Commune de Ploërmel : faut-il scier les croix de nos villages ?

par oursinours
dimanche 29 octobre 2017

Par sa décision du 25 octobre dernier, le Conseil d’Etat a enjoint au maire de la commune de Ploërmel de retirer la croix surplombant le monument représentant Jean Paul II. D’aucuns ont vu dans cette décision un affront fait à la culture française. Et tandis que certains y voient - à tort - le déclin de notre identité, d’autres, comme Nicolas Dupont-Aignan, préfèrent insulter les juges, ces sentinelles controversées de nos libertés.

En 2006 l’artiste russe Zurab Tsereteli a offert une statue à la commune de Ploërmel (Morbihan). L’œuvre (statue), qui représentait le pape Jean Paul II, devait être dressée sur l’une des places de la commune, aux frais du contribuable. Le maire de l’époque, Paul Anselin (UMP), a par ailleurs embelli la statue en y ajoutant une arche et une croix en surplomb de celle-ci sans qu’ait délibéré le conseil municipal à ce sujet (c’est ce qu’a établi le Conseil d’Etat dans sa décision). La Fédération morbihannaise de la libre pensée et deux autres requérants ont alors demandé au maire de retirer le monument. Ce dernier n’ayant pas répondu, son silence fut considéré comme une décision implicite de rejet.

Par sa décision du 25 octobre 2017 (Conseil d'État, 25 octobre 2017, Fédération morbihannaise de la Libre Pensée et autres, n° 39699), le Conseil d’Etat fait droit aux requérants en tant seulement qu’il ordonne le retrait la croix.

Si Nicolas Dupont-Aignan pense des juges que « ces gens sont fous ! », les sages du Palais-Royal ne sont pas à blâmer de la sorte. Le fait est que la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État est très claire s’agissant de l’édification de symboles religieux.


La lettre de l’article 28 de la loi de 1905 dispose ainsi qu’il est « interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. ». Ce faisant le législateur pose le principe de l’interdiction de l’élévation ou apposition de signes ou emblèmes religieux. Reste cependant des exceptions à cette interdiction, à savoir que l’élévation (ou l’apposition) de signes ou emblèmes religieux demeure possible :

En l’espèce, l’élévation de la croix sur le monument de Jean-Paul II n’entrait aucunement dans les cas d’exceptions de l’article 28 de la loi de 1905. La solution des juges (sur ce point) est donc parfaitement en adéquation avec la loi. 

Depuis mercredi dernier les voix s’élèvent pour dénoncer cette décision qui serait le résultat d’un « masochisme culturel » (J-F. Poisson). Et comme le relève L’Express, le hashtag #MontreTaCroix figure notamment parmi les plus utilisés sur twitter ce samedi (sic). Tout ce marasme autour de la décision du Conseil d’Etat est symptomatique d’une société française en mal-être identitaire. Le moindre stimulus est prétexte à geindre. À l’évidence, force est de constater que les juges du Conseil d’Etat ne viennent pas faire tabula rasa de ce que certains nomment « les racines chrétiennes de la France ». Si les juges considèrent que l’édification de croix après 1905 porte atteinte à la laïcité, l’arrêt des juges suprêmes n’exprime à aucun moment leur volonté de « scier » toutes les croix présentes en France... Faut-il alors être hautement hystérique ou de terrible mauvaise foi pour le penser. Et malgré cette évidence, on entend dire çà et là que les juges pratiquent un « deux poids deux mesures » ; eh quoi ! la magistrature, cette vile élite cosmopolite !

Doit-on alors, une énième fois, rétablir la vérité. Pour ce faire, deux exemples peuvent être évoqués pour contrer cette idée :

Pour certains commentateurs malavisés, les juges pratiqueraient le « deux poids deux mesures » en interdisant les croix chrétiennes par leur décision du 25 octobre 2017, alors qu’ils auraient admis le port du voile dans leur avis de 1989. Toutefois, s’agissant justement du port de symboles religieux ou de vêtements, la loi de 1905 ne pose pas d’interdiction. C’est en cela que dans son avis de 1989 (CE Ass., Avis, 27 novembre 1989, requête n°346893), le Conseil d’Etat laisse la possibilité au chef d’établissement la possibilité d’interdire ou non le port du voile dans certains cas en usant de son pouvoir règlementaire. Et, parce que la loi de 1905 est muette sur le port de signes religieux, le principe doit être la liberté et il ne revient pas au juge d’écrire la loi pour interdire la pratique. Cette tâche incombe naturellement au législateur (principe de la séparation des pouvoirs). Et c’est en ce sens que la loi de 2004 a été adoptée, consacrant l’interdiction de signes religieux ostentatoires non-discrets (cf. loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics).

D’autre part, l’idée peut être contrebalancée par les décisions rendues par le Conseil d’Etat à la suite des affaires concernant les crèches de noël. Dans deux décisions les juges suprêmes ont pu préciser les conditions de légalité de l’installation temporaire de crèches de Noël par des personnes publiques (CE, 9 novembre 2016, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne ; CE, 9 novembre 2016, Fédération de la libre pensée de Vendée). Ainsi, l’installation temporaire de crèches de noël « à l’initiative d’une personne publique, dans un emplacement public, est légale si elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, mais non si elle exprime la reconnaissance d’un culte ou une préférence religieuse ». Ce faisant, on peut dire que les juges reconnaissent le devenir culturel de la religion chrétienne en France, contrairement à ce que peut dénoncer Jean-Frédéric Poisson et ses apôtres. 

Au demeurant, la question de l’identité tend à devenir le débat de ces prochaines années. Cependant, si la droite dure souhaite réaffirmer l’identité chrétienne de la France, elle se moque profondément de ce que l’on pourrait nommer « l’identité normative » de la France qui interdit notamment depuis 1905 que soient érigées des croix n’importe où (j’en dirai peut être plus à l’avenir à ce sujet). Et si l’on peut aisément reconnaître en France l’existence d’une culture héritée du christianisme il faut désormais rendre « à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». (Marc, XII, 13-17).

Antonin N. | 29 oct. 2017

 


Lire l'article complet, et les commentaires