Coke en stock (LIII) : le retour de la French Connection
par morice
mardi 18 octobre 2011
A voir les quantités astronomiques de cocaïne qui débarquent régulièrement en Europe, et en France, donc, on se dit que le système qui le permet est d'envergure. Au point d'en rappeler un autre, de trafic : celui de l'héroïne, transportée dans les années 60 vers les USA par des trafiquants français, aux "belles heures" de la French Connection. C'est à noter en effet qu'actuellement, des français sont de la partie, et qu'ils sont relativement jeunes : auraient-ils suivi l'exemple de leurs aînés, ont-ils gardé des liens avec leurs "grands ancêtres", voilà qui demande à être vérifié. En tout cas, le bilan de leur action est éloquent : tous les mois, on découvre un arrivage de cocaïne, qui ne voyage plus par kilos mais par tonnes, livré par des trafiquants qui bénéficient de complicités un peu partout, tant les sommes d'argent que leur procure leur trafic leur pemet d'acheter qui ils veulent ou presque. Etre policier incorruptible, aujourd'hui, réclame une sacré foi en sa mission de service public... au point qu'on en arrive à comprendre pourquoi certains versent du mauvais côté (sans les absoudre pour autant, bien entendu).
Un article fort judicieux du Parisien résume tout et donne le nom de celui qui a réussi à s'échapper in extremis à Neuilly, car il avait été effectivement prévenu de la descente des policiers. Il discutait alors au téléphone avec son "très proche ami" Abdallah Tahraoui, et évoquaient tous deux quelque chose d'intriguant sous une forme codée : "si les policiers leur prêtent un rôle dans ce meurtre, c’est qu’ils sont tous les deux placés sur écoute. Dans une conversation, il est notamment question d’un « barbecue géant »… Parlaient-ils de l'incendie de l'avion du désert ou simplement du cas du corps de leur victime ? En tout cas, Tepie truand relativement jeune, relie bel et bien tout ce monde de trafiquants à une vieille "tradition" bien française : celle de la période faste pour eux de la "French Connection" (ou "Corsican Connection" !). Tepie, c'est en effet le chaînon manquant entrer les "vieux" trafiquants et la "relève", comme peut l'être aussi Eric Walter, l'homme qui pourra bientôt jouer dans un film intitulé "celui qui échappe à tout", après ce qu'on a pu lire de ses exploits (notamment ici).
"Avant d’être, en son nom propre, un important « chef de réseau » en matière de cocaïne", continue en effet l'article, "Tepie était associé à des figures historiques du trafic de stups en France, dont Fanfan, la compagne de Fernand Chaffard, pionnier de la French Connection, et leur fille, surnommée l’« Indienne » en hommage à sa magnifique chevelure noire. En février 2001, cette équipe tombe en flagrant délit dans le XVIe arrondissement de Paris : une dizaine de kilogrammes de cocaïne, plus de 600 000 € en espèces, une quinzaine de bolides haut de gamme et, chez un des protagonistes, 50 montres de très grande valeur. La police évoque alors une « organisation » mafieuse. Un avocat, lui, se souvient d’une « magnifique affaire ». Tepie et Tahraoui étaient des clients fidèles d’un autre Français, Michel Curtet. Avant de tomber au Portugal en 2005 avec six tonnes de coke, ce sexagénaire a longtemps été en contact direct avec les cartels colombiens. Depuis, les trafiquants hexagonaux sont comme orphelins. « Ils ont été obligés de se réorganiser », décrypte un policier. Pour les trafiquants, il faut créer de nouvelles filières. Gilles Tepie, lui, « marche au coup, il n’a pas un mode d’approvisionnement régulier », poursuit l’enquêteur. Mais il dispose de relais précieux aux Antilles." Tout le monde aura noté les montres, car comme me le dit mon cher voisin "quand t'as du fric, t'as déjà une maiso, voire deux, une grosse bagnole, voire deux, une maîtresse, voire deux, et le seul moyen de te distinguer, à part tes costards, ce sont les montres à plus de 10 000 euros". On avait raillé le président à la Rolex, ce n'était pas un hasard en effet : le bling-bling de la première partie du quinquennat, c'était bien dans la même lignée de l'arrivisme triomphant.
Une série de meurtres ininterrompus depuis presque 5 ans maintenant : "guerre en Corse. Cinquième année. Toujours aussi sanglante. Depuis 2006, les cadavres s'accumulent. Près d'une cinquantaine selon les décomptes des services de police, qui ont bien du mal à enrayer la vague. Et la violence a franchi un nouveau cap le 21 avril, avec l'assassinat de Marie-Jeanne Bozzi sur ses propres terres. Vers 16 h 10 ce Jeudi saint, l'ancienne maire UMP de Grosseto Prugna-Porticcio descend de son véhicule, garé sur le parking du centre commercial de la commune. Deux hommes en scooter, casqués, débarquent et tirent. En plein jour, sous le soleil. Huit impacts de balles de 9 mm : une exécution. Et un émoi immédiat. "La prochaine étape ça va être quoi ? Les enfants ?",s'énerve l'avocat de Mme Bozzi, Dominique Mattei" écrivait LePoint au 4 avril dernier encore.
Là, en effet, on commence à tout relier, entre équipe de jeunes au dents longues et à la Kalachnikov facile, et les plus vieux, qui n'ont en fait jamais vraiment raccroché. Eux, les nostalgiques des années d'or, et leurs liens si particuliers avec la police. Dans l'inventaire de ce qui est reproché à Michel Neyret, celui qui aurait passé le coup de fil à Tepie, il y a également des montres de valeur de citées. Ce qui laisse pantois certains de ses collègues de l'administration, au sujet de l'idée du "flic à l'ancienne" : "J’en ai assez de ces clichés sur le flic à l’ancienne, s’énerve un haut fonctionnaire. Est-ce qu’on accepte une montre Cartier à 28 000 euros quand on est numéro 2 d’un service régional de PJ ?
Lortal, le perpignanais, vieil habitué du trafic, qui nous ramenait une fois encore... à la French Connection : "Dominique Lortal, 52 ans, cerveau du réseau, domicilié dans un très chic appartement de la rue du Ranelagh à Paris XVIe, mais également propriétaire de villas à Sofia en Bulgarie ou à Las Vegas aux Etats-Unis. A ses côtés, Guy Teboul, 66 ans, logisticien chargé de créer et de gérer l'entreprise fictive installée sur le port d'Anvers, qui devait récolter la marchandise, Claude Tur, 49 ans, un associé au casier judiciaire chargé et installé en Espagne, mais aussi deux ressortissants italiens, Giovanni Civile et Umberto Naviglia, proches de la Camorra napolitaine, ou encore un certain André Lajoux, 67 ans aujourd'hui, impliqué dans la French Connection dans les années 1970…" Le trafic découvert par les policiers niçois provoquant un bel effet papillon au Pérou quelques semaines plus tard. "C'est ce que la théorie du chaos appelle l'effet papillon : une « simple » information collectée il y a des mois à Nice, par la brigade des stup', vient de se solder, à 10 000 km de là, au Pérou, par un gigantesque coup de filet. Parmi la centaine de suspects interpellés figurent même un proche de l'ancienne ministre de la Justice de ce pays et l'insaisissable maire de Pucallpa. Il s'agit de la plus importante opération de lutte contre le blanchiment d'argent issu du narcotrafic conduite au Pérou. Baptisée « Anguila », elle porte sur des millions de dollars. (....) Quels sont les liens secrets qui pouvaient bien unir ce maire d'une commune agricole du Pérou, riche comme Crésus, un Perpignanais fiché au grand banditisme, mais au casier de premier communiant, un « capo » de la mafia napolitaine ou encore le fils d'un ancien chimiste de la « French Connection » ? C'est précisément ce qu'a permis d'établir l'enquête initiée par la PJ de Nice et conduite en collaboration avec l'Office central pour la répression du trafic de stupéfiants (OCTRIS). En fait, cette galerie de portraits semblant tout droit sortie d'un roman de John le Carré constituerait les principaux maillons d'une gigantesque organisation criminelle" écrit fort justement Nice-Matin.
Et ce n'est pas fini, avec cette "vieille équipe" de truands toujours à l'ouvrage : "en mars 2009, un voilier, le Richard II, part en mer pour deux mois direction les Antilles. Le propriétaire du bateau, Yves Castellano, prévenu de 63 ans, reçoit début mai un appel au large du Cap Vert. « Les musiciens doivent commencer à jouer de la musique vers 19h », révèlent les écoutes. « Les musiciens, c'est pour agrémenter l'inauguration de la marina, ironise le juge devant Davigny. Mais sur les écoutes durant un an, on ne parle jamais de restaurant ». « On ne parle pas de drogue non plus », réplique le prévenu. « Mais vous parlez de « musiciens », tranche le juge. Le voilier est finalement intercepté fin mai en haute mer par la Marine nationale. Aucune drogue n'est trouvée à bord. Mais trois jours après, Castellano confie au téléphone à son épouse avoir eu « de la chance ». Davigny parle, lui, de « miracle ». « On a essuyé une tempête », justifie-t-il devant le tribunal. À leur retour, de nouveaux rendez-vous ont lieu entre Davigny et Girard, juste avant leurs arrestations. Mais si les trois hommes nient tout trafic, la compagne de Davigny confie, avant de se rétarcter, qu'ils devaient « charger une cargaison de cocaïne ». La compagne citée vs'appelle Alexandra Chrysokoides. Ou est passée la cargaison ? Par dessus bord, peut-être bien, comme c'est souvent le cas si les trafiquant ont le temps de le faire. Or ce fameux Castellano, propriétaire du bateau, est associé à Franck Salimo et Christophe Petrillo, et travaille pour André Davigny, ancien boxeur condamné pour trafic de stupéfiants qui lui-même travaille pour François Girard, dit "Francis".
Ce Girard est un cas en lui-même : lors de son procès il décrira une vie plutôt surréaliste, à gagner 5 000 à 6 000 euros par mois... à ne rien faire, ou tout comme, tout en gérant une Brasserie en Espagne. "Girard a une Rolex au poignet. Un appartement à Marseille, où le décorateur a « carte blanche » pour les travaux. Une brasserie, le Croco d’Ile, sur le port de Fréjus. Il a aussi bien des projets. Ces machines à sous en Espagne ? « C’est légal là-bas, M. le Président ! Même dans les épiceries, vous pouvez mettre des barraques à sous. » L’achat d’une brasserie à Saint-Sébastien ? « Avec un ami qui est dans le Bordelais, on avait le projet de prendre une belle affaire, il avait engagé un immeuble à lui. » Le passage à la Jonquera et au Perthus, fin 2008 ? « J’ai un ami qui voulait acheter de l’alcool pour son bar des Sports. » La commande de 1200 bouteilles de château Montesquieu ? « On voulait voir s’il n’y avait moyen de descendre du Bordeaux rosé dans la région marseillaise. » Le président s’étrangle : « Et à Paris, vous invitez un ancien avocat à la Maison du Caviar, où le premier menu est à 380 € ! » Girard grimace, et répond, véhément, en faisant des grands gestes. « Je vais pas vous dire que je vis avec la retraite. J’ai mon frère qui m’aide, avec lui, on avait un cercle (de jeu NDLR). J’ai des amis d’enfance que j’ai aidé dans ma jeunesse et qui ont le souvenir de s’en rappeler (sic). » Le procureur : « Vos revenus mensuels ? » Girard : « C’est à la fortune du pot, selon ce que mon frère et mes amis me donnent. 5 000, 6 000... » Incroyable scène de prétoire ! Girard, malade (il a été opéré cinq fois du cœur), il avait oublié de le dire, avait aussi bénéficié en 2005 d’une mise en liberté pour motifs médicaux qualifiée par la presse "d'inespérée" ; puis avait rejoint la prison pour ne pas avoir respecté la surveillance qui lui était imposé de ne se rendre dans les Bouches-du-Rhône et le Var. Mais gérait donc sa Brasserie espagnole sans qu'on n'y trouve à redire aux services fiscaux ! Il faudra attendre le 9 mai dernier pour le voir écoper de 10 années de plus, ses complices héritant de peines inférieures...
Ce sont donc bien les mêmes, avec les mêmes procédés, qui sont à l'origine de l'envoi de la coke à Neuilly, et ce sont bien les mêmes qui étaient passés au travers du filet à plusieurs reprises, grâce à des soutiens évidents au sein de la police mais aussi de la magistrature (ou disposant d'avocats-conseils bien intentionnés) "Abdallah Tahraoui, le vieux complice de Tepie, aurait de son côté monté un réseau dans les Caraïbes et disposerait d’un stock de drogue dans les DOM-TOM. Pisté par les stups français jusqu’en République dominicaine, il a miraculeusement échappé à un coup de filet." Tiens, encore un, ou plutôt le même procédé (provenant du même policier ?). « Quand nous sommes arrivés, son repas était encore chaud. Il avait été averti » précise à la presse celui qui avait tenté de l'arrêter. "Une « chance » insolente pour le trafiquant, à l’image de son copain et complice, Tepie. Vendredi à Neuilly, et malgré une saisie de drogue spectaculaire – estimée à près de 7 millions d’euros–, les enquêteurs sont passés une fois de plus à deux doigts d’une arrestation de prix. Car ils ne sont pas nombreux, dans cette spécialité, à avoir l’envergure permettant de trafiquer de la cocaïne dans de tels volumes. « A ce niveau de trafic, analyse un enquêteur spécialisé, on retrouve toujours les mêmes, parce que les connections ne s’inventent pas. Personne ne peut acheter 100 kg sur sa bonne mine… » Comme personne ne peut commanditer comme ça du jour au lendemain un Boeing entier bourré de coke...
On relève tout de suite un "détail" intéressant : à l'autre bout, les policiers portugais ont arrêté le comité d'accueil prévu pour le Bebop. Et dedans, il y a un inévitable corse : "c'est, apparemment, parmi le groupe interpellé au Portugal que se trouvait un ressortissant corse. Ce dernier, après avoir indiqué qu’il n’était qu’un ami « de passage », aurait finalement joué un rôle bien plus important que celui de simple ami. Au point qu’il a même été demandé à la PJ d’Ajaccio d’auditionner, dans la cité impériale, un proche de ce ressortissant corse. Après quelques heures de garde à vue, l’homme entendu à Ajaccio, a finalement été relâché sans qu’aucune charge soit retenue contre lui". Un relâché, mais l'autre corse reste retenu par la police : "En revanche, « l’Ajaccien qui a fait l’objet d’une interpellation, dans le cadre du coup de filet réalisé, fait effectivement partie de cette équipe spécialisée dans le transport de cocaïne à une échelle internationale, reconnaît Claude Bellenger, le procureur de la République près du TGI de Fort-de-France que nous avons pu joindre, hier. Les deux skippers du voilier ont été placés en détention, vendredi, en Martinique pour exportation en bande organisée et association de malfaiteurs ». On retombe sur nos amis passionnés de voyages en hélicoptères !
Et is ne sont pas nombreux non plus, en effet, à pouvoir aussi amener 6 à 10 tonnes de coke en plein désert ou à la faire venir de St Domingue. On pourrait donc facilement en conclure que ce sont aussi les mêmes qui s'occupaient des Antilles et du désert : le réseau que je vous décrit depuis plusieurs épisodes ne fait qu'un, en définitive, ou presque. "Les enquêteurs de la police des polices essaient de comprendre la nature des liens qui unissent Michel Neyret et Gilles Tépie, un trafiquant qui avait réussi à échapper à la brigade des stups de Paris après que ceux-ci eurent mis la main sur 111 kilos de cocaïne dans un appartement de Neuilly-sur-Seine en novembre 2010. Des écoutes font état de conversations entre Neyret et Tépie qui aurait réussi à prendre la fuite vers Dubaï après cette affaire selon quelques sources policières qui donnent cette information". On retrouvera Tepie après 6 ans de cavale.... au Venezuela, devenu Ramon Zerpa, en train de s'apprêter à continuer en tête de pont ce qu'il faisait en métropole. Une arrestation en date du 6 juin 2011, qui a dû elle aussi peser sur le cas Neyret, tant elle correspond en dates (si Tepie s'est mis à parler à son retour en France, le temps de vérifier avec les bandes magnétiques d'écoute, et le dossier Neyret était riveté). Mais un cas dont on a peu parlé, comme si l'on ne voulait pas mêler le super flic Neyret à cet immense réseau. Sur lui, à Caracas, Tepie avait une carte d'enquêteur international des Nations-Unies... le journal France-Antilles qui relatait son arrestation évoquait les 20 années de prison qu'il risquait au Venezuela, mais de façon plutôt optimiste pour lui : "même en prison, il semble que Gilles Tepie dispose de relais précieux dans la région". Un second Walter en perspective ?
Le résultat, aujourd'hui, est là. Il est catastrophique, quant aux quantités de cocaïne qui déboulent en Europe aujourd'hui. Une deuxième French Connection a été mise en place. (une troisième, historiquement, la première datant des années 1930 avec Carbone et Spirito !). Selon "Capital","le marché européen de la cocaïne rattrape presque celui des USA : "quatre fois moindre il y a dix ans qu'en Amérique du Nord, la valeur annuelle du marché en Europe est passée à 33 milliards de dollars pour presque rejoindre celle des Etats-Unis (37 milliards). Deux tiers des utilisateurs de cocaïne en Europe vivent dans seulement trois pays, Royaume-Uni, Espagne et Italie, a souligné Youry Fedotov, directeur exécutif de l'Organisation des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC)". Une drogue qui rapporte plus ici, désormais, qu'aux Etats-Unis, et qui se revend facilement, tant l'effet de "drogue people" fonctionne, l'argent créé aboutissant invariablement dans des machines à laver l'argent sale appelées... banques. A l'heure actuelle, c'est l'Espagne qui fait figure de grand argentier... mais cela nous le verrons plus tard si vous le voulez bien...