 millions ont été injectés dans les chantiers de réalisation de bassins, correspondant à la construction de 120 piscines (pour servir de lieux de culture des crevettes), la construction d’une usine de traitement et d’un laboratoire d’aviculture. Les experts ont du reste souligné qu’il y avait une tendance au surinvestissement. Preuve que l’investisseur est plein aux as, les ouvriers et les domestiques touchaient 150 000 francs Cfa par mois. Soit cinq fois le salaire minimum garanti." Investisseurs dans le pays, les barons de la drogue s'imaginaient avoir trouvé la planque parfaite ! Et arrosaient copieusement la région en espérant en retour le silence de ses habitants ! Comme le dépeceur de Bamako !
Et ce n'est pas fini : le 07 juin 2008, plus grosse prise encore avec l'arraisonnement au large du vieux cargo Opnor, en très mauvais état (il datait de 1961 !), battant pavillon panaéméen, véritable épave flottante de 412 tonnes, intercepté avec 3,7 tonnes de cocaïne à bord par la marine espagnole, visiblement très bien renseignée : il s'apprêtait à descendre tout son chargement via des pirogues sur le rivage, au même endroit, sur la plage de M'bour, décidément haut lieu du trafic dans le pays.
Un rapport de l'ONU indique que le Sénégal est bel et bien devenu une plaque tournante du trafic, après son voisin de Guinée Bissau, alors en pleine tourmente politique. En interview, Antonio Matzitelli, représentant régional de l'office contre la drogue et le crime en Afrique centrale et de l'Ouest, le précise sans ambage le 30 janvier 2009, en affirmant clairement que le gouvernement sénégalais est dépassé et que "les trafiquants de drogue infiltrent la machine Etatique" : Tout d’abord les drogues arrivent en grande quantité par des avions privés. Et une fois arrivées sur les côtes de l’Afrique de l’Ouest, elles sont stockées dans les entrepôts des trafiquants. Et de plus en plus, les trafiquants étrangers travaillent avec des partenaires locaux qui, avec l’argent de leurs prestations de service, achètent eux-mêmes des quantités croissantes qu’ils réexportent en grande quantité dans des containers par bateau ou par voie terrestre. Une autre partie de la drogue, du reste beaucoup moins importante, est exportée par courrier. C’est ce qu’on appelle les « mules », c’est-à-dire, les individus qui sont souvent contactés sur place par des organisations criminelles locales et qui transportent dans les 400 grammes de drogue. Le plus souvent, ils le cachent à l’intérieur du corps ou dans leurs bagages. Ce réseau de « mules » se développe surtout au niveau des aéroports qui ont des vols internationaux. Le Sénégal étant dans ce cas, enregistre un passage croissant des « mules ». Des études faites en Octobre 2008 a montré qu’en termes de quantité, l’aéroport de Dakar est le plus important en ce qui concerne le passage des « mules » sur la base des saisies qui ont été opérées dans des lieux de transit en Europe et en Afrique du Nord. Mais cela s’explique aussi par le fait que l’aéroport du Sénégal a cinq fois plus de passagers en transit par rapport à d’autres aéroports. Par exemple, au Sénégal il y a cinq vols en direction de l’Europe chaque semaine, tandis qu’en Guinée- Bissau, il y en a qu’un seul." Le trafic augmente de façon considérable, et visiblement, la lutte anti-drogue n'a pas l'air d'être la préoccupation principale des hommes au pouvoir. La presse, sous le titre accrocheur " Saisies record de 6 tonnes de cocaine : Le Sénégal snife a plus de 300 milliards" tentait bien pourtant d'alerter les autorités, mais sans vrai succès. Un gouvernement dépassé, qui prend de plus en plus des décisions sidérantes, comme celle de confisquer les villas appartenant à des retraités français venus s'installer là pour leurs vieux jours. En France, la presse en fait peu de cas : il ne faut pas fâcher la famille Wade, visiblement !
En revanche, pour la presse comme pour le commun des mortels au Sénégal, les accusations de complicités gouvernementales s'étaient mises à pleuvoir, auxquelles répondait mollement le pouvoir en limogeant seulement le ministre de l’Economie maritime, Djibo Leyti Kâ qui était remplacé par le ministre d’Etat, ministre de l’environnement et de la protection de la nature, Souleymane Ndéné Ndiaye. Cela aurait pu s'arrêter là pour le Sénégal, qui, je le rappelle, hébergeait toujours le second 727 destiné à servir de transporteur de drogue, avait fait jouer des rétro-commissions pour a remise à neuf de l'aviation présidentiel, retapé plus qu'il ne fallait. Et avait aussi facilité le rôle joué par le sénégalais Ibrahim Gueye dans le trafic vers la Guinée-Bissau, celui du français Vernay et de son entreprise Africa Air Assistance pour venir secourir le Gulfstream bloqué en Guinée avec ses 600 kgs de cocaïne. La barque commençait sérieusement à s'alourdir !
C'est le pemier choc, très bien résumé dans l'article de Pedro Canales (***), en date du 17 septembre 2009. Le second étant l'annonce de la mise au placard immédiat d'office d'un officier de haut rang des douanes marocaines, renvoyé à Layounne, dans à l'Ouest du Sahara. La raison en étant d'avoir arrêté brièvement une personnalité étrangère de haut rang qui aurait été porteur de drogue (du haschich) : or cette personne était annoncée comme n'étant autre que Karim Wade, le propre fils du président sénégalais Abdoulaye Wade ! Une arrestation que n'avait pas du tout apprécié le roi Mohammed VI, bien sûr, grand ami de Wade. Bien entendu encore, la presse sénégalaise s'était enflammée, à cette nouvelle, au point d'en arriver à une mise au point officielle du fils concerné comme quoi tout cela n'était que mensonges et insinuations. "Pour fixer définitivement l'opinion nationale et internationale, je déclare sur mon honneur que je n'ai jamais été arrêté ou interpellé au Maroc ou ailleurs" déclare-t-il. Or comme le note la presse, le câble de Wikileaks l'annonçant circulait dans toutes les rédactions depuis décembre 2010, mais personne n'avait osé jusqu'ici en faire part.... Au Maroc, davantage qu'au Sénégal semble-t-il, on avait déjà compris que cet immense trafic représentait un énorme danger pour les dirigeants, en raison du laxisme évident dont ils avaient fait preuve à ce jour, et qui devenait de plus en plus flagrant : "ces réseaux constituent une menace multiforme pour le pays", affirme le journaliste Khalil Hachimi Idrissi, l’un des plus informés au Maroc. Idrissi dit à haute voix ce que les Autorités n’osent pas confesser : "c’est le propre État qui est menacé dans sa crédibilité, dans sa stabilité et dans sa légitimité". Parce que, ajoute le directeur du journal Aujourd’hui le Maroc, quand le narcotrafic atteint ces niveaux, "les structures étatiques sont exclues". Il ne reste que la loi du plus fort. L’Europe, la première concernée, ne peut pas rester comme expectatrice devant la détérioration continue de la stabilité dans l’Afrique du Nord". Mohammed VI, pourtant critiqué de partout, avait pourtant bien tenté en 2006 de réformer ses propres services policiers, en chassant quelques brebis galeuses : ils étaient déjà tous revenus depuis au premier plan, celui de la corruption généralisée. Un grand baron de la drogue marocaine, Mohammed Kharraz, les avait pourtant tous "balancés", à l'époque. Jusqu'à remonter jusqu'à Abdelaziz Izzou, l'ancien chef de la police judiciaire de Tanger de 1996 à 2003 et alors "directeur la sécurité des palais royaux", qui avait été sur le champ limogé par le roi. Tous deux avaient écopé de 5 ans et 8 ans de prison respectivement le 22 mars 2008. On était alors parvenu pour la première fois très proche du pouvoir !
L'Europe, dont parlait Pedro Canales seait-elle en proie elle aussi, sur son territoire, au même pourrissement de la situation, avec en France comme exemple la Corse qui représenterait la tête de pont comme nous allons le voir ? Visite demain de l'île de Beauté... en hélicoptère, si vous le voulez bien... avec là aussi de belles surprises.
(*) Le dossier "drogue, la conquête de l'Europe" de DOMINIQUE LEBLEUX, XAVIER RAUFER, STEPHANE QUERE est un document indispensable : il est lisible ici :
http://www.drmcc.org/IMG/pdf/46dab64cd2705.pdf
on trouve cette judicieuse analyse : "Par ordre d’importance, la Colombie, le Pérou et la Bolivie sont les trois pays d’Amérique latine producteurs de cultures de coca. Ils exportent la majorité de leur production vers les États-Unis et l’Europe. Les routes de transport se sont multipliées. Selon un rapport de l’OCRTIS20 (2005)la drogue est acheminée principalement par le Brésil et le Venezuela pour être débarquée dans certains pays d’Afrique. Le rapport cite notamment le Cap-Vert, le Sénégal, l’Afrique du Sud et le Nigeria. Pour être plus précis, les dernières données indiquent que l’Espagne est la plaque tournante du trafic. Ce pays réceptionne la moitié des quantités exportées qui sont ensuite disséminées dans toute l’Europe. La Colombie utilise quatre circuits pour atteindre l’Espagne : Antilles, Canaries, Brésil, Afrique. Le Pérou et la Colombie utilisent les routes du Brésil et de l’Afrique".
"L'engouement stratégique des cartels sud-américains pour l'Europe obéit à une stricte logique commerciale : le marché américain étant saturé, la cocaïne se vend plus cher en Europe où elle demeure plus rare, ce qui gonfle sa marge. L'an dernier, le prix en gros du kilo de cocaïne oscillait en Europe entre 28 000 et 56 600 euros, contre seulement 9000 à 28 000 euros aux Etats-Unis, selon les données de la DEA".
1) http://www.dailymotion.com/video/xcnspt_c-investigation-africa-stups-1-3_news
2) http://www.dailymotion.com/video/xcnekh_c-investigation-africa-stups-2-3_news
3) http://www.dailymotion.com/video/xcn6q2_c-investigation-africa-stups-3-3_news
le second documentaire passionnant étant l'Eté Papillon de Patrice Vanoni, du 5 décembre 2007. Lire ici les déboires de Vanoni sur TF1 : édifiant !
Autre document sur France 24 sur la Guinée Bissau :
http://www.dailymotion.com/video/x8jttf_guinee-bissau-la-cocaine-gangrene-l_news#rel-page-4
(***) le résumé du problème marocain par Pedro Canales : "Le communiqué fait public par le procureur du Roi à Casablanca, Abdellah Alaoui Belghiti, le 9 septembre, a fait sauter toutes les alarmes. Dans les deux dernières années les services de sécurité ont réalisé 21.530 opérations anti-drogue dans tout le pays et arrêté 53.893 personnes, parmi elles 973 étrangers de différentes nationalités, principalement des Espagnols, des Français, des Italiens, des Belges et des Hollandais, d’après le journal socialiste Libération. Dans les prisons marocaines il y a en ce moment moments pas moins de 50.000 individus condamnés pour trafic de drogue, annonce pour sa part le journal Aujourd’hui le Maroc. Ce qui veut dire la majorité absolue de la population carcérale.
Dans la dernière opération anti-drogue menée au nord du pays, 18 barons présumés ont été arrêtés. Une opération qui demeure ouverte et qui a permis jusqu’à présent de s’emparer de 400 tonnes de kif, 88 de chira et 180 d’huile de cannabis. Des quantités considérables que jointes aux 34 kilos d’héroïne et 53 de cocaïne, en plus des 77 000 de drogues synthétiques, donnent une idée de l’envergure de ce réseau.
Malgré la diminution de la surface dédiée à la culture de hachisch - selon les données fournies par les autorités marocaines, puisque les organismes internationaux de contrôle n’ont pas l’autorisation de rechercher sur le terrain-, le Maroc continue d’être le producteur principal de cannabis dans le monde, dont l’exportation au marché européen fournit aux narcotrafiquants et aux caïds qui les manipulent, plusieurs milliards d’euros chaque année.
L’instruction du cas Triha, du surnom de Lamfadel Akdi, un intouchable soupçonné d’être à la tête du réseau, promet des révélations importantes. Pour le moment un ex-député du Regroupement National des Indépendants (RNI), de Mohamed Jouahri, a été détenu. Des 18 arrêtés, cinq contrôlaient la vente de drogues dures, de cocaïne et de l’héroïne provenant de l’Afrique Occidental, sur le marché marocain ; six autres dirigeaient le secteur de l’exportation de hachisch en Espagne par voie maritime en utilisant les embarcations qui démarraient du port improvisé de Marchica près de Nador ; un autre groupe composé de trois était chargé de l’exportation en Europe par voie terrestre, en utilisant des camions TIR de marchandises ; un quatrième groupe de trois barons contrôlait le trafic vers l’Algérie, vers Tunis et vers la Libye, à travers la frontière d’Oujda et d’Errachidia ; et le dernier d’eux était chargé de l’approvisionnement de hachisch à Ketama".
Selon les premiers éléments de la recherche, le réseau comptait d’une demi-centaine de poids lourds, qui s’était pratiquement distribué tout le pays. La presse marocaine parle d’un Gouverneur, de plusieurs hauts responsables de l’administration territoriale, d’employés de la Douane et de la Gendarmerie Royale, et de plusieurs magistrats. Selon le journal Al Bayane, l’une des régions importantes par lesquelles transitait "la neige" provenant de l’Afrique de l’Ouest n’est autre que le Sahara Occidental, les "provinces sahariennes" selon la terminologie habituelle marocaine."