Historiquement, l’état de Belize en avait déjà vu passer des avions porteurs de drogue. Le 29 août 2003, c’est en effet un Antonov 26, pas moins, qui s’était posé sur une piste de fortune, près de Blue Creek dans l’Orange Walk District avec à bord de la drogue, selon la police locale qui le retrouvera pourtant vide. L’avion, resté collé dans la boue, n’avait pas réussi à redécoller. Avant de devenir avion de transport de drogue, il était enregistré chez Aerocom, sous le numéro ER-AFH et avait été vu au Portugal sous cette livrée l’année précédente. Or c’est une évidence qu’Aerocom a toujours été une compagnie de Viktor Bout, qui aurait donc déjà tâté dès 2003 de transports volumineux de drogue dans le secteur du Golfe du Mexique ! L’avion englué sur place affichait bien un numéro d’enregistrement moldave en tout cas. Bout possédait alors sous le nom de JetLine/Aerocom plusieurs An-26B, L’ER-AFE étant bien un An-26B selon les registres moldaves : c’était un UR-26505 auparavant et même l’ex-CCCP-26505 d’Aeroflot.
Or ce qu’il y a de très étrange, c’est que cet appareil avait été déclaré « endommagé au-delà de réparations » le 23 décembre 1981 dans un accident survenu à Eniseysk ayant coûté la vie aux deux membres de son équipage ! Tout cela conduit à une seule conclusion : Viktor a très certainement tâté dans le secteur du transport de drogue, avec cet exemplaire si proche de ses immatriculations favorites. Aerocom avait déjà été pris dans des livraisons illégales au Liberia de Charles Taylor, faites par l’exemplaire ER-AWN, vu régulièrement a Kinshasa depuis septembre 2003. Le 6 août 2004 les autorités retiraient la licence de vol à Arerocom, qui devient alors l’obscure Asterias Commercial, basée en…Ukraine ! Bout a toujours joué avec les numérotations de ses appareils, on le sait : en juillet 2004, un avion portant le registre EL-WVA a été vu à l’aéroport de Kongolo au Congo, transportant armes et munitions : or en juillet 2002 un Antonov An-8 avait été vu à Kalemie au Katanga portant exactement le même numéro ! Quel est donc ce ER-AFE, mystère… mais tout laisse entendre qu’il a bien appartenu à Viktor Bout. Or au même moment, ce dernier a été recruté par les américains pour effectuer des norias pour approvisionner l’Irak, envahie le 20 mars 2003. Le 9 janvier 2007, un antonov moldave ER-26068 s’écrasait sur la piste de Balad, avec 29 turcs à bord et 1 américain, très certainement abattu par un tir de missile automatisé. Il était d’Aeriantur-M Airlines, encore un autre paravent de Viktor Bout.
Le 5 septembre de la même année c’était cette fois un Beechcraft Queen Air près de la piste d’Hector Silva Airstrip à Belmopan. L’avion avait été « strippé », complètement vidé de ses sièges, portait un registre américain et avait endommagé son train lors de l’atterrissage. En 2002, l’armée anglaise avait apporté son soutien à l’agrandissement de la piste de Belmopan pour les plus gros porteurs… tels les C-130 ! Officiellement pour faciliter l’arrivée de l’aide humanitaire en cas de besoin. L’inauguration avait eu lieu le 24 mai 2002. Les deux appareils saisis avaient mis en vente par l’Etat, mais sans succès pour l’Antonov, resté à rouiller au même endroit et encore visible là en 2009 encore.
Ça redémarre cette fois le 15 avril 2010, par un de ces « wet drops », les largages de cocaïne d’avion au dessus de lot, dans des fûts insubmersibles voire de simples sachets. Mais là, c’est un largage inattendu, l’avion retrouvé devant au départ se poser sur une étroite bande de sable en front de mer. C’est cette fois devant le récif de corail du Lighthouse à 24 miles à l’est de la capitale, Belize City. Mais ce soir-là, pour une raison indéterminée, l’opération se passe mal et l’avion plonge dans l’eau. Le lendemain, un des pêcheurs du coin envoie au port le message connu « Loto de mer découvert », ce qui signifie qu’il vient de tomber sur des sachets de plastique contenant de la coke. Sur les raisons du crash, le mystère subsiste : « la bande de sable était bien éclairée par les lampes solaires ou peut-être même alimentées et le ou le pilote a juste mal jugé sa hauteur et sa vitesse, pense-t-on. Il semblerait que ceux qui l’attendaient n’étaient pas préparés et mal équipés pour un accident marin, des opérations de sauvetage ou de récupération de nuit impliquant une plongée sous-marine et peuvent avoir abandonné leurs efforts avec la pointe du jour. Ou peut-être qu’ils ont été effrayés par le malheureux accident. De toute façon le corps d’un homme présumé être le pilote a été retrouvé par un pêcheur en vacances le vendredi, flottant à proximité du récif (…) Le pêcheur et son collègue n’avaient apparemment pas remarqué les débris et ont quitté les lieux à la recherche de la découverte d’autres corps, tandis que la police commençait son enquête. Quand ils sont revenus le lendemain dimanche, c’est alors seulement qu’ils ont découvert l’épave de l’appareil ».
Pour ce qui est du type d’avion, ce n’est pas un bimoteur mais plutôt un de ces Cessna 208 Caravan à caisson ventral, modèle habitué des pistes de Belize (comme ceux de Tropic Air – qui a lu aussi eu des déboires- ou de Maya Island Air) : « des témoins de la région qui ont vu l’avion pendant les trois jours où il est resté dans la mer a dit que c’était un petit avion blanc avec un seul moteur. Le moteur s’est détaché du fuselage, et a plongé dans les eaux profondes de près de 20 mètres. Les pêcheurs de passage de la zone autour de 10 heures de la nuit le mardi 6 avril, ont rapporté avoir vu les phares d’atterrissage de la piste éclairant la piste d’atterrissage privée sur l’île. Il semble que l’appareil a dépassé la piste et a atterri dans la mer où il s’est immergé, à la pointe sud de l’île. Peut-être aussi qu’il manquait de carburant, disent certains ». Le plus étonnant de l’histoire, c’est la découverte que vont faire les médecins légistes sur le corps récupéré : ce n’est visiblement pas celui du pilote : son autopsie révèle qu’il a été tué, et probablement torturé avant. Et qu’il était bien mort avant de plonger dans les eaux : ses poumons ne contiennent pas d’eau ! Belize est bien sur le chemin d’un mafia violente. Et comme telle, on cite déjà la « Fonseca Organization ». Et une surprise de taille avec la présence dedans d’un ancien ministre et même d’un ancien premier ministre du pays, Ralph Fonseca et de Robert Hertular, déjà extradé aux USA pour l’exportation de 6 tonnes de cocaïne ! La presse retrouve dans les jours qui suivent un bateau non enregistré qui était resté la nuit au bout du terrain d’atterrissage où s’était crashé l’avion. Le bateau appartient à un dénommé Damien Chamberlain, le directeur de Belize Engineering Co. Ltd. Le lendemain du crash, l’arrivée inopinée et filmée du directeur de la police, Doug Singh, discutant avec lui avant de repartir laissait aux quelques observateurs présents une drôle d’impression.
Et ce n’est pas encore fini. En 2010 toujours, on tombe dans l’incroyable fait divers : le 13 novembre de cette annnée, les habitants de Punta Gorda, dans l’Etat de Belize, entendent en pleine nuit un avion raser les toits de leurs maisons. Quelques minutes plus tard, l’appareil s’est posé, semble-t-il sans encombre, près du village de Bladden, à Sarteneja. Et comme il n’y a ni aéroport ni piste de terre, il ne s’est pas trop embarrassé : il s’est tout simplement posé sur l’une des autoroutes du pays ! Incroyable scène !
L’endroit bordé de plantes et de buissons divers, l’engin a gardé sur son aile gauche un beau souvenir des lieux : au bout de son aile, à l’emplacement du winglet, une bonne touffe d’herbes hautes est restée coincée. L’appareil est plutôt imposant : c’est un gros Beechcraft Super King Air 200 immatriculé grossièrement N786B avec des numéros auto-colllants mal découpés. Un avion ressemblant comme deux gouttes d’eau, aux couleurs près, à celui volé au Honduras le 7 novembre précédent sur la base aérienne militaire de Armando Escalon à San Pedro Sula, au Honduras. Un avion…. saisi aux trafiquants en 2008 ! Sur la base hondurienne, pas moins de 19 soldats avaient été impliqués dans le vol de l’avion ! L’appareil a subi le même sort que d’autres : il a été maquillé, son arrière a été peint en bleu, alors que les lignes sur le fuselages ont gardé leur élan initial : c’est bien un détournement de son graphisme initial ! Et c’est aussi le remake de l’opération faite au Nicaragua le le 26 novembre 2004. Un Beech 200, retrouvé vide, les bidons d’essence à l’extérieur… l’avion aurait contenu 1200 kg de cocaïne. A Punta Gorda, le comble, en prime, c’est qu’il y a bien un petit aéroport !
L’avion, à l’intérieur, a été complètement dénudé, et tout autour de lui ont été jeté des bidons vides, contenant certainement de l’essence : le schéma bien connu des trafiquants venant de loin. Les pilotes, dans le cockpit, marchaient au RedBull, dont on retrouve un bon nombre de canettes vides dans l’avion. Autour de la route, des balises alimentées par pile ont indiqué l’endroit de l’atterrissage. Mais ce n’est pas tout.
La police de Belize, prévenue par les habitants, et vite arrivée sur place. Elle va faire très rapidement des découvertes fondamentales. Elle intercepte tout d’abord un premier van, tout prêt de la zone d’atterrissage, au San Juan Bus Stop. Dedans, des… policiers, attachés à peu près tous à la lutte antidrogue ! Renel Grant, travaillant au service du traffic de Belize City ; Nelson Middleton, le chauffeur du Gouverneur Général, Lawrence Humes, de la Belmopan Police Station, Jacinto Roches, de l’ Internal Affairs Desk de Belmopan, et un pêcheur, Harold Usher, travaillant au Customs Department.
Un peu plus loin, seconde prise : un van blanc contenant trois bidons de plastique de 17 gallons (64 litres), trois de 500 gallons de kérosène (1892 litres !), tous vides, et trois pompes à essence. Elle retrouvera aussi jeté dans les fourrés un GPS Garmin, un téléphone satellite Iridium, 4 radios portables, deux flashs Rayovac, des lampes clignotantes Atlas, comme celles fixées sur une planchette en travers de la piste et une M4 Colt 223 appartenant à Harold Usher, plus un magasin supplémentaire de cartouches de 5,56 et des vestes de camouflage. Et même 12 cônes de chantier pour marquer l’interdiction d’utiliser l’autoroute : ils avaient décidément tout prévu !
Et également à bord de la seconde camionnette, 8 gros paquets de 30 kgs chacun plus 17 paquets de cocaïne, pour un total de 5704 livres, soit 2 604 kilos, la plus grande saisie jamais faite sur le territoire de Belize (or la cargaison de l’Antonov, qui s’était évaporée !) ! Toutes les plaquettes de coke sorties des paquets sont estampillées d’un scorpion, la marque d »un des cartels colombiens. Celui d’Henry Loaiza-Ceballo, du cartel de Cali, et son surnom « El Alacran », qui signifie… le scorpion ! Au bas mot, il y en a pour 57 millions de dollars de marchandise. Intrigue supplémentaire : ce soir-là, pour beaucoup de résidents, il n’y avait pas eu un seul d’avion entendu… mais deux ! Loaiza-Ceballo était le responsable du Massacre de Trujillo, dans la partie sud de la ville. De 1998 à 1994, on pense que plus de 300 personnes sont mortes et ont été torturées. La plus connue des exactions étant l’émasculation et la décapitation d’un prêtre, le père Tiberio Fernandez, un jésuite. Un massacre dû aux paramilitaires d’extrême droite, auxquels s’étaient mêlés un autre mafieux, Juan Carlos Ortiz Escobar, alias « The Knife. »
Le lendemain du crash, un étrange ballet allait apparaître au Philip Goldson International Airport. Un petit bimoteur immatriculé TG-MCA contenant 5 colombiens atterrissait. 4 jours plus tard il redécollait, sans ses passagers mais un deuxième appareil au registre TG-MOR le remplaçait, pour reprendre les 5 colombiens, direction… le Guatemala, où les avions étaient enregistrés ! Quelques jours avant, les autorités de Belize avaient arrêté à San Ignacio Ottoniel Turcios Marroquin, chef de cartel guatémaltèque, qui vivait tranquillement à Belize… La filière colombienne passe aussi par le Guatémala ! Le 3 mars 2010, la police guatémaltèque arrêtait deux responsables du trafic : le chef de la police locale, Baltazar Gomez et l’homme à la tête de la division anti-drogue, Nelly Bonilla… ils avaient revendu la cocaïne que leurs services avaient eux-mêmes saisis ! Turcios Marroquin étant leur donneur d’ordres. Le pays doit faire face à une violence endémique dont l’origine s’explique facilement : c’est le contre coup de la guerre des gangs mexicains. Au moment où Gomez et Bonill étaient arrêtés, l’ancien Président du pays en personne, Alfonso Portillo, mêlé à l’affaire, et surtout au blanchiment de l’argent, avait tenté de s’échapper… vers l’Etat de Belize ! Il avait été capturé de justesse en janvier 2010. « Alfonso Portillo, président de la république de 2000 à 2004, était a la tête d’un gouvernement considéré comme le plus corrompu de l’histoire du Guatemala. Il est accusé d’avoir transformé le bureau de la présidence en un guichet automatique personnel. » nous dit Patrice Gouy de RFI. L’argent, la drogue et les personnes politiques très haut placées : ceci à un bout des expéditions dirons-nous : logique de retrouver le même schéma en Afrique de l’Ouest, donc.