Comment De Gaulle a vendu la France aux États-Unis dès 1945

par Michel J. Cuny
mercredi 16 septembre 2015

Sous le "chaos politique, économique et financier à n’y pas croire" produit ‒ selon le secrétaire général du Quai d’Orsay alors en fonction, Jean Chauvel ‒ par Charles de Gaulle, un phénomène particulier commençait à se manifester : la montée en puissance de Jean Monnet, l’un des pères de la future Europe, et l’intermédiaire privilégié entre les États-Unis et la France.

 Tandis que Pierre Mendès France amusait le tapis, sur les ondes radiophoniques, dans la dernière émission que nous ayons reprise de lui (celle du 24 février 1945), et à l’occasion de laquelle il avait évoqué un "Plan français en préparation", Jean Monnet venait tout juste d’obtenir la signature d’accords de prêt-bail avec Washington, "inespérés" dans leur générosité, selon le commentaire de René Pleven, dès le 19 février, devant le Comité économique interministériel.

Désormais, Mendès France n’était plus rien, pour personne…, mais la prudence recommandait tout de même de ne pas lui couper le micro trop vite. On lui laisserait encore tout le mois de mars…

Plus rien, pour personne : c’est ce que confirment, auprès de Charles de Gaulle, les services d’Hervé Alphand, le secrétaire général du Comité économique interministériel, puisque ces accords de prêt-bail…
« permettent à notre économie de se relever sans qu’elle soit obligée de subir les règles sévères qu’une trésorerie appauvrie serait en droit de lui dicter ». (Michel Margairaz, II, page 792)

Ainsi Pierre Mendès France n’a-t-il plus aucun "droit" de dicter quoi que ce soit aux enrichis par la guerre. Les États-Uniens financeront le déficit… Avec leur générosité ordinaire, on s’en doute, qui revint à se faire ouvrir tous les livres de compte de l’économie française. Encore ne s’agissait-il pas d’une intervention directe de l’État US, mais d’un organisme spécialisé, l’Eximbank, qui accordera enfin, le 4 décembre 1945, à la France un prêt de 550 millions de dollars, à des conditions que Gérard Bossuat, spécialiste du plan Marshall, rapportera en ces termes :
« Après d’âpres discussions, le gouvernement français s’engageait à communiquer au Trésor américain l’état régulier des avoirs publics ou privés en or et en devises, les prévisions de la balance des paiements, celles des investissements et des obligations financières internationales de la France. Les exigences de la Banque étaient nouvelles et purement draconiennes par rapport au Prêt-Bail. Elles furent consignées dans une lettre séparée pour ménager la dignité du Gouvernement face à son Parlement. » (Gérard Bossuat, I, page 40)

Or, comme nous le savons, un mois plus tard, le 3 janvier 1946, De Gaulle créait, pour Jean Monnet, un commissariat au Plan qui serait directement rattaché au président du Gouvernement, de façon à contourner, cette fois encore… le Parlement.

Cf. http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/pourquoi-de-gaulle-a-t-il-tout-169948

Or, ici également, nous pouvons entendre la voix lointaine de Jean Moulin, puisque son ami Pierre Cot déclarerait devant l’Assemblée nationale constituante, lors du débat de ratification des accords de Bretton-Woods :
« Nous aurions trouvé plus démocratique que ce soit un ministre responsable devant l’Assemblée qui soit chargé de la rédaction et de la préparation du Plan », et déplorait le fait de « rattacher à la Présidence du Gouvernement des leviers de commande de plus en plus importants ». (Michel Margairaz, II, page 818)

Or, la suite de la vente de l’économie française à la puissance américaine serait bientôt inscrite dans le programme défini par Jean Monnet qui n’avait plus rien à voir avec celui que Pierre Mendès France avait évoqué dans l’émission du 24 février 1945. Voici ce que nous en dit l’historien de l’économie, Michel Margairaz  :
« Dès janvier 1946, l’objet de la négociation est à la fois énoncé et chiffré : obtenir les quatre milliards de dollars, doublement nécessaires à la mise en œuvre du programme d’importation d’équipements prévu par le Plan et à l’équilibre de la balance des paiements, escompté pour 1950. » (page 818)

De fil en aiguille, nous en arrivons à cette constatation faite par Gérard Bossuat  :
« À partir de 1946, l’économie française devenait transparente aux Américains comme jamais elle ne l’avait été. » (Gérard Bossuat, page 95)

Et c’est dans ce contexte général que Charles de Gaulle a démissionné : l’essentiel était fait, du point de vue du sauvetage des grands intérêts économiques du temps de la collaboration, et de la promotion, pour le futur, des intérêts états-uniens en France. Or, puisque la guerre d’Indochine était engagée depuis septembre 1945, les États-Unis allaient pouvoir y engouffrer peu à peu leur propre impérialisme : ce à quoi finira pas servir l’essentiel du… plan Marshall à la française…

Tandis qu’en Allemagne, il servirait effectivement au relèvement économique dont nous savons en quel "miracle" il s’est traduit. Nous autres n’étions plus, dès lors, que les "cocus" du gaullisme. Avec encore de très beaux jours devant nous, si nous ne sortons pas, d’urgence, de cette mascarade tout simplement criminelle.


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