Comment enrichir la communauté nationale tout en faisant de considérables économies d’énergie ?

par Jean-Pascal SCHAEFER
samedi 19 octobre 2019

Avec des taux exceptionnellement bas, le soutien à la rénovation énergétique à grande échelle n'est plus une option moralement soutenable, c'est une opération financière bénéfique pour tous.

Comment faire tomber la consommation d’énergie, en faisant gagner de l’argent à l’Etat, aux citoyens et en créant moult emplois ?

Très facile : on modifie légèrement l’actuel éco-PTZ, et on prolonge sa durée maximale de 15 à 30 ans.
Voilà, c’est fini. Convaincant, non ?

Bon, j’imagine que vous voulez en savoir un peu plus. Alors, engagez la lecture, et surtout, allez jusqu’à son terme !

Où faire porter l’effort, sur les bâtiments neufs ou sur les bâtiments existants ?

Le bâtiment à lui seul représente plus de 40% des consommations d’énergie en France.

Au sein de ce secteur, 2/3 des consommations concernent les logements, et le tiers restant les bâtiments tertiaires.
Si nous nous concentrons sur les logements, les constructions neuves représentent entre 300 et 400.000 unités par an. Le parc existant représente plus de 30 millions de logements, soit environ 100 fois plus.

Aujourd’hui, la réglementation thermique concerne essentiellement le neuf.

Or, si l’on ne compte que sur le neuf, et en faisant l’hypothèse que le neuf remplace l’ancien, il faudrait quasiment un siècle pour passer le parc en basse consommation d’énergie !

En finir avec les « petits gestes »

Soyons clairs : il ne s’agit pas de faire des « petits gestes » pour économiser l’énergie. Ces gestes sont sympathiques certes, mais se traduisent par un impact médiocre : moins 10%, moins 20 %...tout cela est anecdotique.

On entend beaucoup moins ces temps-ci le fameux « facteur 4 ». Ce terme, populaire à l’époque du Grenelle de l’Environnement, traduisait une ambition de diviser par 4 les consommations d’énergie.

Peut-être aussi manquait-il de réalisme ? A mon sens, le terme lui-même est inapproprié. Nous devrions davantage parler de « diviseur 4 ». L’heure n’est plus aux atermoiements, il faut des actions qui percutent.

J’ai eu l’occasion d’assister à de surréalistes réunions où les ambitions du Grenelle étaient toujours reportées dans le futur, faute de les respecter dans les échéances prévues. Le court terme gagne contre le long terme, la fin de mois se moque bien de la fin du monde.

Au niveau des citoyens eux-mêmes, soyons clairs : les petits gestes enquiquinent tout le monde ; couper l’eau quand on se brosse les dents ne révolutionne rien.

Parfois même, je sais que j’ai pu faire vivre l’enfer à ma famille, en suivant de façon détaillée nos consommations domestiques : « comment, tu as encore pris un bain ? ». Sans que les choses ne changent fondamentalement.

A votre avis, quand un champion de saut à la perche veut battre un record, il vise juste au-dessus, ou il se prend une marge ?
Donc, c’est d’accord ? Mettons-nous en route vers le diviseur 4 !

Comment faire baisser radicalement la consommation des logements ?

Cette question se résume en deux mots : « logement passif ».

Même si les origines sont plus anciennes, depuis la fin des années 90, le label « maison passive » a été finalisé par le PassivHaus Institut à Darmstadt en Allemagne. Il est décerné à des maisons qui ne consomment pratiquement aucune énergie pour le chauffage, et très peu pour le reste des consommations.

Avec une rénovation passive, il est possible de consommer environ quatre fois moins qu’un logement existant. Tout dépend évidemment du point de départ : la performance sera bien plus forte si l’on part d’un logement non isolé que si l’on part d’un logement bien isolé, avec des doubles vitrages récents…

Ainsi, si l’on veut vraiment se mettre en marche vers un diviseur 4, il faut viser le niveau de consommation d’un logement passif.
Accessoirement, un tel logement est aussi adapté aux canicules estivales, car il permet de refroidir le logement avec moins d’énergie qu’un logement traditionnel.

Il faut naturellement tenir compte des bâtiments à caractère patrimonial, pour lesquels une solution d’isolation par l’extérieur est délicate. On pourrait se dire qu’entre la survie de l’espèce et la préservation du patrimoine, un arbitrage douloureux pourrait être fait, mais bon…

Pour ces bâtiments, un niveau un peu moins ambitieux pourrait être imaginé (« basse énergie », par exemple.

Comment gagner de l’argent en économisant de l’énergie ?

Comme dirait Orelsan, Simple, Basique.

D’un côté, on fait des travaux d’économie d’énergie.

De l’autre, on réalise des économies d’énergies (mesurables et mesurées) à la suite de ces travaux.

Si les économies annuelles sont supérieures aux dépenses d’investissement (par exemple, pour payer le crédit des travaux), on est gagnant.

Or, les travaux les plus efficaces, et notamment les travaux d’isolation, ont souvent un temps de retour long, en général entre 20 et 30 ans.

Par conséquent, si l’on veut pouvoir gagner dès la première année, il suffit de pouvoir bénéficier d’un prêt à taux zéro sur une durée supérieure ou égale au temps de retour.

Comment l’Etat peut-il devenir plus riche, tout en engageant une politique de décroissance des consommations d’énergie ?

Aujourd’hui, les taux souverains à 30 ans sont à 0,6 %. Pas encore en territoire négatif, mais pas loin.

En imaginant que l’Etat mette en place des prêts à taux zéro pour rénover les logements sur une durée de 30 ans, l’opération serait rentable pour le pays. Cela aurait pour conséquence une augmentation des recettes de TVA liées aux travaux, une forte baisse des importations d’énergie. Sans même parler de l’amélioration du niveau de vie des ménages, et de l’activité économique dans le secteur du bâtiment…

L’éco-prêt à taux zéro en performance globale : un outil quasiment à l’abandon, qui pourrait être le fer de lance d’un vaste programme de rénovation ?

Les éco-prêts à taux zéro en format « travaux d'isolation ou d'installation d'équipements », proposés pour la rénovation des logements, ont remporté un certain succès. Sauf que ces programmes ont un impact sur la consommation des logements de l’ordre des « petits gestes », car ils ne proposent pas une approche globale.

J’isole mes murs sans isoler mes fenêtres, et c’est parti, je bénéficie du prêt. Malheureusement, le résultat final sur mes consommations, et donc sur ma facture, est souvent modéré.

Il existe un autre éco-PTZ, bien moins connu (il représente moins de 1% des éco-PTZ), visant une « amélioration du niveau de performance énergétique globale ».[1]

L’objectif du prêt est de réaliser au minimum 35 % d’économies de consommation en énergie primaire [2].

Peu ambitieux, rien à voir avec du passif. Et surtout, il est plafonné sur une durée de 15 ans, ce qui est trop court pour que les travaux les plus efficaces soient rentables.

Enfin, il est plafonné à 30 000 €, ce qui est parfois insuffisant.

En résumé, nous avons avec l’éco-PTZ en performance globale un outil intéressant. Mais pour le rendre opérationnel, plusieurs conditions sont nécessaires :
• En augmenter le plafond pour atteindre 40, voire 50.000 €,
• En augmenter la durée, pour l’étendre à une durée de 30 ans,
• Préciser, selon le type de bâtiment (patrimonial ou pas), la performance à atteindre : passif ou basse énergie,
• Et enfin, simplifier le nom de ce prêt, du style « prêt rénovation passive ».
Arrivés à ce stade, vous imaginez bien que rien ne se passera si l’on s’en tient là.
Une des autres pièces de ce puzzle est la mise en place d’une forte incitation à l’action.

Le passage à l’action : la piste de l’obligation ?

D’entrée, j’exclus les incitations sympathiques, les suggestions cordiales. On voit bien qu’elles n’ont rien donné de sérieux.

Il y a quelques années, l’association Negawatt avait proposé l’obligation suivante : rénover en très basse consommation à l’occasion de la vente des logements. Cette idée tient compte du fait qu’en moyenne, un logement se vend tous les 7 ans. La remise à niveau du parc pourrait donc se faire assez vite. C’est plutôt sur le financement et sur le phasage des opérations que cette proposition montre ses lacunes. Si c’est le vendeur qui doit mettre son logement à niveau pour vendre, il n’est pas certain de s’y retrouver au moment de la vente (aujourd’hui, on regarde davantage le prix du m² des logements que leur niveau de consommation). Si c’est l’acheteur, le contrôle de la réalisation des travaux risque d’être complexe, car il souhaite naturellement y habiter le plus vite possible.

Negawatt a proposé que le crédit se transmette avec le bâtiment. Pour que cela réussisse, il faudrait que l’on créée un nouvel élément obligatoire à la vente, le montant des consommations d’énergie du logement estimées en € (et non le classique DPE, basé sur des consommations conventionnelles, donc peu tangibles).

On imagine bien que politiquement, l’obligation de rénovation lors de la vente risquerait d’avoir un prix très élevé pour les élus.

Vers une incitation musclée ?

Il me semblerait plus opérationnel de mettre en place un programme basé sur du long terme, plus facile à accepter, et s’appuyant sur un système de bonus/malus.

Il faudrait en premier lieu généraliser la méthode de calcul des consommations réelles (la norme européenne EN 13790 pour les connaisseurs).

Ensuite, pour chaque logement, on reprendrait la consommation effective sur la base des données des fournisseurs d’énergie.

Mettons qu’aujourd’hui, la consommation moyenne des logements français soit de 200 kWh par m² et par an (en énergie finale), et que l’on se fixe l’objectif d’atteindre le niveau de 50 kWh par m² et par an.

Dès 2020, les logements consommant plus de 200 kWh annuels par m² seraient affectés d’un malus, alors que tous les logements inférieurs à 50 kWh annuels par m² bénéficieraient d’un bonus. Les logements entre les deux resteraient dans la zone neutre, sans bonus, ni malus.

Chaque année pendant 15 ans, on ferait diminuer le niveau à atteindre de 10 kWh. Le niveau neutre passerait à 190 kWh/m² par an en 2021, 180 en 2022, etc.

En réglant convenablement le niveau de taxation, les propriétaires seraient incités à effectuer les travaux, sachant que la perspective serait claire : ceux qui ne font rien sont pénalisés.

Ainsi, en 15 ans, la situation évoluerait radicalement. Bien entendu, chacun s’en porterait mieux : moins de pollution, moins de consommation, moins de dépenses.

Enfin, concernant les logements loués, l’opération est tout à fait jouable. En effet, il suffirait de permettre aux propriétaires de répercuter les économies d’énergie à 100% sur le loyer.

Aujourd’hui, c’est possible à 50%, et avec des conditions pas toujours simples à mettre en œuvre.

Comment compenser la perte de surface des logements en cas d’isolation par l’intérieur ?

Dans de nombreux cas, l’isolation par l’intérieur sera inévitable. L’épaisseur de l’isolation se calcule au cas par cas. Prenons un appartement haussmannien de 100 m², avec une façade de 10 m côté rue et de 10 m côté cour, les deux autres côtés étant mitoyens.

Si l’on doit isoler avec 25 cm d’isolant, on va donc perdre 0,25 x 10 x 2 = 5 m² de surface. A Paris, à 10 000 €/m², ce sont 50 000 € de valeur du logement que l’on perd ainsi.
Il faut y rajouter les travaux de second œuvre (prises électriques, déplacement de cuisines équipées…).

Aujourd’hui, sachant que l’on dispose de données fiscales très précises pour les prix de vente des logements, on pourrait imaginer affecter une partie du bonus présenté ci-dessus à la compensation de ces pertes de valeur.

Le graal énergétique ?

Avec ces éléments, pourquoi un tel dispositif n’existe-t-il pas déjà ?

Car il s’agit d’assembler deux éléments :
· Un prêt à taux zéro (évidemment ouvert à tous), au montant, à la durée et à l’exigence étendus
· Un plan de long terme basé sur un bonus/malus en fonction de la consommation d’énergie réelle des logements.
En contrepartie, le pays peut entrer dans une démarche d’ensemble lui permettant de renforcer opérationnellement sa lutte contre le changement climatique, sa résilience par rapport aux chocs énergétiques prévisibles, augmenter le niveau de vie des citoyens, créer des milliers d’emplois dans le secteur du bâtiment.

De façon opérationnelle, on pourrait imaginer la création d’un organisme public national dédié, dans l’esprit de la KfW allemande, qui gérerait le fonds consacré à la rénovation énergétique, et veillerait à l’atteinte des résultats.

Action Européenne, action locale ?

Sur le plan Européen, le pacte finance-climat est une très belle initiative, qui pourrait contribuer à réaliser cet objectif, et qui repose sur deux idées principales : la transformation de la BEI en banque du développement durable et la mise en place d’un impôt européen spécial de 5% sur les bénéfices. Cette initiative comporte une dimension large, incluant agriculture, transports…. Elle mérite d’être soutenue, même si l’on peut craindre qu’elle ne se heurte aux intérêts nationaux, dans un contexte où l’unanimité est requise.

Sur le plan des collectivités locales, il semble difficile d’agir avec des moyens significatifs, et d’autant plus à l’heure où les municipalités perdent le contrôle de la taxe d’habitation. Il a toutefois des initiatives, telles que Mireio en Occitanie, qui méritent d’être soulignées.

Et nous, on commence aujourd’hui ?

J’aurais pu m’arrêter là, et en rajouter une couche sur l’éternelle imprécation sur l’incapacité de l’Etat à agir, la puissance des lobbies, etc.
Je persiste à penser que la mise en place du dispositif décrit plus haut serait bienvenue.
Mais en attendant que le message soit entendu en haut lieu, en tant que lecteur de ce texte, vous êtes en capacité d’agir à votre propre niveau. Voici ce qu’il vous reste à faire.

Prenez vos factures d’énergie, électricité, gaz en particulier. Calculez combien de kWh vous consommez par an, et quelle est votre facture d’énergie. A partir de là, vous déterminez le prix moyen de votre kWh.
Vérifiez ensuite combien vous consommez de kWh par m² (valeur A),
Prenons maintenant un objectif de consommation d’électricité finale de 50 kWh, atteignable en passif (valeur B).

En effectuant le calcul : prix moyen du kWh x surface habitable x (B-C), vous obtenez en première approche l’annuité maximale que vous pourriez payer pour un crédit qui vous permettrait de rénover votre logement en passif sans impact sur votre trésorerie.

A partir de là, prenez votre durée maximale d’emprunt, multipliez par l’annuité calculée ci-dessus et vous obtenez le montant que vous pouvez mobiliser pour des travaux de transformation passive de votre logement. Même en l’absence d’éco-PTZ, vu les taux bancaires actuels, vous pouvez rentabiliser facilement une telle opération.

Il ne vous reste plus qu’à contacter un bureau d’études thermiques, ayant des références en matière de bâtiment passif, en lui demandant un devis pour faire l’étude de transformation de votre habitat en logement passif.

Et enfin, commentez, partagez, donnez un large écho à cet article !

 

[1] Le calcul de cette amélioration est réalisé par un bureau d’études thermiques. Face à un prêt de 30 000 €, le coût de l’étude va généralement représenter moins de 1000 € en regard d’un crédit de 30 000 €.
[2] L’énergie primaire est l'énergie générée sur le lieu de production : électricité et chaleur dans le cas d'une centrale électrique de source fossile ou nucléaire.
L’énergie finale est l'énergie utilisée sur le lieu de consommation. C’est celle que vous pouvez relever sur votre propre compteur, et c’est finalement celle qui va intéresser le consommateur.
Pour l'électricité, le dégagement d'énergie inutilisée sous forme de chaleur dans les centrales amène à considérer qu'il y a une perte énergétique. Par convention, pour l'électricité, on considère que l’énergie primaire représente 2,58 fois l’énergie finale. Pour les combustibles fossiles qui sont acheminés sur le lieu de consommation pour y être brûlés, les pertes liées au transport sont négligées dans les calculs. Dans leur cas, on considère que l’énergie finale est égale à l’énergie primaire.


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