Comment faire une révolution bourgeoise

par Jacques-Robert SIMON
samedi 2 mars 2024

La Révolution n’avait donné le droit de vote qu’aux citoyens actifs, c’est-à-dire pas aux femmes, peut-être pas pour une prétendue inactivité mais davantage pour leur trop grande proximité avec les idées cléricales. Elles attendirent bien des décennies avant de pouvoir participer aux votations. Et maintenant ?

Bien évidemment une prochaine révolution ne peut être que mondiale puisque les problèmes, nombreux et inquiétants, concernent toute la planète. Pour établir un nouvel ordre, il faut définir un sacré universel et posséder des forces qui permettent d’endiguer les récalcitrants. Les méthodes anciennes, bien qu’efficaces, étaient devenues par trop barbares du moins pour la plupart des occidentaux, d’autres approches devaient être tentées.

Un sacré se doit d'être une référence ultime, insurpassable, le seul arbitraire concevable. Il doit pouvoir soigner tous les maux de la terre et être accessible, au moins dans les rêves, à tous. Il doit être à portée de toutes les détresses, être inépuisable, infini. Le négoce permet de se procurer maints plaisirs mais il est encore lié à un processus de production de biens réels, il n'est qu'un palliatif vers une autre domination, la domination sans racines terrestres requises. La spéculation permet la déification dont on a besoin. Tout le monde ne deviendra pas riche bien sûr, mais on peut en rêver. Le boursicotage ne repose sur rien de tangible, la création de valeurs monétaires ne dépend que de la puissance dominante qui la pratique, elle n'est attachée strictement à aucune contingence matérielle. L’effondrement des structures politiques et syndicales, le caractère irrémédiablement désuet de toutes les idéologies, croyances, philosophies montrent que la transformation des humains en consommateurs est déjà achevée (pas seulement dans les pays dits riches).

 Le sacré implique un paradis pour le rendre attrayant. Le salut, le chemin du paradis et des mille délices, ne s'obtenait dans le passé, au moins dans les dires, qu'en exaltant les vertus, la loyauté, l'honneur, toutes choses non-définissables mais essentielles, des je-ne-sais-quoi qui transmutent le vulgaire en joyaux. Le paradis devait aussi être difficile d'accès et c'est au prix du non-abandon aux licences, à la maîtrise des désirs voire aux mortifications qu'il s'ouvrait à vous. Ces traits non-quantifiables, donc sans aucune valeur marchande, durent évidemment être mis au rencart. La révolution bourgeoise doit miser uniquement sur la satisfaction des désirs concrets pour asseoir sa domination. La frénésie qui pourrait s’en suivre est quelque peu réfrénée par un obsédant tissu de lois ou, d’une façon bien plus prégnante, par un qu'en-dira-t-on industriellement propagé à grande échelle par les réseaux sociaux. La police de la pensée est devenue numérique. Chaque groupe, parti, clan, secte, a évidemment compris la toute-puissance des médias et chacun essaie d'en tirer le meilleur profit : gémissements, plaintes, vociférations, débordements de toutes sortes, emplissent les ondes pour attirer l'attention et les subsides. A ce titre, la sincérité est un vice qui nuit aux intérêts de votre microcosme. Les nuances, le respect, la vérité doivent être évités car contreproductives pour vos intérêts propres. Beaucoup d’insignifiances deviennent des droits et on se contente de les réclamer. Les vertus se résument à des apparences de vertus, il suffit de paraître pour être.

 Les systèmes anciens reposaient tous sur une doctrine donnée, une idéologie, quelquefois même une utopie. Le collectivisme bourgeois se flatte de n'avoir rien de tel : le rentable est la loi, l'accumulation de richesses le seul paradis raisonnable, l’Homme fortuné un saint Homme (on ne devient pas riche par hasard). Mais il n'est évidemment pas question que tous les humains deviennent saints, la marche du monde s’en trouverait gravement compromise. Les démunis, qui n'ont pour richesse que leur force de travail, avaient trouvé un moyen de faire valoir leur droit : s'unir pour revendiquer, s'unir pour prendre le pouvoir. Ce fait résolument contre-révolutionnaire devait être empêché. Diviser pour régner, simple mais imparable ! La fragmentation des revendications des démunis est la pierre angulaire de la révolution en route. Les infirmiers luttent pour leur cause comme les agriculteurs, les sapeurs-pompiers, les aiguilleurs du rail, les enseignants, les employés de la Poste... mais pas ensemble ! Il suffit de calmer les plus excités avec des subsides ou des subventions provenant d'un argent qu'on a emprunté par ailleurs. Ils auront une très relative aisance pendant une courte période de temps mais ils resteront cantonnés avec leurs semblables.

 L’ordre ancien avait institué le colonialisme comme moyen quasi-scientifique d’exploitation de l’Homme par l’Homme. Des soubresauts religieux et nationalistes permirent aux intéressés de se coaliser pour y mettre un terme. Une autre forme de cette exploitation fut alors mise en œuvre : le colonialisme interne. Des gens bien-sous-tous-les-rapports font venir des miséreux afin de « détendre » le marché intérieur du travail. Les rapports de sujétion concernent les mêmes acteurs que lors du colonialisme mais le maître reste chez lui tandis que l’autre vient chez celui-ci faire les travaux pénibles. Ceci change tout du pont de vue moral. Le résultat souhaité (mais non-dit) est effectivement obtenu, la capacité d’agrégation des démunis s’en trouve ruinée, le pouvoir de la classe ouvrière tend à disparaître.

 Mais le coup de maître de la révolution bourgeoise permettant de ruiner définitivement toute capacité à ceux-qui-font d’avoir une quelconque influence sur leur destin a été trouvé grâce aux bons sentiments. Un examen même rapide et partial permet de se rendre compte que si l’égalité des droits est possible, l’égalité stricto sensu est impossible entre deux choses par trop différentes. Un homme n’est pas une femme pas seulement pour une question de chromosome, d’hormone, de masse musculaire mais aussi par ses choix naturels qui résultent de son système biologique. Bien entendu l’environnement joue un rôle sur le comportement mais il reste marginal sauf à vouloir de toute force le faire intervenir. Le féminisme ne met pas en avant les Droits de l’Homme mais ceux, disjoints selon elles, des seules femmes. Une ancestrale oppression patriarcale justifierait cette distinction. Bien entendu, ceci ouvre la porte à d’autres droits spécifiques pour d’autres « minorités » (les femmes représentent en fait 51,6% de la population totale). Il n’est pas nécessaire d’entrer dans de quelconques arguties philosophiques, sociologiques, politiques pour se rendre compte que cette approche est un excellent moyen, peut-être même l’arme décisive, pour fragmenter et diviser le corps social de ceux qui subissent afin de les rendre plus dociles. Qu’a-t-on observé en effet depuis que la politique néo-féministe fait la quasi-unanimité au sein des politiques. De pimpantes jeunes (ou moins jeunes) femmes BCBG constellent les médias ; nouveau lieu du pouvoir suprême selon certains, et ne se montrent d’ailleurs pas pires que leurs collègues masculins, ce qui aurait été difficile. Par contre pour les mères célibataires, les infirmières, les caissières de Prisunic, les aides à domicile et tant d’autres, la situation devient de pire en pire chaque jour. D’un seul coup le genre efface toutes différences de classe sociale.

 Reste à trouver l’arme suprême susceptible de terrasser toute force ennemie. Les hommes engendrent 6 à 10 fois plus de testostérone que les femmes engendrant une plus grande agressivité et une plus importante propension à s’accoupler. Le « devoir conjugal » était le moyen traditionnel de régulation de cette dissymétrie. Si il disparaît, c’est un moyen de domination à la fois à la portée de toutes et qui se prête à toutes les variations possibles. On est faible si on est dépendant. Voilà le monde entier coupé en deux.

 Le propre des militants c’est de penser avoir raison quoi qu’il advienne. Mais malgré tout : « Les bourgeoises c’est comme les cochons… »

 


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