Comprendre la corrida
par cassiusdemontpeul
vendredi 2 juin 2017
La candidature de Marie Sara à st Gilles ( Gard ) contre M. Collard réveille la sempiternelle opposition entre adversaires et partisans de la corrida.
A St Gilles ce n’est pas la corrida avec mise à mort qui est appréciée mais le spectacle très profondément ancré des courses à la cocarde avec des taureaux de Camargue avec les belles cornes en forme de lyre.
A propos des corridas avec des toros espagnols , les positions sont irrémédiablement tranchées : 50 % de pour et 50 % d’opposés. Déjà on ne voit pas à quel titre le 2ème parti ferait interdire la corrida, avec une connaissance très superficielle de ce qu’est la corrida :
– les uns y voit un spectacle rare, la gestuelle somptueuse du toreador, sa passion qui le fait risquer sa peau avec des cornes effilés qui lui passe à 5 cm du corps, sa folle emprise sur l’animalité brute qui fonce sur tout ce qui bouge.
– les autres ne voit que le geste final : la mise à mort du toro ( en général rapide d’un simple coup d’épée ), le fait de tuer un animal . Sont ils tous végétariens, ou consomment-ils régulièrement de la viande, avec dans ce cas l’abattage en série dans les abattoirs coincé entre 2 barrière d’un coup de gros pistolet à tige perforante ..
Etre anti corrida , c’est vouloir imposer son point de vue de manière dictatoriale digne des pires républiques soviétiques !
Si j’étais un toro je préférerais passer 4 à 5 ans à gambader en liberté dans les immenses pâturage près de Salamanque au sud de l’Espagne, plutôt que d’être élevé en batterie sans liberté pour une croissance la plus rapide possible avant l’abattage en série .
Je recommande la lecture du livre de Simon Casas « taches d’encres et de sang « : c’est de loin un des tout meilleurs livres sur la tauromachie avec une écriture somptueuse : il nous initie, si besoin, et nous fait comprendre et apprécier toute la somme de passion entre l’homme et l’animal pour un matador.
Simon Casas a quitté le lycée Victor Hugo à Nîmes à l’âge de 14 ans pour vivre sa passion de torero. Il est aujourd’hui directeur des arènes de Nîmes et de Madrid !
Je ne résiste pas au plaisir de citer quelques extraits de son livre :
« J’aimais beaucoup Giuseppe, c’était mon chien, il s’est fait écraser sur une route nationale .Une mort de chien .Les toros ont des morts plus glorieuses. La mort existe, et elle nous guette, chiens, toros et humains. La tauromachie n’occulte pas la mort, elle l’affiche. C’est cela qui la rend transgressive. »
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C’est à Tolède que j’aime voir toréer Jose Tomas … à le voir se déplacer dans l’arène, on peut être saisi par la vision des rituels sans pitié de la Sainte Inquisition. Ce torero semble s’imposer des autodafés dont il veut être l’unique supplicié. Sans doute porterait il aussi bien la soutane que le costume de lumière. La tête légèrement penchée, face au toro, Jose Tomas se met en danger comme d’autres se livrent à la prière. Couper des oreilles n’est pas son but. La fortune et la gloire l’importent peu. Ce qui compte pour lui, c’est d’abord d’offrir son corps : sa spiritualité l’y aide. Telle est sa perversion : risquer la mort pour vivre un peu.
Alors il s’étirait dans quatre ou cinq véroniques, jouait avec une superbe harmonie du balancement des bras, guidait avec un temple exquis la charge encore désordonnée du fauve. Réduisait dès cet instant les soubresaults bestiaux pour les adapter à son tempo corporel, au rythme de sa rêverie, aux exigences de son style épuré. Puis il signait cette courte ouverture par une demi véronique qui venait déposer sur sa hanche un papillon de plus de cinq cents kilos.
Il retournait vers le centre de la piste où, avec une gestuelle dépourvue de tout effet d’annonce, il passait la cape dans son dos
Et là absolument immobile, le corps étonnamment détendu, comme dépourvu de système nerveux, il s’attachait à ce que le toro n’ait d’autre alternative que de foncer sur son ventre pour l’ouvrir et mettre ses entrailles en pièces. Une fois, deux fois, trois fois … la bête passait violemment à quelque millimètre des dorures de son costume et de sa peau. Gaoneras sans envol, mais d’une rigueur extrême. Il faisait ces passes comme d’autres se piquent avec des seringues remplies de produits hallucinogènes. La foule après avoir retenu son souffle, hurlait des olés profonds pour célébrer ce héros : Jose Tomas
Commençait alors le bal des vampires. Du couple formé entre l’animal et le torero, quel est de ces deux partenaires celui qui de l’autre goberait le sang ? Jose Tomas se transformait en édifice gothique. Le buste posé sur les piédroits que devenaient ses jambes. Sa tête se penchait sur son épaule gauche, sa langue sortait légèrement de sa bouche comme pour lécher ses lévres, son bras droit, harmonieuse scotie, tenait l’épée à la hauteur de sa hanche, la gauche portait la muleta tenue par le milieu du bâtonnet, totalement et naturellement déroulée, faisait glisser d’arrière vers l’avant l’étoffe rouge, par le jeu discret mais extrêmement dominateur du poignet. Le bas de la muleta venait enfin se poser comme une sauterelle sous le museau du toro. Le toro voulait alors manger la sauterelle. Et la sauterelle sautait pour se dégager et aller se reposer à quelques centimètres, alors que le corps de Jose Tomas pivotait sur ses frêles chevilles. Tout son poids semblait rassemblé sur la haute extrémité de sa hanche gauche. Comme si l’artiste avait établi là le moteur de ses sens. Une cible à atteindre. Enchaînement de passes comme un discours qui s’étire …
Jose Tomas est parti. Je vais m’ennuyer aux arènes. Il doit se produire une dernière fois à Mexico, sur les ruines de l’empire aztéque. Je traverserai l’océan pour aller le voir, et embaumer mes rétines du parfum de ses dernières passes naturelles.
J’irai sur la place du Zocalo où les chrétiens ont enterré les traces de leur affreux génocide. Je tournerai le dos à la cathédrale bancale et chercherai dans le ciel la lune, le soleil, et le serpent à plumes. Je marcherai doucement pour ressentir sous la plante de mes pieds les coups de boutoir de cette terre qui souffre. Des millions de morts grattent cette croûte terrestre. C’est sur ce cimetière que Jose Tomas a choisi de se vêtir une dernière fois du costume de lumière. Ce torero est la réincarnation de Moctezuma, leurré en accueillant les bourreaux de son peuple comme des messagers de ses dieux.
Sa carrière ? … Une promenade pour montrer au dieu qui a assujetti son peuple qu’il possède un corps et une âme indestructibles. Tomas – Moctezuma est intouchable. Ce n’est pas à l’hôtel qu’il abandonnait son corps avant de se rendre aux arènes, mais sur la pyramide de la lune. Jose Tomas est parti, vers l’Ouest pour y rejoindre Xipe Totec.
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Le vendredi 24 mai, Curro Vasquez a volé six passes magnifiques comme d’autres volent les baisers. Ce fut bref, mais quelle beauté ! Trincheras et firmas enchaînées avec une volupté qui a fait rugir de plaisir les vingt quatre milles gorges d’un public qui sait jouir des caresses profondes. L’aficion de Madrid est vaginale .
Je crois bien qu’il nous a dit tout cela Niño de la Capea. Enfin, j’ai parfois la mémoire expansive…. Est-ce la corrida que j’aime ou ce que je pense d’elle ? Mais n’est-il point précisément là le mouvement de l’amour ?
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Ce qui est beau c’est l’émotion contrastée née des violents assauts du fauve et de l’apparent abandon du corps par l’homme. J’aime pour cela les véroniques en tablier : le torero se plante comme un piquet sur une plage et abaisse ses bras pour faire traîner lentement sa cape. Il semble alors que le toro vient s’écraser contre un nuage ! Puis pour stopper la turbulence des pulsions, le torero impose une demi véronique comme un coup de baguette destiné à arrêter une ouverture galopante. C’est une passe courte : le torero se sert de ses hanches sur lesquelles, en ramenant ses bras, il maîtrise la charge déjà éduquée de l’animal qui semble exprimer pour la première fois quelque chose de profondément humain : la surprise. Le dialogue entre l’homme et la bête commence.
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Me mettre en péril face aux toros était pour moi le moyen d’être aimé. Chaque matador vit cette nécessité. C’est pour cela qu’il demeure immobile lorsque les toros chargent, et que le risque des coups de corne lui est étrangement supportable. L’arène est un divan. C’est au toro que les toreros s’adressent.
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La tauromachie est un théâtre sans double. La mort est réelle dans les arènes. On ne la cache pas. Elle y est exposée, réalisée, donnée… Offerte peut-être. S’agit-il d’un don ? Oui, je le crois, la mort nous est offerte. C’est cela que Diamante Rubio pouvait observer mieux que nul autre de dessous ses lunettes sans verres pour regarder au delà de la mort.
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Face à l’héroïsme de l’autre, on se sent un peu ridicule . « Il faudrait qu’à présent l’animal m’apprenne quelque chose « .La lacheté permet de vivre, et la bravoure tue : redoutable enseignement que nous offre la bête !
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Le 17 mai, Manuel Benitez El Cordobez et Paco Ojeda ont toréé ensemble pour la première fois de leurs fabuleuses carrières. Que d’émotions, que de beautés ! Paco Ojeda s’est pleinement retrouvé durant quelques quarts d’heure : hypnotiseur de toros, tel est son vrai métier.
Nous avions tous la chair de poule lorsque nous l’avons vu, à nouveau, les cuisses collées à la pointe des cornes, faire pivoter son buste sur ses jambes statiques, pour citer le toro d’un côté puis de l’autre, et l’enrouler autour de son corps comme s’il s’agissait d’une étoffe. Dans de tels cas, les prestations d’Ojeda devraient être classés X ; il sait trouver l’espace unique où l’édifice du plaisir va pouvoir être construit.
Manuel Benitez El Cordobez est, quant à lui un hypnotiseur de foules. Son charme est inépuisable, sa flamme éternelle. El Cordobez n’est pas qu’un torero, il est de ceux qui montrent le chemin, il est un phare.
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Aujourd’hui à Nîmes, il y a une course camarguaise. Corrida veut dire aussi course. A cette différence que les raseteurs courent vraiment quand les toreros eux, demeurent quieto, c'est-à-dire tranquilles, immobiles. Mais j’aime aussi les raseteurs, surtout les champions. Désormais parmi eux, certains sont d’origine maghrébine. Immigrés, victimes du racisme au quotidien. Boxeurs du Bronx, footbaleurs des favelas, raseteurs maghrébins de Camargue, même combat, devenir des héros pour se faire accepter. A l’origine des grandes carrières, il y a toujours des blessures qui ont du mal à se cicatriser. La puissance et la gloire sont d’excellentes thérapies pour la douleur des âmes. Les gitans sont aussi des marginaux, et ce sont eux qui ont inspiré à la tauromachie espagnole ses plus belles inventions gestuelles. L’histoire de l’art est l’illustration de l’histoire des peuples.