Coke en stock (XCII) : direction le Brésil

par morice
samedi 25 avril 2015

Il nous reste encore un avion, dont des lecteurs attentifs ont signalé l'absence dans la série. En fait d'absence, c'est un oubli volontaire de ma part, car cet appareil nous amène ailleurs que dans les pays visités jusqu'ici. Le Brésil, jusqu'ici épargné par mon enquête, pour une raison simple : je ne peux pas tout évoquer, et il faut bien mettre des sujets en retrait, pour mieux les traiter après, d'autant plus que ce pays est un arrivant plus récent que les autres dans la course à la production, même s'il sert depuis plus longtemps de relais, comme le fait le Venezuela. Sao Paulo sombre dans le crack, pourtant, car c'est le produit le plus abordable. Dans le pays, c'est en effet la consommation qui a fait un énorme bon en avant... hélas. Tout le monde le confirme. Il faut bien aller chercher la drogue... au Venezuela ; ou bien la porter... au Mexique, dans ses pays limitrophes. C'est à quoi s'échinent plusieurs pilotes.

Revenons donc sur notre appareil "oublié". Pas par notre désormais célèbre ministre Padrino, il est vrai, qui en avait fait aussitôt un tweet, comme à son habitude, dès le 10 avril 2014. Affirmant selon lui de façon bien prétentieuse que "les narcotrafiquants ne respectaient pas la souveraineté du pays", sous-entendant que l'avion, encore une fois, avait été abattu...  Le communiqué paru dans le Latin American Tribune le 12 avril 2014 suivant était lui ainsi rédigé : "Brasilia - Un jet privé qui a décollé du Brésil et est entré dans l'espace aérien vénézuélien avec son transpondeur désactivé a été intercepté par la force aérienne de la nation andine,a déclaré vendredi l'armée brésilienne. L'avion, un Learjet 25, a quitté le Brésil jeudi sans plan de vol approuvé (...) À un certain moment entre le décollage et l'entrée dans l'espace aérien du Venezuela, le transpondeur de l'avion a été désactivé, en violation des règles de l'aviation internationale, selon la déclaration. Les forces armées vénézuéliennes ont forcé l'avion Learjet à atterrir sur le soupçon d'être utilisé pour des « activités illicites », a déclaré la force aérienne du Brésil. Les autorités brésiliennes enquêtent sur les occupants de l'avion, a indiqué le communiqué". Sur le blog de Padrino, certains s'étonnaient déjà de ne pas voir d'immatriculation, d'autres évoquant déjà le fait que l'appareil s'était posé et avait été incendié après....

Un bloggeur moqueur retrouvait vite l'appareil, le Learjet 25D PT-OHD brésilien, un avion ancien (il date de 1979, c'est l'ex : N712RW, N712SJ, N55DD, N55MJ) photographié ici également en 2007 à Florianopolis, sur l'île de Santa Catarina, ici dans une plus ancienne livrée d'une bonne dizaine d'années. L'appareil aurait décollé le 10 avril du Belem/Val-de-Cans-Julio Cezar Ribeiro International Airport (ici en photo à cet endroit) . L'avion n'avait pas été enregistré depuis le 21 octobre 1998, la dernière fois chez Superjet Aerotaxi Ltda, une firme effectivement installée à Florianopolis, sur l'aéroport local d'Hercilio Luz. L'avion appartiendrait à un dénommé Valdir Coronel Salinas, et l'avion serait en fait parti de Breves, exactement, une piste de décollage située a 222 km de Belém et aurait survolé la Guyana, donc pour se rendre au Venezuela. Dans ses registres, le petit Learjet référencé 296 a appartenu aussi à Tupy Taxi Aereo Ltda, détenteur d'un M-8 Mitsubishi. L'appareil est surtout apparu en janvier 2014 comme étant en vente, à Fioranopolis, dans l'Etat de Santa Carina, au prix de 900 000 dollars. 

Notre vaillant ministre vénézuélien Padrino avait déjà tweeté l'arrivée d'un autre appareil du même type, un Learjet 35 cette fois, à moteurs Garrett TFE731-2 à la place des General Electric CJ610 du modèle précédent. La photo qu'il avait alors tweeté était plutôt étrange : on y voyait deux colonnes de fumées sortant tout droit de hublots cassés, l'avion étant encore sur ses roues, posé près de San Fernando de Apure. Il en avait fait également une intervention télévisée, montrant l'appareil saisi selon lui le 30 novembre 2013. L'intervention mêlait en diapositives deux avions, un Beechcraft 90 et un Learjet, dont on montrait l'immatriculation bien visible : N175BA. Or on pouvait facilement se rendre compte que ce n'était qu'un faux numéro, fait rapidement au ruban adhésif. Un numéro qui était celui d'un Learjet décommissionné en 1988 !!! le PT-LKQ de Pollux Taxi Aereo Ltd en fait, "scrappé" le 9 juillet 1989. En revanche, des observateurs remarquaient vite les couleurs de l'avion, celle du Learjet PT-XLI (numéro de série 35A-299), qui avait été interdit de vol, n'ayant pas réussi à passer les tests de la Annual Maintenance Inspection (IAM). Un appareil appartenant jadis à la First Security Bank of Utah (Trustee) mais devenu Lider Taxi Aero SA...

Des Learjet brésiliens ? Ce n'est pas ce qui manque en effet, avec la firme Lider, une société de taxi aérien a créé le 12 Novembre 1958 à Belo Horizonte, avec au départ trois petits Cessna 170A monomoteur à quatre places, avant de passer au Beech 18 bimoteur, puis trois Aero Commander 500B et avant d'importer le premier jet d'affaires au Brésil, le Learjet 24, dont elle est devenue le représentant au Brésil. Un homme d'affaire bien particulier lui en acheté... beaucoup. Il s'appelle Nelson Almeida Taboada, c'est le quatrième fils de Joseph Vidal Taboada, patriarche de dynastie de Bahia, et dans un livre dédié à l'imposante famille d'industriels, on le voit parader dans les années 70 dans son premier Learjet, le PT-LBJ. L'homme est un ancien coureur automobile (sur Volkswagen Cocinelle dopée !), qui s'est lancé dans la céramique puis dans l'agriculture extensive à la brésilienne, avec notamment Terra Norte Empreendimentos Rurais e Comerciais S.A, qui occupe d'énormes superficies agricoles, là-bas... L'industriel, qui adore collectionner les diplômes d'honneur, semble avoir énormément d'emprise sur le pouvoir, au point d'obtenir en 2010 une dérogation pour faire voler ses anciens Learjets devenus trop bruyants. Et lorsqu'on découvre le document qui le précise, on reste bouche bée devant le nombre de Learjets lui appartenant :  soient les PT- LQK, PT-LMM, PT-LBW, PT-ISO, PT-OHD, PT-IIQ (mis en vente en 2011 après 11 303 heures de vol et .. 10 142 atterrissages, preuve qu"il évoluait plutôt en "régional", PT-JKQ, PT-LEA, PT-LEN, PT-LKD, PT- LNN, PT-LMS (photographié ici en train de s'amuser ou de démontrer que les pistes de terre ne lui font pas peur, à Cascavel par exemple) et pour finir, dit le texte, l'avion PT-LUZ, à la superbe décoration noir bleu-nuit.. Treize Learjet, dont... notre fameux PT-OHD, pourtant jamais apparu comme enregistré chez Terra Norte !!! Notre industriel se targue d'avoir développé toute une région, en précisant que dans sa plus grande ferme a été construit une piste de 2500 mètres de long ! La "réserve" d'anciens Learjet est donc conséquente au Brésil !!

D'autres appareils se sont posés du Brésil, et ce n'est pas un hasard en effet : le pays est en plein développement. Le marché brésilien en effervescence repose désormais sur un cartel qui lui est propre, qui fait craindre pour la prochaine coupe du monde de 2016, étant donné la violence engendrée et le taux élevé d'armement des trafiquants. La frontière bolivienne étant particulièrement sensible. Mais c'est la géographie et l'histoire du pays qui déterminent ce trafic, orienté à la fois vers le Mexique, mais aussi vers l'Afrique rappelle America's Quartely  : "alors que le géant sud-américain ne produit pas de cocaïne, son vaste littoral de 10, 500 miles (17 000 kilomètres) de frontières faiblement surveillées (plus de la moitié est de la jungle) présente une opportunité intéressante pour les trafiquants. Dix pays partagent des frontières avec le Brésil, dont les trois plus grands pays de la cocaïne pays producteurs (Bolivie, Colombie et Pérou) et l'un des plus grands producteurs de marijuana (Paraguay). En outre, la relation de plus en plus le commerce légitime entre le Brésil et l'Afrique a ouvert un nouveau corridor pour le trafic illicite. Le commerce avec ce continent atteint 17,2 milliards de dollars en 2009. Ce n'est pas par hasard que dans la même année, le Brésil est également devenu le principal point d'origine de cocaïne expédiée à l'Afrique". L'article citant l'Angola et le Nigeria comme points d'expéditions privilégiés.

L'excellent site Insight Crime pointe les faiblesses évidentes du pays dans le domaine de la lutte contre les cartels de drogue :  "le système juridique du Brésil est lent, corrompu et inefficace. En 2012-2013, selon le Global Competitiveness Report du Forum économique mondial, le Brésil est placé 71 sur 144 pays pour son indépendance judiciaire. Seulement 8% des cas d'homicides annuels du Brésil sont résolus, selon les chiffres officiels. Il y a partout un mélange de tribunaux fédéraux et régionaux, que ce soient des tribunaux militaires, pour le travail ou les questions électorales, tandis que le plus haut tribunal du pays est la Cour suprême fédérale (Cour suprême). Les prisons du Brésil sont surpeuplées, avec des détenus gardés dans des conditions terribles. Les plus grands groupes criminels, traite notamment du Red Command et le PCC, ont été fondés dans les prisons. Leurs dirigeants effectuent le trafic de drogue, les enlèvements et les schémas d'extorsion de l'intérieur. Les prisons fonctionnent à 170%t de leurs capacités, avec une population de 550 000 détenus en 2012. On estime de 3 80 000 à 9 500 .000 armes à feu illégales au Brésil, et 5,2 millions d'armes à feu enregistrées. La plupart des armes sur le marché noir sont soupçonnés d'avoir été fournies par l'industrie légale des armes du Brésil, le deuxième plus grand dans l'hémisphère occidental. La disponibilité généralisée des armes illégales a contribué au nombre élevé de décès par armes au Brésil, qui se élèvent à environ 70 pour cent de tous les homicides".

C'est encore InSight Crime qui a révélé en novembre dernier l'organisation du trafic brésilien. L'origine se situait à Sinop, a 503 km de Cuiaba, d'où partaient des avions vers le Honduras, tel celui-ci, un Piper PA-31T Cheyenne II bien reconnaissable retrouvé crashé dans un champ dans la région d'Olancho. A bord, on avait trouvé 600 kilos de cocaïne. L'avion arborait un petit drapeau colombien, alors qu'il présentait un enregistrement brésilien. Un Cheyenne peut emporter 226,7 kg de bagages seulement, au départ, malgré ses 5,73 m3 de capacité d'emport (ici la soute d'un Chieftain). Autrement dit, l'avion était... plein de cocaïne  ! Le procédé était bien rodé  : "La police, qui a commencé à étudier l'organisation en 2011, estime que près d'une tonne de cocaïne a été expédiée chaque mois à partir de la région vénézuélienne de l'Apure, à la frontière colombienne et dominé par les Forces armées révolutionnaires de Colombie, ou FARC, au Honduras au profit des cartels de la drogue mexicains. Le réseau criminel basé au Brésil achetait des avions dans ce pays et modifiait leurs codes d'identification, les adaptaient pour transporter des marchandises et le utilisaient pour expédier des drogues en provenance du Venezuela vers le Honduras. Les avions étaient alors abandonnés. Les membres de l'organisation retournaient ensuite au Brésil sur des vols commerciaux..."

Au Honduras, des jets peuvent aussi faire l'affaire. Et celui apparu de façon totalement inattendue le 15 août 2013 sur l'aéroport de Roatan peut aussi y postuler. "Apparemment, les pilotes ont fait irruption certains règlements aériens internationaux et ont ensuite quitté l'avion sur la piste, donc on a donné l'ordre d'envoyer l'appareil à la base militaire pour la recherche », a déclaré le colonel Javier Barrientos" L'avion est alors effectivement renvoyé et parqué à de la Ceiba, sur la base militaire Héctor Caraccioli Moncada, où il est photographié. Des agents de la Direction de Lutte contre le trafic de drogues et tests de toxicologie seront déployés pour déterminer si des drogues ou d'autres substances interdites ont été transportés dedans. "L'avion poursuivra sa détention pendant la durée du processus de recherche. Les résultats des tests réalisés restent à déterminer ", a déclaré le militaire. Selon l'accusation, le jet de luxe était piloté par Luis Lozano et Mark Gordon Solís, qui ont été détenus à Roatan. Les autorités n'ont pas déterminé leur nationalité, bien que les deux sont des résidents américains" pouvait-on lire. L'avion porte sur le flanc avant, bien visible, le nom de ses propriétaires : l'Aero Group. Il porte l'immatriculation N95IRK. Celui-là, on en reparlera bientôt, si vous le voulez bien...

Un autre appareil aussi, venu du Brésil mérite toute notre attention. Un Beechcraft 90 blanc, doré et vert photographié ici par Luis Augusto B. Fernandes le 6 mars 2009... oui vert, et non bleu comme on peut l'imaginer parfois. On l'avait aperçu à Curitiba Bacacheri, une station balnéaire réputée où l'armée brésilienne avait un aéroport militaire et une base pour former ses cadets (la Escola Paraense de Aviação). Mais ce n'est pas là qu'il deviendra célèbre, mais au Venezuela...  une station balnéaire pour personnes riches, semble-t-il : le 8 nov 2012, un Piper PA-31T2-620 Cheyenne IIXL de Táxi Aéreo Hércules, immatriculé PT-MFW, s'y écrasait un peu avant de se poser à l'aéroport, à Capivara dos Monfron, une zone durale de d'Almirante Tamandaré. A bord, il y avait Leandro Ferreira dos Santos ; un employé de la Brink's ; mort avec les deux pilotes. Un passager, retiré blessé des débris, décédera un peu plus tard. L'avion transportait 5,5 millions de dollars... Et il y en a d'autres encore, à examiner...


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