Comment lire le Coran d’une façon intelligente ? L’année de l’éléphant
par Emile Mourey
vendredi 15 janvier 2016
L'islam s'inscrit dans la suite du judaïsme et du christianisme et le Coran dans le prolongement de la Thora et des évangiles ; c'est un fait connu, encore faut-il le dire. Ces trois livres racontent l'histoire d'un courant juif, chrétien puis musulman. Ces trois courants trouvent leur inspiration dans le ciel. Dans la rédaction de leurs ouvrages, il existe une constante : le recours à l'allégorie.
Il s'ensuit deux types de lecture, l'un à la portée de ceux que le prophète Daniel qualifie d'intelligents et ceux qui n'ont pas la chance de l'être mais qui peuvent néanmoins accéder au merveilleux du texte par une simple lecture littérale... au risque toutefois de la superstition.
SOURATE 105 AL-FĪL (L’ELEPHANT)
Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux.
1. N’as-tu pas vu comment ton Seigneur a agi envers les gens de l’Eléphant ?
2. N’a-t-Il pas rendu leur ruse complètement vaine ?
3. et envoyé sur eux des oiseaux par volées
4. qui leur lançaient des pierres d’argile ?
5. Et Il les a rendus semblables à une paille mâchée.
Comment comprendre ?
Il s'agit d'abord de retrouver le fait historique réel ou probable en faisant appel aux textes qui nous sont parvenus et à la raison. Il s'agit ensuite de se reférer au récit qui a été fait de l'événement, voire réécrit.
I. Le fait historique réel, probable ou possible.
Il ne fait pas de doute que le vice-roi du Yémen Abraha a mené une expédition contre les Arabes de la région de La Mecque. Une inscription relative à la campagne d'Abraha, vice-roi du Yémen, découverte à Murayghan, évoque en effet une défaite infligée par Abraha sur la tribu arabe du Nord Ma'add (les Arabes du désert) en 662 de l'ère sabéenne, c'est- à-dire vers l'an 552 de notre ère. De même, la mort d'Abraha est attestée en 553.
Ces dates ne sont pas anodines. En 553, le deuxième concile de Constantinople a réaffirmé les décisions prises à Nicée, un Jésus vrai homme, vrai Dieu. L'expédition d'Abraha s'inscrit dans une politique impériale de chistianisation nicéenne d'une Arabie encore majoritairement idolâtre.
L'inscription fait état d'une défaite arabe. En revanche, on peut penser que les Arabes ont présenté l'affaire comme une victoire. Comment ont-ils résisté ? Certainement pas par la force des armes, mais en empoisonnant les puits, c'est possible. Le harcèlement à l'aide de frondes a peut-être accompagné l'armée yéménite dans sa retraite.
II. Le récit de Tabari. https://histoireislamique.wordpress.com/2015/01/25/des-himyarites-lannee-de-lelephant-au-sassanides-au-yemen-par-al-tabari/ CHAPITRE XXXIX. HISTOIRE DE L’EXPÉDITION D’ABRABA CONTRE LA KA’BA.
Tabari est un historien chroniqueur exégète, musulman de tradition sunnite, qui a écrit ses principaux ouvrages à Bagdad, en arabe, sa principale oeuvre étant le chronique dite de Tabari. L'intérêt de cette chronique - vers l'an 900 - est la relative fiabilité de l'auteur qui semble avoir disposé de documents proches des événements qu'il relate.
Il précise que Mahomet naquit la même année où Abraha amena une armée pour détruire la Kaaba, soit en 550 comme je l'ai expliqué dans un précédent article. Cette armée "aurait été" accompagnée d'éléphants, notamment d'un éléphant dénommé Mah moud particulièrement impressionnant. Le motif de la guerre "aurait été" qu'un Mecquois était venu souiller l'église chrétienne qu'Abraha avait érigée au Yémen. Celui-ci avait donc décidé, en rétorsion, de détruire la Kaaba qui était remplie d'idoles polythéistes. Cette expédition est conforme, comme je l'ai dit, à la volonté de l'empereur Justinien d'étendre le pouvoir de son église nicéenne sur une Arabie encore majoritairement idolâtre.
Suit une histoire bien peu crédible où Abdou’l-Mottalib traite avec Abraha pour qu'il lui rende les deux cents chameaux qu'il lui aurait volés. Abdou’l-Mottalib préfère récupérer ses chameaux plutôt que de défendre La Mecque. Est-ce une rupture d'alliance, je ne sais pas ? Lorsque la soeur syrienne de Waraka avait promis 100 chameaux à Abdallah, fils d’Abd al-Muttalib, père de Mahomet, c'était une proposition d'alliance. Si Abdallah a préfèré garder son alliance avec la population de La Mecque, n'est-ce pas le signe qu'il n'a pas voulu se mettre sous la dépendance de la Syrie ? Et la soeur chrétienne de Syrie ne lui en a pas tenu rigueur... car elle n’avait aucun intérêt à se mettre en dehors du circuit commercial. Nous sommes en pleine allégorie où les femmes sont en réalité des populations et les hommes, des groupes agissant comme des conseils.
Abraha arriva à la porte de la Mecque. Le lendemain, il fit avancer l’éléphant Ma‘hmoud. On avertit Abraha qu’il n’y avait plus personne dans la ville.Il ordonna de faire entrer les éléphants qui devaient détruire la Ka‘ba, pour s’en retourner ensuite. On conduisit le grand éléphant dans l’enceinte sacrée ; arrivé là, l’éléphant s’arrêta et ne voulut plus avancer d’un seul pas. Malgré les coups qu’ils lui donnèrent, il n’avança pas son pied ; on le frappa sur la tête avec des bâtons de bois et de fer ; tout fut en vain. Les autres éléphants s’arrêtèrent également.
L'éléphant Mah moud ne serait-il pas tout simplement le symbole de l'armée éthiopienne d'Abraha ? Il est matériellement et animalement impossible que des éléphants aient pu faire une telle traversée dans une région aussi déhéritée alors qu'il leur fallait pour survivre des quantités d'eau et d'herbe relativement importantes. Son refus à détruire la Kaaba, ne serait-ce pas celui d'une troupe qui se rebelle pour ne pas exécuter un ordre sacrilège ? Par ailleurs, pourquoi laisser entendre qu'Abdou’l-Mottalib aurait pu défendre la Mecque alors que lors du dernier pèlerinage du Prophète, il n'existait même pas un fossé pour la protéger ? Peut-être n'était-ce encore qu'un village de tentes ?
Deuxième histoire encore moins crédible dans son sens littéral : des oiseaux ressemblant à des hirondelles projettent sur les soldats d'Abraha des pierres qui les brûlent et leur créent des éruptions jusqu'au pourrissement des chairs. Deuxième allégorie, ces pierres ne peuvent être que des balles de fronde ; ces démangeaisons et éruptions pourraient être la conséquence d'une intoxication causée, comme j'en ai fait l'hypothèse, par une eau de puits empoisonnée. En présentant les deux calamités comme une seule manifestation divine, cela ajoute à sa force. Nous sommes dans le style biblique ancien et plus récent de l'Apocalypse de Jean. Dans une autre version, il est dit des oiseaux qu'il s'agit de l'armée de Dieu ; qu'ils ne sont pas de la région ; il est dit des pierres qu'elles sont des boules d'argile.
Le miracle des pierres lancées par les oiseaux se trouve dans la Bible si l'on en croit d'autres versets du Coran.
Sourate 11, verset 82. Nous fîmes pleuvoir sur (la cité de Loth), par rafales, des cailloux brûlants d’argile.
sourate 15 verset 74. idem
sourate 105. en lançant contre eux des oiseaux par nuées.
Enfin, en 591, Vahram VI menace d’envahir le pays des arméniens avec ses éléphants. Les arméniens répondent que leur Seigneur leur portera secours en envoyant une armée d’oiseaux qui lapidera les Perses (lettres, Arménie).
Ces pierres d’argile brûlantes que lancent les oiseaux sur les soldats d’Abraha ne peuvent être que des balles de fronde. Ce sont les mêmes que celles dont César parle dans ses Commentaires (DBG. V, 43, 1). Il écrit que les Nerviens, pour incendier les maisons au toit de chaume, lançaient avec leurs frondes des balles en fusion d’argile fondu (?). Orose précise qu’elles étaient brûlantes (6, 10).
Et je vis un ange qui se tenait dans le soleil. Et il cria d'une voix forte, disant à tous les oiseaux qui volaient par le milieu du ciel : Venez, rassemblez-vous pour le grand festin de Dieu, afin de manger la chair des rois, la chair des chefs militaires, la chair des puissants, la chair des chevaux et de ceux qui les montent, la chair de tous, libres et esclaves, petits et grands....et tous les oiseaux se rassasièrent de leur chair (Apocalypse 19:11-21).
À bon entendeur, salam alikoum !
Emile Mourey, 15 janvier 2016