Complètement toqué, ce type là...
par morice
lundi 18 août 2014
C'était au temps béni de la radio. Je parle des années 70, où la télé était tellement nulle qu'on ne la regardait pas : c'était Zitrone ou Guy Lux, le soir, ou Maritie et Gilbert Carpentier, alors pensez-donc ! Alors il y avait la radio : oh, il y en avait beaucoup moins que maintenant, en FM, qui avait apporté un vrai confort d'écoute, dans les années 60, ça c'était évident. Le soir venu, j'écoutais donc France-Inter, avec une émission superbe animée par la voix chaleureuse de Claude Villers et la programmation rock de Patrice Blanc-Francart. Et puis après il y avait José Arthur, que j'aimais moins au départ avec son émission de club parisien branché, mais que j'ai appris à apprécier pour son éclectisme. Et là, soudainement, est arrivé un refrain, celui d'une chanson entêtante sur un rythme brésilien de samba (c'était du Chico Buarque *) qui a plus à tout le monde d'emblée, tant elle montrait de décontraction. Ce n'est qu'après qu'on en a découvert le message : présentée comme une chanson anodine, c'était un hymne savoureux à l'antiracisme. C'était aussi, il est vrai, une chanson sur un drôle d'ectoplasme, un extraterrestre et à sa soucoupe volante (ce qu'on apprenait à la fin de la chanson seulement ), ce qui explique aussi peut-être l'intérêt que lui ont porté les gens, alors fort passionnés par la question. Cette chanson faisait "qui c'est, celui-là ? "Complétement toqué, ce type-là, complètement gaga".. et c'était Pierre Vassiliu qui nous la chantait, la moustache bien lissée sous son "nez de fouine", et le regard d'un joyeux filou. Il a rejoint hier son ectoplasme, et nous laisse derrière lui le message fort d'un monde qui se doit de sourire, malgré sa laideur évidente.
Quand j´habitais dans la Creuse
Les gosses, les gueuses venaient chez moi
On y trouvait des vareuses
Des assiettes creuses et du lilas
Je vends des nouilles à la sauvette
Les jours de fête dans le métro
J´vends des culottes, des castagnettes (nota parfois c'est "des enclumes et des castagnettes")
Des salopettes des sacs à dos
J´peux pas dormir sans qu´on cogne
Et sans vergogne à mon chez moi
Le genre de chanson tordante où il se découvrait un peu en vantant au dértour d'un verset sa nonchalance légendaire ("J´vis dans une douce inquiétude, J´fais des études sur le nougat", il fallait la placer, et il l'a faite, le bougre !). L'étendue de son observation moqueuse du monde était vaste : quand il soulevait le sourcil gauche et baissait le droit, c'est qu'il avait repéré quelque chose à se mettre sous la dent et à mettre en versification. Historiquement, il a passé à la moulinette un personnage mythique tel qu'Ivanhoe, dans le seul but, je pense, que les enfants cessent de le prendre pour un vrai chevalier. Chose réussie à vrai dire, sur un rythme enlevé de trot accéléré. Rien que le début de la chanson vous détruit en effet le super-héros. L'occasion pour lui de créer des slogans légendaires ("les sarrasins go-home", "on va en faire des crêpes, des crêpes au sarrazin") ou a inventé lé break téléphonique ("Mr Desbois ? il est in the wood !"), grâce à une imagination plus que fertile. A l'époque où il apparaît dans le showbiz, seul un gars comme Ricet Barrier lui est comparable en verve et en jongleur subtil de mots. Vassiliu était un inventif verbal, mais aussi musical, en s'essayant au récitatif... sur un ryhme lancinant. Ça donne une perle absolue, appelée sobrement "Film", texte récité, surprenant tant on imagine les images au long de son débit détaché, celui d'un cynique lassé de tout... qui se révèle touché par la grâce du visage d'une prostituée vaguement entrevue... encore un petit chef d'œuvre de délicatesse sur un sujet glauque au départ. Pas un mot de trop, pas un mot qui ne manque non plus : mais comment peut-il créer de telles atmopshères avec aussi peu ? L'idée de base n'est pas loin d'être développée plus tard dans "Ainsi soit-il" de Chedid, (autre chef d'œuvre absolu) qui pour moi s'en est inspiré, très certainement : c'est aussi un "film"... sans les images, à vous de les imaginer !
Vassiliu ne s'est jamais fait d'illusion sur le showbiz qui l'entourait : il savait que ça ne durerait pas éternellement... et pourtant il a sévi longtemps ; jusque la maladie prenne le dessus. Le succés incroyable de sa reprise de Buarque lui permettra de vivre plus de 15 ans sur ses seuls revenus, tant le titre passera en radio. Pince sans rire et fort peu imbu de sa personne (tout le contraire plutôt !) il sortait des phrases rigolotes pleines d'humour à tout bout de champ, histoire de se protéger ; ainsi le superbe "dans ma vie j'ai beaucoup voyagé, ce matin je suis allé acheter le journal" ; dégainé en 2013 alors qu'il était déjà fort diminué physiquement. C'est vrai qu'il a beaucoup voyagé, est allé habiter au Sénégal où (il est devenu selon ses dires "sénégaulois"), pour y farnienter et faire de la musique. Dans la "La vie ça va", aux beaux arrangements, il en a donné la raison ; ce petit bonhomme (qui avait débuté comme jockey) : " depuis que je suis sur la Terre, pas très grand, déjà tout petit, Je planquais déjà mes arrières, tu crois ça, Car il faut se méfier dans ce beau métier-là"... le voilà donc installé là-bas, à contempler les horreurs d'ici (et d'ailleurs) :
Ah ce s´rait bien, ce s´rait beau d´pas trop s´en faire
Juste se dire qu´on pourrait parler aux Dieux
Leur dire : mais venez-donc, mes pépères sur la Terre
Voir le bordel, la misère, tous ces gamins qu´ont l´air vieux
Voir la patience, le courage qu´il nous faut pour être heureux
Engagé (il est ici à Bordeaux en 2000 pour un concert contre le racisme), oui, mais à sa façon toute subtile, "une chanson douce" lui permet ainsi en 1987 de revenir hanter les radios et de glisser de belles petites peaux de bananes sur les "français" et leur sport favori : tout critiquer (et encore, Internet n'avait pas encore été inventé !). Au détour du doucereux et amusant sinon festif "Les Grillons", il glissait en effet de jolies banderilles piquées sur le dos de ses contemporains. Il sort aussi un peu plus tard "Dangereux", une exception chez lui : sa chanson la plus noire, sur les marchands d'armes et la vie politique sénégalaise comme française.... Bizarrement, ou intentionnellement, on n'en trouve pas les paroles sur le net.... Ce qui ne l'empêchait pas de chanter encore et encore régulièrement ses vœux chers pour cette planète ; ceux de sa "Maison d'amour" une de ses plus belles, à coup sûr dont voici le dernier couplet :
"Quand j´aurai tant et tant, si on me laisse le temps,
Que mes copains viendront sur leur fauteuil roulant
Le comparer au mien avec un p´tit sourire
Je veux que tous ensemble nous parlions d´avenir
Pas de rides, pas de lunettes, pas de fauteuil, pas de canne
Même, même que nous danserons sur le dernier Dylan !
Je ne veux pas qu´on parle - et je serai sévère -
Je ne veux pas entendre un seul mot sur la guerre
D´autres en parlent pour nous, mais c´est vrai, moi aussi
Voilà qu j´avais oublié mes trois ans d´Algérie !
Je veux qu´on boive un coup et qu´on fasse des fredaines
Et puis que nos enfants se moquent de nos bedaines
Puis je veux que nos femmes nous fassent encore le coup
De l´amour-amitié, du baiser dans le cou"
(*) C'est une "pardido alto", (pardido alto) qui une figure de style de la samba en fait, dans laquelle une large place est laissée à des portions improvisées. La chanson d'origine reprend 'mon gars" ("nega") comme interlocuteur, à la place de "les gars" chez Vassiliu, qui en a bien retenu l'esprit : le chanteur interpelle son auditoire, comme Vassiliu a si bien su le faire. Le morceau se prête bien à une interprétation au steel-band, comme ici où il se mixe avec Firework. Hélas, Buarque, dit-on, avait trouvé l'adaptation trop lègère ; pas sûr qu'il en ait compris le message antraciste en fait...
Parti de haut
Tu dis qu'il a donné, qu'il donne
Tu dis que Dieu donnera
Je ne vais pas douter, ô mon gars
Et si Dieu ne donne pas
Comment ça va se passer, hein mon gars
Tu dis que Dieu dit qu'il donne
Et si Dieu refuse, hein mon gars
Je vais m'indigner alors arrête
Dieu donnera, Dieu donnera
Dieu est un gars farceur, il aime les blagues
Puisque pour me jeter dans le monde, il avait le monde entier
Mais il a trouvé très drôle de me laisser sauvage
Dans le vendre de la misère, je suis né batteur
Je suis de Rio de Janeiro
Jésus Crist me paie encore, un jour il m'expliquera
Comment il a mis au monde cette pauvre petite chose
Je vais courir le grand monde, me saouler,
Pour voir se quelqu'un se balance au (son du) ronflement de la cuíca
Et cette embrassade, pour qui (est-ce) reste
Dieu m'a fait faible, édenté et laid
La peau et les os seulement, quasiment sans garniture
Mais si quelqu'un me défie et évoque ma mère
Je distribue les coups de pied et sans me dépeigner
Car j'en ai vraiment ras-le-bol
Dieu m'a donné une main de velour pour caresser
Dieu m'a donné mélancolie et lassitude
Dieu m'a donné de longues jambes et beaucoup de malice
Pour courir après la balle et fuir la police
Un jour je ferai la une
** son premier titre sorti en ... 1962, il y a 52 ans... à l'époque où il ne portait pas moustache et était sec comme un coup de trique ! Le Vassiliu de l'époque, montré partout comme étant fort marrant, avec son air (TRES) moqueur, était pourtant aussi poète, capable de chansons douces en forme de comptines comme en faisaient des gens comme Pete Seeger : dans le genre, "Trois Etoiles" est aussi une beau petit bijou de douceur inattendue ... à l'époque, pas d'albums 33 tours, mais toute une série de 45 tours contenant chacun un petit bijou similiaire. pas le genre de "La femme du sergent" entonné en pleine guerre d'Algérie et qu'on entendra bien sûr jamais à la radio : l'antimilitarisme y était trop évident ! Vassiliu, personnage entier ; ne cachait pas non plus ses opinions politiques. Il sera recruté pour la faire la guerre, pourtant, comme photographe de l'armée !
pour tout savoir sur Pierre Vassiliu c'est ici :
http://www.pierrevassiliu.com/
voir ses clips vidéos :
http://www.pierrevassiliu.com/videoclips.htm
nota : si vous avez des documents sur Vassiliu, vous pouvez les envoyer au webmaster de son site à l'adresse niokobok@gmail.com, il est preneur.