Comment reconstruire la philosophie ?

par Epsilone
samedi 15 avril 2023

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Comment reconstruire la philosophie ?

La philosophie se trouve aujourd’hui embourbée dans une grande confusion ainsi qu’un scepticisme ou un relativisme généralisé à l’image d’ailleurs de ce qui règne dans le monde. Comment pourrait-elle en sortir ? Beaucoup pensent que tout a été dit et qu’il ne resterait plus qu’à répéter ce qu’on proféré nos ancêtres ou à les comprendre mieux, si bien qu’à l’université on reste confiné dans l’histoire de la philosophie.

Toutefois, il convient de remarquer que la philosophie est dégagée de nombre de contraintes qui pesaient sur elle. Voilà longtemps qu’elle n’a plus de compte à rendre à la religion. Mais, il y a peu de temps encore, un philosophe se devait d’être engagé, c’est-à-dire de participer d’une façon ou d’une autre à la construction du bonheur de l’humanité. Aujourd’hui, heureusement, un philosophe se doit plutôt d’être dégagé et un quelconque engagement le rend suspect de complaisance. De plus, la philosophie est désormais débarrassée de l’esprit de système et je ne crois pas qu’un authentique philosophe puisse s’en plaindre. D’ailleurs, ceux qui l’ont cru morte étaient peut-être ceux qui n’y voyaient qu’un ensemble de systèmes.

Il conviendrait de comprendre pourquoi il n’est plus possible aujourd’hui de philosopher comme avant, de tirer les leçons de cette déroute des systèmes et de discerner à quelle condition et de quelle manière on peut encore philosopher aujourd’hui.

Le but de la philosophie consiste à tenter de répondre à nos questions et l’idéal serait bien sûr de bâtir un système de pensée, un ensemble de propositions liées qui serait censé répondre à nos questions essentielles. On sait que cet idéal est inaccessible et qu’il y avait beaucoup de naïveté dans l’idée que nous pourrions faire tenir l’Univers entre nos deux oreilles. Les philosophes se proposaient souvent d’en finir avec la philosophie pour pouvoir passer à autre chose. Hegel, Marx et bien d’autres ont eu la naïveté de croire qu’ils y étaient parvenus. Si nous ne pouvons plus avoir cette naïveté, quel visage doit prendre la philosophie ? Doit-on y renoncer comme à une tâche impossible ? Doit-elle se cantonner dans des questions partielles et fragmentaires et ressasser indéfiniment son histoire ? Jean-François Lyotard disait que c’était la fin des grands récits. Si les grands récits élaborés par les religions ou les philosophes sont morts que pouvons-nous reconstruire à partir des ruines ?

Si le philosophe ne peut plus espérer édifier un système, il reste à savoir s’il peut encore élaborer une vision du monde. La différence est qu’un système est censé répondre à toutes les questions, tout au moins les questions essentielles. Il fournit une vision globale, une vision holistique comme on dit, laissons cela aux naïfs. Une vision du monde n’est pas aussi ambitieuse, ne répondrait-on qu’à une seule question, c’est déjà une vision du monde, au moins si cette question est fondamentale. Nous voulons également que cette vision du monde soit fondée. Sans forcément espérer parvenir à une certitude, nous attendons au moins qu’elle soit fondée le plus solidement possible.

Notre époque présente un caractère singulier par rapport à tout notre passé. Toutes les sociétés ou les civilisations s’organisaient autour d’une vision du monde. Même les tribus avaient chacune leurs propres conceptions. Nous nous pensons toujours comme une civilisation, sauf qu’elle n’est plus fondée sur une vision du monde univoque. Il nous reste bien quelques oripeaux, comme l’humanisme, mais ceux-ci doivent peut-être aussi passer à la trappe quand ce n’est pas déjà fait. De multiples visions du monde coexistent mais aucune n’est partagée par la majorité d’entre nous. Et c’est très bien ainsi puisque la plupart de ces visions sont inacceptables aujourd’hui. Nous savons que la plupart sont fallacieuses et leur pluralité constitue contre elles l’argument le plus évident.

Nous pouvons survivre sans vision du monde, mais pouvons-nous décemment vivre ? Et si nous n’en avons plus, n’avons-nous pas rien d’autre à faire que de tenter d’en élaborer une ? Nous avons grand besoin d’une révolution. Pas d’une révolution politique, bien que nous en ayons besoin aussi, mais d’abord d’une révolution de l’esprit et de la pensée.

Une vision du monde qui pourrait être acceptable par tous aujourd’hui doit pouvoir présenter une validation selon les critères acceptés par tous et ce sont évidemment des critères scientifiques. Quels sont-ils ? Comment y satisfaire ?

Le philosophe authentique est celui qui, quelles que soient les difficultés, le prix à payer ou les risques encourus continue à philosopher vaille que vaille. Parce que vivre sans vision du monde et sans chercher à en bâtir une est inacceptable. Et si cela convient à certains c’est leur affaire. Philosopher a toujours été difficile, mais cela ne nous a jamais empêché de philosopher. Et si c’est plus difficile encore qu’on le pensait, pourquoi cela devrait-il nous en empêcher ? Nous pouvons tout aussi bien choisir de redoubler d’efforts. D’ailleurs, avons-nous vraiment le choix ? Pouvons-nous accepter de vivre à la petite semaine en nous contentant de survivre ? Dans ce cas, pourquoi faudrait-il continuer à vivre ? Une vie sans vision du monde est-elle acceptable ?

Il faut comprendre ici la philosophie comme étant la recherche de la vérité et celle-ci est prise au sens traditionnel d’adéquation avec la réalité. Comment élaborer une vision du monde aujourd’hui ?

1) Renoncer à la certitude.

Plutôt que de viser à une certitude nous pouvons nous contenter d’élaborer des propositions que l’on pourrait raisonnablement considérer comme vraies. Et si la vérité n’est pas garantie, il n’est pas garanti non plus qu’elle nous soit inaccessible, même s’il ne s’agit que des vérités.

Et aussi, à défaut de pouvoir élaborer une pensée que l’on peut raisonnablement tenir pour vraie, il est possible d’étudier une question en élaborant un inventaire des arguments en faveur ou en défaveur des différentes réponses possibles et d’évaluer le crédit et la pertinence de ceux-ci. Il y a là suffisamment de quoi faire pour un philosophe.

2) Commencer par le début.

Si c’est la fin des grands récits, est-il encore possible d’élaborer un petit récit ? Un petit récit est sobre, modéré il répond à un petit nombre de questions, mais ces questions sont fondamentales. Il nous faut donc commencer par déterminer quelle est la question fondamentale de la philosophie.

3) Essayez de ne préjuger de rien.

Si rien ne va de soi, on ne peut préjuger de rien. Le constat du caractère moutonnier de la pensée humaine ne nous permet pas de considérer quoi que ce soit pour évident. Penser que rien ne va de soi ne signifie pas tomber dans le doute hyperbolique qui n’était qu’une méthode.

4) Prendre en compte l’ensemble des aptitudes humaines.

Je n’entends pas ici les aptitudes que posséderaient tous les hommes, mais les aptitudes que possède l’humanité. C’est-à-dire qu’une aptitude que posséderaient peu d’hommes est une aptitude que l’humanité possède.

5) Prendre en compte l’ensemble de l’expérience humaine.

Les systèmes de pensée se sont toujours élaborés en ignorant une partie de l’expérience humaine, ce qui limitait leur espérance de vie. Au moins, nous savons aujourd’hui, mieux que jamais, ce qu’il ne faut pas faire. Prendre en compte l’ensemble de l’expérience humaine peut nous emmener assez loin.

Il nous faut donc recueillir et examiner le plus de données possibles, sans parti-pris et sans préjugés et en mettant, autant que possible, à l’épreuve de l’expérience la validité des notions fondamentales. En privilégiant et en manifestant plus d’intérêt en fonction de la radicalité et la profondeur de la remise en cause qu’elles peuvent présenter. Il convient donc de prioriser et d’examiner plus particulièrement et attentivement les observations qui sont à priori contraires à nos façons de penser. On peut considérer que les phénomènes les plus intéressants sont ceux qui impactent le plus fortement et radicalement une vision du monde ou une autre.

Bien entendu, le problème sera celui de l’interprétation, c’est tout le problème de la philosophie. Et surtout, le fait que l’on choisisse généralement les interprétations conformes à nos préjugés, ce que l’on appelle le biais cognitif, sera notre premier écueil. Le rôle premier de l’interprétation est de rendre compte des phénomènes, pas de confirmer nos présupposés.

Et si l’interprétation est si cruciale et si nous devons nous dégager de nos présupposés, cela veut dire que :

6) Philosopher est une démarche ascétique.

Il nous faut entériner les découvertes de la psychologie et de la sociologie, mettre ces découvertes au service de la philosophie pour tenter d’élaborer une pensée qui soit le plus possible libérée des processus qui la déterminent.

Comme il s’agit de rechercher la vérité quelle qu’elle soit et à n’importe quel prix. C’est donc une démarche où l’on cherche à exclure le désir et la peur, tout autant que le conditionnement. Bien entendu, cela ne se fait pas si facilement. Cela réclame une ascèse, c’est-à-dire la mise en œuvre d’une discipline intérieure.

Ce que vous venez de lire est extrait du début de mon livre La révolution silencieuse – Comment reconstruire la philosophie. Si cela vous intéresse et que vous vouliez continuer, vous pouvez le télécharger gratuitement sur ce lien en version pdf et il est disponible en librairie en version papier.

Christian Camus


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