Coke en stock (XXXIV) : le souvenir de George Doole Jr et ses « Shy Airlines », le bombardier pour VIPs
par morice
lundi 4 avril 2011
Et puis il y a eu derrière tout cela une énigme véritable. Un seul homme, resté inconnu très longtemps et mort fort discrètement en 1985. George Arntzen Doole, celui qui est à l’origine, entre autres, d’Air America. Son nom est aujourd’hui gravé sur une plaque, fixée à un hangar en plein désert de l’Arizona, à 90 miles de Phoenix. L’inventeur de la « Shy Airline », la compagnie d’aviation qui n’ose pas dire son nom : le surnom donné aux avions de la CIA. Ses avions ravitailleront les 30 000 hommes luttant contre le Pathet Lao, largueront d’altitude les fameux paras vus dans l’épisode précédent au dessus de la Chine ou aideront les séparatistes indonésiens en toute discrétion. Ce n’est qu’avec l’article paru dans Time le 7 avril 1986 qu’on s’apercevra de son existence et du rôle vital qu’il a joué pour les Etats-Unis. Bienvenue au roi de l’ombre et des coups bas de tout un système qui, sous couvert de démocratie, s’est permis bien des excés.
Doole avait en réalité tout inventé : la dilution dans un nombre conséquent de petites sociétés se refilant les avions entre elles, pour éviter d’en retrouver le propriétaire véritable en cas de crash, par exemple, et les camouflages récurrents avec changement régulier de numéros de queue des appareils : Doole, en ce sens, était tout simplement le précurseur de Viktor Bout, qui lui doit donc tout. « Officiellement », raconte Time dans ce passionnant article, « la CIA affirme qu’il n’a pas de casier comme quoi Doole a déjà travaillé chez eux, mais parmi les anciens de l’agence, il est une légende. Opérant à partir d’un petit bureau quelconque sur Connecticut Avenue, il a fondé et dirigé un vaste réseau de compagnies aériennes que l’agence utilisés pour mener à bien ses opérations secrètes partout dans le monde. Appartenant à une société holding, Pacific Corp, elle-même une façade de la CIA, l’empire Doole a inclus Air America, Civil Air Transport, Southern Air Transport, Air Asia et des dizaines de toutes petites lignes « pour sauter au dessus des flaques d’eau ». Ensemble, à leur apogée dans le milieu des années 60, ces société liées à la CIA formaient une compagnie aérienne qui avait presque la taille de la TWA, employant près de 20 000 personnes au total (autant que la CIA elle-même) et exploitait quelque 200 avions. Même la CIA n’était pas sûre exactement de combien elle en possédait. Interrogé un jour par le directeur adjoint Richard Helms de savoir le nombre d’avions tous la direction de Doole, un membre du personnel a passé trois mois sur le projet avant d’avouer qu’il ne pouvait être sûr que pour 90% d’entre eux seulement. Doole était constamment en train de louer ses propres avions entre ses sociétés, de changer leur noms et leurs numéros de queue ». Il n’y a pas : Viktor Bout a bien tout appris de lui !
Après avoir été à l’origine d’Air America, George Arntzen Doole avait été le premier en 1971 à créer sa société privée : Evergreen, qui a racheté en 1975 Intermountain Aviation (Pacific Corporation, la société privée paravant de la CIA ayant créé Southern Air dès 1947). Les deux sociétés de Doole étaient situées en Arizona. En 2009, on se souvient soudain de ce qu’elles ont pu faire durant les années précédentes. « CBS News, dans un reportage diffusé dimanche, a déclaré que des compagnies aériennes du Delaware,de Floride et d’Arizona ont effectué des missions de la CIA en Amérique centrale à plusieurs reprises. Le réseau a effectué une mission le 9 avril 1983, lorsque Southern Air Transport de Miami a transporté 22 tonnes d’armes légères à une base militaire du Honduras sur un avion de transport Hercules à hélice avec un équipage spécial ». Au Nicaragua, Evergreen, avait effectivement été bien présent, pour servir de relais aux forces spéciales déployées discrètement et les rapatrier, souvent en deux étapes. « Au moment même où le travail des hélicoptères a commencé au Salvador, deux anciens pilotes d’Evergreen ont affirmé, qu’on leur a demandé de voler au Nicaragua pour ramasser certaines personnes pour les ramener à Houston. Comme l’indique Smith, un ancien pilote de Learjet privé, le plan prévu était de voler à bord d’un DeHaviland Twin Otter (un avion de type STOL) sur une piste en herbe au Nicaragua vers environ 5 h du matin, puis d’emporter les personnes vers une route où un Lear 24 pourrait les attendre, toujours à l’intérieur du Nicaragua, et de les faire monter ensuite dans le jet pour leur retour à Houston « .
Pour tromper le Congrès sur l’usage de ses engins si particuliers, tout un circuit d’achat et de revente avait pourtant été mis au point. Le Mark 26 par exemple a tout d’abord été acheté par Intermountain Aviation en avril 1967, en échange d’un DC6A/B N90784 refilé à Intermountain, et son patron, Hugh Grundy, via une transaction tordue faite par Pan Aero Investment Corporation, une firme installée à Reno. L’engin avait avec lui pour 40 000 livres de pièces détachées, et devait être en service administrativement au premier avril. Les avions volaient au nom du 609th Air Commando Squadron puis du 56th Air Commando Wing installés à Nakhon Phanom, mais les pilotes d’Air America étaient le plus souvent aux commandes : il y avait bien confusion civil-armée.
Et ce n’est pas fini : le N320, ayant appartenu à Rik Luytjes in 1984, il avait disparu tout à coup dans les années 70 pour réapparaître en Floride en 1981, à Opa Locka, Florida, sous le numéro N99426. Il sera partiellement détruit le 24 août 1992 par l’Ouragan Andrew puis reconstruit et acheté par un australien : mais trop corrodé, il ne pouvait plus voler. Il a servi à transporter la coke de Rik Luytjes. Le N4815E de Tallmantz (pour filmer pour Hollywood) puis de Rose Diehl, à Chino sera retrouvé de retour d’Amérique du Sud avec de la drogue, lui aussi, et revendu ensuite à un musée. Le N507WB de Tradewinds Aircraft Supply, San Antonio, puis à Milt Stollak, Burbank, CA, qui sera aussi découvert avec de la drogue à bord. Le N60XX d’Occidental Chemical Corp, Los Angeles, devenu N60XY, fera le trajet Beyrouth-USA le 13 février 1974 avant d’être découvert au retour plein de drogue… Le N600WB, qui a été vu en France au 10th Reconnaissance Technical Wing (USAFE) deToul-Rosiere AB, France, en juillet 1952 et au 737th Maintenance Group (USAFE), de Chateauroux AB, en France, en mars 1954… sera vendu à Oklahoma Aircraft Corp, à Yukon en 82, et sera ramené à Travis par les douanes après avoir transporté de la Marijuana le 17 mars 1983… Mais aussi le N6836D de Aircraft Associates, Long Beach, CA, soupçonné lui aussi de trafic, le N71Y de Jeremiah S. Boehmer, Grants Pass, OR,devenu N71Y. resté planté au décollage, vide, à Bogota-El Dorado AB, en Colombie. Le N61B vendu à Miami en 1984 et reporté comme crashé durant une opération de trafic. Le N9682C, l’actuel plus vieil Invader (construit le 18 août, 1944), déclaré surplus en 1958, devenu pompier volant, puis revendu… et aussitôt saisi par la DEA pour trafic ! Il vole aujourd’hui dans tous les meetings !
La « génération suivante » de « Shy Airline », des énormes cargos Boeing 747, sera découverte en Irlande, à Shannon par des « spotters » attentifs. Sous le nom de Polar Air Cargo, notamment, une des trois compagnies ayant obtenu de mirifiques contrats avec le Pentagone en septembre 2006 notamment. L’US Defence Department qui a accordé pas moins de 2,3 milliards de dollars (oui, vous avez bien lu, c’est en milliards ! ) au programme CRAF, celui de la « Civilian Reserve Air Fleet » un programme de transports de l’armée pour l’année 2007. Atlas Air Worldwide Holdings, Polar Air Cargo et Federal Express, s’étaient goinfrés la moitié du budget à elles trois. « Il ne fait aucun doute, cependant, que les avions du CRAF font dans le transport d’armes. Dans une récente lettre obtenue par le bureau du sénateur David Norris, le Ministre des Transports, Martin Cullen a donné cinq exemples de vols de Polar Air Cargo ou le gouvernement à accordé des exemptions pour voler avec des armes ou des munitions à travers l’espace aérien irlandais »
Le système des poupées russes d’entreprise inauguré par Doole fonctionne toujours, et dans des proportions inimaginables : Polar Air n’est que le paravent de Southern Air ! « Edwin « Ned » Wallace, un ancien dirigeant de Flying Tigers et d’Evergreen , des compagnies de fret aérien, a agi comme chef de la direction et s’est chargé du marketing et les ventes. Mais Polaris Holding de San Francisco, une filiale de General Electric Capital Aviation Services, est propriétaire de l’avion. Les pilotes ne travaillent pas pour Polar directement. A côté de cela, c’est Southern Air Transport, une société de service de fret aérien basée à Miami, qui s’occupait du côté opérationnel de l’entreprise. En effet, selon Aviation Daily, une publication de l’industrie aéonautique, a indiqué que avait étendu ses opérations en faisant affaires avec Polar Air Cargo. Southern Air -une entreprise ayant eu des liens avec le passé Central Intelligence Agency – devrait continuer à voler sous la bannière de Polar pour plus d’un an, et débarque chaque semaine à Shannon ». Pour mémoire, la société « Flying Tigers » cité avait été fondé par Robert Prescott, qui avait servi en 1940 dans l’ American Volunteer Group (AVG) en Chine, le groupe de mercenaire de Claire Lee Chennault appelé, justement “The Flying Tigers.” Ceux qui feront voler un Zero capturé et en feront un compte-rendu détaillé des capacités de vol que ne lira jamais l’Air Force (je vous en parlerai une autre fois). A Shannon, les C-17 de l’Air Force et même les Galaxy transvaseront régulièrement leur contenu vers Polar Air, et inversement. Le 8 mars 2008, à Shannon, un visiteur particulier sera vu sur place près du hangar Polar Air : le Gulfstream IV, numéro N478GS, un des fameux avions de « renditions », en visite de chargement de kérosène. Le 5 qui précédait c’était le N475LC. Le Boeing N313P transitera aussi par Shannon le 16 janvier 2004, avec à bord l’infortuné Binyam Mohammed lors de son vol vers Rabat puis Kaboul du 22 janvier. Le Gulfstream IV N85VM transportant Abu Omar deRamstein au Caire le 17 février 2003…
Or, comme le note le site, Southern avait auparavant bel et bien été accusé de faire dans le trafic de drogue. « … le 23 Février 1991, la DEA (Drug Enforcement Administration) a relié SAT (Southern Air Transport) au trafic de drogue. Le lien signalait que la SAT a bien été « dans les ’archives » de la base de DEA de Janvier 1985 à Septembre 1990 pour son implication présumée dans le trafic de cocaïne. En août 1990 une entrée dans la base de la DEA aurait affirmé que 2 millions de dollars avaient été livrés à des sites commerciaux de l’entreprise, et plusieurs pilotes de l’entreprise et les cadres ont été soupçonnées de contrebande « de monnaie et de stupéfiants. » … Dans l’aveu de la CIA, la DEA avait déclaré que les pilotes et les cadres de Southern Air Transport – une entreprise ayant des liens avec l’agence datant de 1960 – étaient soupçonnés de blanchiment d’argent et de trafic de cocaïne plus de deux ans avant que l’entreprise ne lance ses services à destination vers Shannon l’aéroport en partenariat avec Polar Air Cargo. » Une firme soupçonnée de trafic de drogue dès 1990 hérite de contrats du Pentagone seize ans après, et deux années seulement après qu’elle ne vole vers l’Irlande, via une société intermédiaire qu’elle contrôle entièrement, et personne ne tique. Le système inauguré par Doole continue à fonctionner parfaitement. Derrière les vols de « renditions » se cachent bien d’autres secrets inavouables.
Une belle brochette d’avions d’Air America ici :
http://napoleon130.tripod.com/id611.html
les avions de Renditions de la CIA :
http://www.statewatch.org/news/2006…
http://www.air-america.org/Articles…